Où l'économie circulaire et la nouvelle administration américaine se rejoignent

Yohann Terry & Cezara Lozneanu, Zürcher Kantonalbank Asset Management

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Le président américain semble avoir d'autres priorités que la protection de l'environnement. Cependant, pour l'économie circulaire, le changement de pouvoir aux Etats-Unis crée également des opportunités.

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Concilier la politique du président américain et l'économie circulaire semble à première vue compliqué. Ainsi, dans sa rhétorique de campagne, Donald Trump s'est explicitement opposé à la durabilité et aux questions environnementales, des thèmes traditionnellement associés à l'économie circulaire. Ses paroles ont déjà été suivies d'actes. Peu après son entrée en fonction, il a ordonné que son pays se retire de l'accord de Paris sur le climat. Pourtant, son slogan «America First», prônant la priorité des intérêts nationaux, une moindre dépendance au commerce mondial, et une création d'emplois sur le territoire américain, pourrait indirectement stimuler l'économie circulaire.

La sous-performance des actions exposées aux thématiques durables depuis les élections montre que les marchés financiers ont déjà bien intégré les risques liés à une potentielle déréglementation et de coupes budgétaires attendues sous la nouvelle administration.

Un contexte incertain porteur d'opportunités

Mais de telles réactions du marché offrent souvent des opportunités. Ainsi, le moment pourrait être propice à la recherche de valeurs de qualité relativement peu valorisées, une stratégie qui s'aligne avec notre approche en matière de gestion de fonds thématiques durables. Cela est d'autant plus vrai pour l'économie circulaire, un thème d'investissement global porté par des tendances structurelles long-terme. Elle est donc loin de dépendre uniquement de la politique américaine actuelle. Mais aussi, en ce qui concerne l'influence à moyen terme de l'administration Trump, les perspectives pour l'économie circulaire pourraient être plus favorables que ce qui est attendu par les marchés. 

En effet, une analyse plus approfondie montre que certaines priorités de la nouvelle administration américaine coïncident parfaitement avec l'économie circulaire. Nous pensons donc que la valorisation des entreprises exposées à ce thème devrait se redresser une fois que la nouvelle administration est en place et que la rhétorique politique sera remplacée par des actions concrètes.

Les trois facteurs suivants sont encourageants. Premièrement, les principaux moteurs de croissance de l'économie circulaire restent intacts. Deuxièmement, certaines revendications de l'«America First» convergent avec les objectifs de l'économie circulaire; et troisièmement, nous anticipons un impact marginal des changements de réglementation.

1. Les moteurs de croissance de l'économie circulaire restent inchangés

Notre modèle de production et de consommation actuel, qui se base sur l'économie linéaire, est de plus en plus remis en question en raison de son impact environnemental et de la rareté des ressources naturelles. En réponse, l'économie circulaire se positionne comme une alternative prometteuse, suivant les principes des «4 R»: «Réduire, Recycler, Réutiliser, Remplacer». Ce changement de paradigme pourrait contribuer à dissocier croissance économique et consommation de matières premières, tout en libérant un potentiel économique supplémentaire. 

Outre les solutions à la rareté des ressources, les modèles d'économie circulaire offrent deux autres avantages importants: le premier est l'indépendance économique: le passage d'une économie linéaire à une économie circulaire peut en effet favoriser l'indépendance des États en terme de ressources naturelles; elle peut également favoriser la relocalisation d'activité économiques sur le territoire et la création d'emplois locaux. Néanmoins, si le président Trump a mis l'accent sur l'accès aux ressources et la réduction de la dépendance à l'égard des puissances étrangères, il faut admettre qu'il y a plus d'incertitudes  en ce qui concerne la protection de l'environnement et le changement climatique.

Les trois avantages clés de l'économie circulaire


Source: Zürcher Kantonalbank

Le nouveau président a personnellement qualifié le changement climatique d'origine humaine de «hoax», c'est-à-dire de canular et l'une des premières mesures a été de se retirer de l'accord de Paris sur le climat. Par ailleurs, selon le cabinet d'avocats Beveridge & Diamond, spécialisé dans le droit de l'environnement, Trump devrait également vouloir prendre ses distances par rapport aux efforts internationaux tels que la convention des Nations unies sur les plastiques. (veuillez placer le lien suivant sur «convention des Nations unies sur les plastiques».

Au niveau national, certaines réglementations environnementales pourraient être assouplies et le budget de l'Environmental Protection Agency (EPA) pourrait être réduit. Il est également possible que certains progrès concernant les accords internationaux ou les mandats nationaux de recyclage soient retardés. Cependant, comme nous le verrons plus loin, nous pensons que l'impact sur l'économie circulaire sera limité.

2. «America First»:  une politique qui pourrait soutenir l'économie circulaire?

D'après les dernières annonces faites par l'administration Trump, la mise en place de droits de douane est l'une des premières mesures qui devrait être introduite. Selon les médias, les marchandises en provenance de Chine seront soumises à des taxes d'importation jusqu'à 60% et les importations en provenance d'autres pays à des droits de douane de 20%. Mais les décisions finales dépendront des négociations bilatérales avec chaque pays ainsi que des votes au Congrès.

Cela devrait être une bonne nouvelle pour l'économie circulaire aux États-Unis. En effet, si le coût des importations augmente, la valeur relative des produits fabriqués et recyclés localement augmente également. De plus, l'effet inflationniste attendu de l'augmentation des droits de douane stimulerait de nombreux aspects de l'économie circulaire.

