Haut rendement: surmonter le mur des échéances

Craig Abouchar et Chris Ellis, Barings

6 minutes de lecture

La persistance de taux d'intérêt élevés a de bonnes raisons de susciter certaines inquiétudes concernant les obligations à haut rendement.

Le mur des échéances auquel les émetteurs d'obligations à haut rendement sont confrontés suscite une grande attention. Toutefois, compte tenu de la courte périodicité du marché, des prix plus bas et du niveau de qualité plus élevé que par le passé, la réalité à laquelle sont confrontés les émetteurs est moins décourageante.

Les murs d’échéances, qui représentent l’échéancier du marché mondial, attirent l’attention des médias et des investisseurs. Sur le marché des obligations à haut rendement en particulier, le niveau élevé des taux d’intérêt soulève certaines questions quant à la capacité des émetteurs à refinancer leur dette existante à faible coupon. Bien que ces inquiétudes soient réelles, nous pensons qu'elles sont parfois exagérées et éclipsent les opportunités potentielles de rendement total qui sont attrayantes dans l'univers obligataire au sens large.

Principales caractéristiques du marché d’aujourd'hui

La persistance de taux d'intérêt élevés a de bonnes raisons de susciter certaines inquiétudes concernant les obligations à haut rendement. La hausse des coûts de financement peut effectivement rendre difficile pour les émetteurs de refinancer leur dette arrivant à échéance, en particulier lorsque les conditions financières ou les fondamentaux sont tendus. Dans certains cas, les émetteurs pourraient être confrontés à un doublement, voire un triplement, des coûts d’intérêt pour maintenir le même niveau d’endettement au bilan, ce qui aurait un impact significatif sur les flux de trésorerie. Cela pourrait notamment entraîner une augmentation des situations de crise et, dans des cas extrêmes, des défaillances. La composition du marché du haut rendement a pourtant changé ces dernières années, et ces changements pourraient contribuer à minimiser le risque d’une issue défavorable.

Profil de qualité supérieure 

D'une part, les problèmes de refinancement et les risques de défaillance sont les plus importants pour les émetteurs notés CCC ou moins. De manière générale, le ratio de couverture des intérêts de ces émetteurs est inférieur à celui des entreprises mieux notées, et l’endettement des bilans a tendance à être plus élevé, amplifiant ainsi les risques de solvabilité. Il convient toutefois de noter que les titres CCC ne représentent qu’une petite partie du marché du haut rendement. En Europe, plus précisément, ils représentent moins de 7% du marché, soit une baisse de 40% par rapport à il y a 15 ans.  En outre, les émetteurs européens notés CCC se négociant à un prix moyen de 67, une grande partie du risque de dépréciation qui leur est associé a déjà été intégrée par le marché.  Dans le même temps, les CCC ne représentent qu’une petite fraction du marché approchant l’échéance (Graphique 1). Ainsi, alors que la proportion du marché ayant des échéances à court terme a augmenté ces dernières années, les émetteurs ayant retardé leur refinancement, sur les 37% d'émetteurs actuels ayant des échéances dans les 36 mois à venir, seuls 3% environ sont actuellement notés CCC.  

Graphique 1: Les titres CCC ne représentent qu’une petite fraction du calendrier des échéances du haut rendement européen


Source: BofA ICE, Bloomberg. Au 30 juin 2024.

En outre, si l'on considère le marché mondial du haut rendement dans son ensemble, la qualité de crédit est supérieure à ce qu'elle a pu être pendant de nombreuses années. Parallèlement, le pourcentage des titres notés CCC sur le marché a diminué, tandis que celui des titres notés BB (secteur de la plus haute qualité du marché) a augmenté. Si cette tendance est manifeste à l’échelle mondiale, avec 52% des émetteurs américains actuellement notés BB, elle est particulièrement prononcée en Europe, où deux tiers des émetteurs sont désormais notés BB.  La hausse des coûts nominaux de la dette sur le marché actuel a eu un impact sur le comportement des entreprises, modifiant les incitations et incitant de nombreux émetteurs à haut rendement à renforcer leurs positions financières. Bien que la hausse du coût de la dette ait réduit les ratios de couverture des intérêts par rapport aux récents pics, le profil d’endettement des émetteurs a été bien géré pour la majorité d’entre eux.

