Marchés actions: stop ou encore?

Emmanuel Kragen, Kepler Cheuvreux Solutions

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Difficile d’être véritablement négatif avec une telle dynamique de révisions bénéficiaires.

Stop ou encore? La question est légitime: le positionnement des investisseurs en actions est très élevé, avec en particulier un levier important pris par les investisseurs individuels; les valorisations sont tendues tant aux Etats-Unis qu’en Europe; la crise sanitaire est loin d’être terminée (bien au contraire, les chiffres de contamination sont au plus haut au niveau mondial); et la saisonnalité n’est pas favorable, le joli mois de mai étant généralement très volatil.

Jusqu’à présent, les marchés actions ont largement ignoré plusieurs facteurs négatifs: la résistance de la pandémie dans de larges parties du monde, la mise en place de mesures de reconfinement dans certains pays (en Allemagne ou au Japon par exemple) ou encore les annonces de hausses d’impôts aux Etats-Unis (mais aussi au Royaume-Uni) pour aider au financement des plans de relance. Au lieu de monter, la volatilité s’est en fait effondrée, retrouvant des niveaux d’avant mars 2020.

Cela étant, nous observons depuis quelques semaines une certaine incertitude chez les investisseurs. Ainsi, les choix en termes de styles d’investissement sont moins tranchés. Le Value recommence à sous-performer, alors que le style Momentum et la Qualité se comportent en revanche très bien. Tout ceci témoigne d’un manque de visibilité et de conviction. Les taux longs se sont aussi détendus, traduisant une moindre confiance des investisseurs obligataires dans le thème de la reflation.

Le redressement européen devrait être moins puissant qu’aux Etats-Unis, en raison d’une politique reflationniste moins forte.

Des prises de profit temporaires sont probables, à l’instar de celles enregistrées en septembre / octobre dernier, et peut-être même souhaitables. Pour autant nous ne croyons pas à l’amorce d’un véritable marché baissier au cours des prochains mois: les marchés actions restent soutenus par l’abondance des liquidités, les discours accommodants – pour ne pas dire lénifiants – des banquiers centraux, et, surtout, par les perspectives d’un très fort redressement de l’activité économique: ce dernier est en cours aux Etats-Unis; il devrait se matérialiser dans le courant de l’été en Europe. Le cycle américain bénéficie notamment de l’avancée de la campagne de vaccination et d’une relance budgétaire exceptionnellement forte. Biden a d’ores et déjà tenu une partie de ses promesses. «Shots in the arm, money in the pocket»: que peut-souhaiter de plus le consommateur américain? Son moral s’est fortement amélioré au cours des deux derniers mois, le marché de l’emploi se redresse rapidement, l’épargne des ménages accumulée durant la crise commence à alimenter un fort rebond de la consommation, l’investissement des entreprises explose. Le redressement européen devrait être moins puissant qu’aux Etats-Unis, en raison d’une politique reflationniste moins forte, d’une campagne de vaccination plus laborieuse et d’une épidémie plus persistante, mais la hausse des indicateurs avancés montre que la croissance de la zone euro pourrait tout de même avoisiner 4% cette année (contre 6,5% voire plus aux Etats-Unis).

Nous n’anticipons pas d’inflexion de la croissance économique, sauf retour de la pandémie, avant le milieu de 2022. Dans ce contexte, la progression des bénéfices par action des entreprises devrait rester très soutenue, un peu au-dessus des attentes, et constituer un facteur de soutien fort aux marchés actions, au-delà des accès de volatilité de court terme. Les hausses de BPA devraient plus que compenser la compression attendue des multiples de valorisation liée à la remontée des taux longs. L’environnement reste donc plutôt porteur pour 2021 même si la partie «facile» du rallye est probablement derrière nous. Nous n’excluons pas des périodes agitées, avec des baisses de 5 à 10%, qui libèreront autant de points d’entrée.

La hausse des impôts constitue pour les BPA un risque de second ordre par rapport à l’ampleur de la croissance économique attendue.

Parmi les principaux risques, outre les classiques risques géopolitiques (Chine, Russie, Iran…) et politiques (élections allemandes, italiennes et françaises), citons l’excès de confiance des investisseurs, une éventuelle remontée intempestive des taux longs (craintes inflationnistes, erreur de politique monétaire) ou à l’inverse une croissance qui décevrait les anticipations (4ème vague pandémique, comportement d’épargne de précaution de la part des ménages, ralentissement chinois trop marqué). La probabilité de réalisation de ces risques est relativement modérée. Nous notons toutefois que la sous-performance du marché japonais ces dernières semaines s’explique par la combinaison d’une montée du risque politique (possible défaite du Premier Ministre Suga aux législatives d’octobre), d’une résurgence pandémique et de l’arrêt du soutien de la BoJ aux marchés financiers (arrêt temporaire, la BoJ ayant dû ultérieurement reprendre ses achats de titres).

La hausse des impôts aux Etats-Unis est évidemment un facteur négatif, elle devrait peser sur les multiples de valorisation, mais elle constitue pour les BPA un risque de second ordre par rapport à l’ampleur de la croissance économique attendue.

2022 devrait être plus compliquée que 2021, avec un ralentissement durable de la liquidité (qui devrait être annoncé à l’automne) et de la croissance économique. En attendant, tactiquement nous privilégions les actions présentant des profils asymétriques, notamment les entreprises de qualité décotées et les valeurs cycliques en retard sur la réouverture des économies.

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