Prenons l'exemple du recyclage : les importations d'acier en provenance de Chine, souvent ciblées par la politique commerciale de Trump, incitent les recycleurs américains à répondre à une demande croissante. Ce phénomène se reflète déjà dans les marchés : dès le lendemain de l'élection, les cours des recycleurs de ferraille ont bondi de 14%. Il en va de même pour le recyclage des batteries de voitures électriques: si les droits de douane augmentent sur les matières premières nécessaires à la fabrication, comme le lithium, qui sont principalement extraites à l'étranger, l'incitation à recycler augmente également.

La réutilisation des biens de consommation durables pourrait également bénéficier d'importations plus chères: celles-ci pourraient inciter les consommateurs américains à acheter des biens de seconde main et à les faire réparer plutôt que de les jeter. Il est également possible que les produits de meilleure qualité fabriqués localement prennent le pas sur les produits à faible durée de vie importés de pays low cost. Cette nouvelle demande pourrait alors effectivement conduire à la création de nouveaux emplois aux États-Unis, comme le souhaite Trump.

3. Une nouvelle réglementation plutôt qu'une déréglementation

Le nouveau président américain s'est clairement prononcé en faveur d'une dérégulation de l'économie américaine. Cela pose des questions sur les perspectives de l'économie circulaire, car les nouvelles réglementations sont justement un moteur structurel important. Mais là aussi, il vaut la peine d'être plus précis. Une comparaison réalisée par le cabinet de conseil EY montre qu'aux États-Unis, la réglementation sur l'économie circulaire n'en est qu'à ses débuts. Dans ce pays, le changement est principalement dû aux initiatives du secteur privé et à l'évolution du comportement des consommateurs.

Maturité de la législation sur l'économie circulaire


Source: Weick, M., & Ray, N. (n.d., p. 3). Regulatory landscape of the circular economy. EY 

De plus, les quelques réglementations concernant l'économie circulaire ne seront probablement pas impactées. Leur révision est généralement lente et il n'est pas évident de savoir quels changements législatifs bénéficieraient d'un soutien suffisant compte tenu de la faible majorité républicaine au Congrès américain. De plus, jusqu'à présent, le processus politique concernant les directives sur le recyclage, par exemple, a surtout eu lieu au niveau des États et des municipalités. Il existe cependant quelques mesures au niveau national, comme l'Inflation Reduction Act ou IRA (voir l'encadré) ou encore la réglementation sur les valeurs limites pour les «polluants éternels», qui sont importantes pour le thème de l'investissement et qui sont dans le collimateur de la nouvelle administration.

L'Inflation Reduction Act sera-t-il remis en question?

Adopté en 2022 sous l'administration Biden, l'Inflation Reduction Act vise à réduire le déficit budgétaire du gouvernement fédéral, à faire baisser le prix des médicaments sur ordonnance et à investir dans la production nationale d'énergie; ce faisant, la loi prévoit également de consacrer des dizaines de milliards de dollars à des sources d'énergie propres telles que l'éolien et le solaire, mais aussi à des incitations à la vente de véhicules électriques et à l'amélioration de l'efficacité énergétique. En ce qui concerne le recyclage , les seules dispositions concernent les projets de matières premières critiques, qui bénéficieront d'un crédit d'impôt de 30 % dans le cadre du dispositif réglementaire. Cette mesure vise directement l'indépendance économique, à laquelle Trump est également attaché. Si l'on ajoute à cela son exigence de ne pas dépendre de l'approvisionnement en énergie de l'étranger, il semble peu probable que ce domaine soit supprimé de l'IRA.

Tout cela laisse penser que les quatre prochaines années seront marquées par une évolution des réglementations existantes plutôt que par leur suppression. Bien que ce soit un scénario favorable pour notre thématique d'investissement, ce serait néanmoins une occasion manquée de faire avancer l'économie circulaire dans un contexte où l'Europe et l'Asie ont été très actif en terme de nouvelles législations.

Nécessité d'une gestion active des portefeuilles investissant dans l'économie circulaire

En résumé, l'économie circulaire est un thème d'investissement vaste. Elle est influencée par des drivers structurels, dont la protection de l'environnement n'est qu'un aspect: l'indépendance économique, la création d'emplois locaux ou la protection des consommateurs sont tout aussi importants. Les États-Unis ont jusqu'à présent été en retard en matière de réglementation de l'économie circulaire; cela ne changera probablement pas sous la nouvelle présidence.

Cela signifie également que ce thème d'investissement n'a pas été, aux Etats-Unis en tout cas, jusqu'à présent motivé par des décisions réglementaires, mais plutôt par l'émergence de business models circulaires rentables. Cela devrait rester le cas. Il est donc d'autant plus important, du point de vue de l'investisseur, de rester flexible face à ces évolutions. 

 

1 Kammoun, M., Goldstein, J., & Thacher, S. (2023, Juni 1). IRA’s hidden recycling benefit. Projekt Finance International (PFI). https://www.stblaw.com/docs/default-source/related-link-pdfs/pfi--ira's-hidded-recycling-benefits_june-2023.pdf?sfvrsn=5fb96121_2#:~:text=THE%20INFLATION%20REDUCTION%20ACT%20OF%202022%20MAKES%20AVAILABLE%20AN%20INVESTMENT,CLOSER%20TO%20A%20CIRCULAR%20ECONOMY

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