Libéré, délivré, déglobalisé!

Julien Serbit, Prime Partners

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Après le choc des derniers jours sur les actions, il est prudent de prendre le temps de la réflexion pour ajuster son portefeuille.

Les annonces tarifaires de Donald Trump ont provoqué des réactions violentes sur les marchés financiers. L’ère de la globalisation à outrance va céder sa place à un système plus fragmenté auquel les entreprises vont devoir s’adapter. Après le choc des derniers jours sur les actions il est prudent de prendre le temps de la réflexion pour ajuster son portefeuille.

Il est difficile d’écrire une chronique pertinente dans une période où la volatilité des marchés actions est importante. Les réactions humaines remettent toujours les investisseurs face à la même incertitude concernant leurs placements quand l’avenir parait soudainement plus flou.

Je féliciterai d’abord les quelques-uns d’entre nous ayant vu venir l’impact des annonces tarifaires du «Liberation day» et ayant agi en conséquence dans leur portefeuille avant la débâcle des derniers jours. Ces investisseurs-là rejoignent ceux qui avaient compris dès 2008 que les subprimes allaient être un problème, qu’un virus venu de Chine allait causer une pandémie mondiale dès le début 2020 ou encore que Vladimir Poutine ne «massait» des troupes à la frontière ukrainienne pour rien en 2022.

Ce qui compte pour les investisseurs en ce moment c’est avant tout de bien cerner ce qui se dessine pour les trimestres à venir en termes de croissance et d’inflation et d’évaluer les impacts tarifaires sur les futurs résultats d’entreprises.

Et puis bien sûr il y a les autres. Celles et ceux dont les portefeuilles, pourtant bien diversifiés, n’ont pu échapper au plongeon récent et qui se retrouvent désormais submergés par un flux d’informations et d’opinions en tout genre typique de notre époque. On ne dira pas que c’était mieux avant mais presque.

Rien de bien différent pourtant au dernier mouvement de panique boursière que dans les précédents. Le marché réagit fortement dans un premier temps puis s’ajuste au fur et à mesure qu’il y voit plus clair…Vu autrement, quand un animal traverse la route vous ne dosez pas votre coup de frein n’est-ce pas?

Quelle perte de temps que de chercher des réponses à la situation actuelle en tombant dans la psychologie de comptoir concernant le président américain. Personne n’est dans la tête de Donald Trump et lui seul connait son agenda politique et économique. Ce qui compte pour les investisseurs en ce moment c’est avant tout de bien cerner ce qui se dessine pour les trimestres à venir en termes de croissance et d’inflation et d’évaluer les impacts tarifaires sur les futurs résultats d’entreprises.

Sur ces points et au risque d’être décevant, il me parait plus humble de dire qu’à ce stade très préliminaire nous n’en savons quasiment rien. D’abord parce que la situation est mouvante et évoluera, potentiellement rapidement. Ensuite parce qu’il est impossible de connaitre de manière agrégée la réaction des consommateurs face à des prix plus élevés sur de nombreux biens. L’inflation n’a pas provoqué un effondrement de la consommation aux Etats Unis, très loin de là même, mais plutôt une refonte des préférences de consommation, propre à chacun. Ce qui compte surtout pour le consommateur américain c’est qu’il garde son emploi et que bon an mal an il puisse maintenir son train de vie. Faites confiance à votre capacité d’adaptation, elle est phénoménale.

Revenons un instant sur le commerce mondial puisqu’il est au cœur des maux actuels que connaissent les marchés boursiers. Représentons le sous la forme d’un grand et beau magasin dont les vitrines, en perpétuelle transformation, aimantent les consommateurs du monde entier. Et bien considérons que Donald Trump vient d’annoncer qu’il allait refaire l’immeuble (il est dans l’immobilier non?). Du coup notre commerce mondial se retrouve «en travaux», des échafaudages viennent obstruer la vue des passants sur les devantures et on y accède un peu plus difficilement…Cependant et comme vous le savez «votre magasin reste ouvert durant toute la durée des travaux».

Un brin d’humour ne fait pas de mal quand les marchés sont difficiles et cette dernière analogie illustre surtout le fait que malgré les tarifs, les échanges commerciaux internationaux ne vont pas s’arrêter pour autant. Le commerce mondial va avant tout se réorganiser et devrait ralentir, en tout cas dans une première phase. Le mot récession n’est pas tabou et les Etats Unis devraient en connaitre une si une véritable guerre commerciale s’installe durablement. Cependant aucun gouvernement élu démocratiquement ne souhaite l’appauvrissement général de ses électeurs, la logique électorale sert généralement d’arme de dissuasion à des mesures venant nuire durablement aux votants et à leur capacité de consommation.

Ceci étant dit, que faut-il faire dans des portefeuilles diversifiés après un tel coup d’arrêt sur les actions? S’il s’agit d’investir avec un horizon temps suffisant alors mon avis est assez tranché…rien. En tout cas rien avant d’y voir plus clair, notamment à travers les chiffres économiques américains et les futures publications d’entreprises intégrant les premiers impacts des tarifs (pas celles du Q1 donc). Le terrain de jeu actuel est accidenté, il permet sans doute à certains spéculateurs (de talent !) de faire des «bons coups» mais pas d’investir à plus long terme en suivant une stratégie. Dans ces phases de transition, diversification et bon sens sont les maitres mots de la gestion de portefeuille. Contrairement à 2022 les marchés obligataires n’affichent pas jusqu’ici de lourdes pertes. L’or et les stratégies alternatives ont également soutenus les résultats de gestion de ceux qui les avaient intégrés à leur allocation d’actif en 2025.

Le focus pour les semaines à venir devrait être mis sur la surveillance des marchés obligataires, le sujet de la dette américaine étant sensible, et ainsi s’assurer que la «maladie tarifaire» ne gagne pas du terrain en ayant des répercussions là où on ne les envisageait pas de prime abord. La confiance est une chose sensible et qui s’évapore rapidement. Celle que les investisseurs placent dans les obligations gouvernementales américaines se trouve fragilisée par l’attitude de l’administration américaine. Certains n’hésitent d’ailleurs plus à évoquer un potentiel défaut partiel à venir sur la dette gouvernementale. Le niveau spectaculaire des tarifs présentés par Donald Trump ne serait que l’expression de l’urgence de la situation. Nous n’en sommes pas là et espérons ne jamais y être mais les événements récents nous contraignent à ne pas ignorer complétement cette hypothèse.

Ne rien faire est une décision active d’allocation. Elle n’est peut-être pas la plus glamour ou la plus audacieuse (encore que…) mais quand l’incertitude est grande et qu’un choc de marché vient de se produire elle a le mérite de laisser retomber les émotions et nous permet d’y voir plus clair.

Confondre statu quo et attentisme est une erreur à éviter même si nos émotions nous poussent souvent à la commettre.

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