La volonté du marché de refinancer la dette des émetteurs à haut rendement est en outre soutenue par les tendances des émissions cette année. Les émissions brutes de dette à haut rendement en Europe au cours des six premiers mois de 2024 ont déjà dépassé le total de 2023, environ deux tiers de ce montant étant utilisés pour rembourser les obligations de dette existantes.  Avec une proportion aussi élevée d’émissions destinées au refinancement, le niveau global de l’offre nette nouvelle (émissions brutes moins remboursements) est resté globalement stable sur l’année. Cela a contribué à créer un contexte technique solide pour le marché, la demande globale de crédit continuant de dépasser l’offre.  

Marché à court terme

Une autre caractéristique déterminante du marché des obligations à haut rendement est son profil de duration plus faible - qui s’établit à un peu plus de trois ans, les années restantes jusqu’à l’échéance finale étant d’environ 4,6 ans (Graphique 2).  Les chiffres européens comparables sont encore plus favorables aux investisseurs, avec une duration de seulement 2,8 ans et une maturité moyenne légèrement inférieure à quatre ans.  

Graphique 2: La durée des obligations à haut rendement à des niveaux historiquement bas


Source: BofA ICE, Bloomberg. Au 30 juin 2024.

La nature à court terme du marché du haut rendement est en grande partie associée aux faibles tendances des émissions observées ces dernières années. Contrairement aux obligations d’entreprise Investment Grade, les obligations à haut rendement peuvent faire l’objet d’un remboursement anticipé un certain nombre d’années avant leur échéance, et une obligation représente souvent une part disproportionnée des engagements à long terme d’un émetteur. Du point de vue des émetteurs d’obligations à haut rendement, l’incitation à exercer le droit de remboursement anticipé des obligations afin de bénéficier de la baisse des taux d’intérêt a considérablement changé. Avant 2022, le marché européen du haut rendement a enregistré des émissions primaires record, les émetteurs cherchant à tirer parti de taux historiquement bas ayant exercé leurs options d’achat anticipées, prolongeant de manière préventive leur profil de maturité. Aujourd’hui, bon nombre de ces émetteurs possèdent des obligations dont les coupons sont égaux, voire inférieurs, aux taux courants des banques centrales. Cela suggère que tout remboursement anticipé de la dette serait économiquement irrationnel. Lorsque le refinancement d'une obligation est plus coûteux que le coupon actuel, l'émetteur est davantage incité à attendre le plus longtemps possible avant de procéder au refinancement.

Ces caractéristiques du marché ne doivent pas être ignorées lorsqu'il s'agit d'envisager l'avenir. Comme nous l'avons mentionné, avec une duration moyenne du marché du haut rendement légèrement supérieure à trois ans, et compte tenu du profil d'échéance de plus en plus court du marché, de nombreux émetteurs commencent à envisager de refinancer leur dette dès à présent. Les émetteurs à haut rendement cherchent généralement à refinancer leur dette 12 à 24 mois avant l'échéance finale, leurs bilans étant sensibles aux implications en termes de liquidité à mesure qu’une dette passe d'un passif à long terme à un passif à court terme. La plupart des émetteurs à haut rendement s'appuyant sur des structures d'échéances de type «bullet» (une seule date d'échéance pour la majorité de leurs engagements à long terme), un reclassement de la dette en engagement à court terme pourrait entraîner un abaissement de la notation à CCC, remettant en cause la capacité de la société à poursuivre ses activités.  

En réalité, si un émetteur se trouve dans cette situation, il se dirige très probablement vers un défaut de paiement. Il est toutefois possible de chercher à gérer ce problème en exerçant l’option de refinancement anticipé, au moins 12 mois avant l'échéance finale légale de toute obligation. Cette situation est différente de celle des émetteurs Investment Grade, qui présentent généralement des flux de trésorerie plus élevés, un endettement plus faible et des échéances de dette allant du jour au jour au lendemain à plus de 30 ans. Du fait de ces caractéristiques, les changements de classification entre les dettes à long terme et à court terme ont un impact minime sur la liquidité et les obligations ne sont systématiquement remboursées qu’aux dates d’échéance finale légales.

Graphique 3: Cycle de vie hypothétique des obligations à haut rendement émises pour cinq ans, sans option de remboursement anticipé pour deux ans (5nc2)


Source: Barings. À titre indicatif uniquement.

Cet effet pourrait avoir des conséquences importantes sur la performance totale. Plus précisément, au cours des six à 12 mois précédant un rencement, les rendements potentiels sont plus susceptibles d'être influencés par un événement (les refinancements servant de catalyseur) que d'être principalement liés aux variations des rendements des emprunts d'État ou à l'élargissement des spreads. À mesure que les émetteurs viendront sur le marché pour refinancer les échéances 2025, 2026 et même 2027, il y aura un effet «pull-to-par», où les obligations décotées seront remboursées au pair, monétisant ainsi les décotes de prix sur une période plus courte que l’indiquent les calculs de rendement standard. Cela suggère que le potentiel de rendement total pourrait dépasser les estimations de rendement. À titre d’exemple, le prix moyen des obligations sur le marché européen du haut rendement est aujourd’hui de 92,87, ce qui se classe dans le quartile le moins cher des 10 dernières années.  Pour une obligation dont l'échéance est prévue dans les 24 prochains mois, l'effet de refinancement pourrait potentiellement ajouter 50 à 150 points de base aux rendements, en plus de ceux indiqués par un calcul traditionnel du rendement par rapport à la perte (yield-to-worse).  En outre, ce comportement s'expliquant par des raisons financières fondamentales, il sera largement indépendant de l'évolution générale des taux d'intérêt, ce qui permettrait au haut rendement d'accroître le potentiel de diversification d'un portefeuille de titres à revenu fixe plus large.

Potentiel de protection contre le risque baissier 

La duration du marché étant courte, il existe également un potentiel de protection à la baisse intéressant par rapport à d'autres marchés de titres à revenu fixe. En particulier, compte tenu des niveaux élevés de revenus actuels, associés à un profil de duration historiquement bas, le marché du haut rendement présente l'un des profils de rentabilité les plus attrayants parmi les marchés mondiaux de titres à revenu fixe (Graphique 4). Sur la base d'un calcul standard du seuil de rentabilité (rendement/duration), les rendements des obligations d'État devraient augmenter de 226 points de base (pb) avant de générer un rendement négatif (en supposant une période de détention de 12 mois). Il n’est peut-être pas surprenant que ces chiffres soient parmi les plus élevés de l’histoire, compte tenu du profil de duration historiquement faible du marché et de certains rendements les plus élevés observés au cours de la dernière décennie. À titre de comparaison, les seuils de rentabilité du haut rendement sont beaucoup plus élevés que ceux des marchés à revenu fixe plus sensibles aux taux d'intérêt, tels que les obligations de qualité (84 points de base), les obligations d'État mondiales (51 points de base) et les obligations souveraines des marchés émergents (101 points de base).

Par conséquent, les investisseurs qui peuvent être quelque peu réticents à l'idée d'encourir des pertes en raison de l'élargissement des spreads, ou ceux qui cherchent à diversifier leur exposition au risque par rapport aux seules variations des taux d'intérêt, peuvent être rassurés en comprenant que l'effet de rendement total des variations de rendement des obligations d'État sur le marché à haut rendement est susceptible d'être moins important en raison de la structure actuelle du marché.

Graphique 4: Les seuils de rentabilité du haut rendement attestent de l’attrait des revenus et de la faible duration de la classe d'actifs aujourd'hui


Source: ICE BoA, analyse de Barings. Au 30 juin 2024. Calculé comme le rendement actuariel le plus défavorable divisé par la duration modifiée la plus défavorable. À titre indicatif uniquement. La présente analyse vise uniquement à étayer les éléments spécifiques discutés. Cette analyse ne représente pas la totalité des éléments et variables qui pourraient être pris en compte dans le résultat potentiel.

Principaux points à retenir

Outre les revenus plus élevés qu'elles offrent, les obligations à haut rendement présentent aujourd'hui des opportunités potentielles attrayantes. Ces opportunités comprennent un potentiel de rendement plus élevé que ne l'indiquent les mesures de rendement simplistes, une protection contre les baisses étant donné le profil de duration courte du marché, ainsi que des avantages de diversification quelque peu indépendants de l'évolution des taux d'intérêt et des attentes en matière d'inflation.  

Il existe toutefois certains risques à prendre en compte. Bien que les spreads soient serrés, la classe d’actifs est loin d’être homogène et les risques de refinancement des entreprises varient considérablement. Par exemple, l’émergence récente d’exercices potentiels de gestion du passif (LME) en Europe rappelle l’importance d’une sélection de titres éclairée, étayée par une recherche crédit fondamentale robuste. En outre, nous pensons qu'une approche active, des ressources substantielles et l'expérience du marché peuvent mieux positionner les investisseurs pour naviguer dans les vents contraires qui se profilent à l'horizon et saisir les opportunités potentielles à venir.

A lire aussi...