Les bourses européennes souffrent d’une désaffection grandissante et la période actuelle renforce ce sentiment.
L’heure est grave parait-il pour le vieux continent. Nous serions largués, dépassés. Le retour de Donald Trump et l’ère de l’intelligence artificielle seraient selon certains les fossoyeurs de l’Europe, reléguant un peu plus les actions de la zone derrière leur toutes puissantes homologues américaines. Au-delà de ces effrayants (ou effarants tout dépend du point de vue adopté) discours il y a presque encore pire…Ils sont bien souvent relayés par des investisseurs européens eux-mêmes, comme motivés par l’idée d’accabler les économies européennes et les résultats de leurs entreprises. Alors ont-ils raison?
La réponse est évidemment non. Les chiffres sont bien sûr les chiffres et depuis maintenant de longues années la comparaison entre les indices Stoxx 600 et le S&P 500 n’est pas flatteuse pour l’Europe. Mais les indices ne donnent ils pas avant tout… des indices?
Il est indéniable que les tailles de l’économie américaine versus celles des économies européennes, pourtant assez comparables après la crise de 2008, n’ont de loin pas connu la même évolution. L’oncle Sam ne joue plus dans la même ligue. Il est aisé de sortir toute une batterie de statistiques démontrant à quel point les trajectoires des deux grands blocs ont divergé depuis quinze ans et de s’apitoyer sur une soi-disant inefficacité européenne qui serait devenue chronique et dont les performances boursières ne seraient que le juste reflet, la faute, entre autres, à une obsession régulatoire. Mais pourquoi Diable devrions-nous sans cesse comparer l’Europe à l’Amérique quand il s’agit de construire un portefeuille?
Il y a de nombreuses années je me souviens avoir eu une discussion concernant les différents styles d’entrainements de tennis entre les académies américaines et européennes. Nous vivions la fin de l’âge d’or du tennis américain avec la rivalité entre «Pistol» Pete Sampras et André Agassi, le «kid de Las Vegas». Les académies floridiennes étaient alors à l’apogée de leur popularité et les méthodes militaires de Nick Bolletieri faisaient office de référence dans la création de champions. À cette époque, mon interlocuteur entrainait de bons juniors français et m’avait expliqué qu’en Europe on cherchait plutôt à rendre les points faibles des jeunes joueurs moins faibles et qu’aux États-Unis on préférait rendre leurs points forts plus forts…N’y voyons aucune analogie mais bien une différence d’état d’esprit.
Il parait plus juste d’accepter que certains secteurs dont celui de la technologie sont ultra dominés par des sociétés américaines mais sans oublier trop rapidement d’autres domaines où les sociétés européennes ont plus que leurs mots à dire.
Pendant que certains se lamentent à dire que l’Europe a raté le virage de la technologie d’autres gardent heureusement en tête qu’il y a aussi des secteurs où les entreprises européennes dominent leurs marchés, vendant leurs produits et services partout dans le monde. La Suisse est d’ailleurs l’une des championnes de cet exercice. Si l’on prend le temps de regarder un peu les performances boursières de nombreuses sociétés européennes voir même de certains indices sectoriels européens on ne peut que se dire que des opportunités d’investissement il y en a eu au cours des dernières années!
L’évolution des marchés actions mondiaux a désigné depuis quinze ans les États-Unis comme les grands vainqueurs en termes de capitalisation boursière. C’est un fait et il n’y a pas à le remettre en cause. Ni l’Europe ni la Chine n’ont été en mesure de rivaliser avec l’accroissement des géants de la technologie américaine et ceci ne semble pas devoir changer de sitôt. Il n’empêche que dans le même temps, des entreprises européennes ont connu des parcours remarquables et ce dans quasiment tous les secteurs. Partir du principe que la grande majorité des belles histoires boursières se trouve d’un seul côté de l’Atlantique et qu’il faudrait dès lors délaisser l’Europe est une erreur de construction de portefeuille qui porte un sérieux coup de canif à la diversification.
Il parait plus juste d’accepter que certains secteurs dont celui de la technologie sont ultra dominés par des sociétés américaines mais sans oublier trop rapidement d’autres domaines où les sociétés européennes ont plus que leurs mots à dire. On pense bien sûr au luxe, à la santé ou à divers pans de l’industrie, notamment ceux liés à la transition énergétique. N’est-il pas un signe intéressant que de voir une entreprise européenne réussir à réaliser une grande part de ses ventes à l’international et faire reconnaitre son savoir-faire en dehors de ses frontières? On ne parle pas ici de pâtisseries françaises ou de montres suisses mais bien d’entreprises cotées dont les parcours boursiers et la qualité des bilans justifie largement leurs présences dans une allocation en actions. Sur les cinq dernières années les performances de grosses capitalisations comme Siemens, Novo Nordisk, ABB, Schneider, Hermes ou même SAP et ASML dans la technologie n’ont rien à envier à celles de Microsoft, Amazon ou Apple. Pourtant à en croire certains esprits chagrins le jeu n’en vaudrait pas la chandelle et les entreprises américaines «aspireraient» de toute façon toutes les opportunités de gagner de l’argent sur les marchés.
Vous l’aurez compris je ne suis pas partisan du «European bashing» et autres caricatures (parfois très drôles je le concède) décrivant l’UE comme une terre de régulation à outrance et dont la seule innovation récente serait d’avoir fixé les bouchons des bouteilles en PET pour les rendre plus écologiques. Il est plus juste de voir les actions européennes comme un complément indispensable au marché américain. Acceptons plutôt qu’en termes de taille et de technologie, il est peu probable que l’Europe rivalise à nouveau prochainement, sans pour autant perdre tout intérêt pour l’investisseur.
Les actions européennes requièrent peut-être plus d’efforts en termes de sélection de titres à contrario d’une exposition passive au S&P 500 souvent largement satisfaisante pour les investisseurs en actions américaines. Les mentalités européennes vis-à-vis des marchés financiers sont également différentes (et plus frileuses reconnaissons-le) de ce qui prévaut de l’autre côté de l’Atlantique surtout quand Donald Trump et son équipe font souffler un vent d’ultra libéralisme et de dérégulation.
Il n’en demeure pas moins que renoncer à investir en actions européennes revient à se priver de leaders dans de nombreux domaines et c’est bien la complémentarité qui est recherchée dans la construction de portefeuille. Cette complémentarité on la trouve en investissant des deux côtés de l’Atlantique et en misant sur les points forts de chaque zone.
La course à la taille des capitalisations ou à la création de géants de la technologie ne sont plus des objectifs crédibles pour les bourses européennes mais il y a fort heureusement de nombreux autres domaines où les entreprises du vieux continent mènent la danse. Encourageons-les en premier avant de nous apitoyer sur des éléments où nous ne dominons pas. Les investisseurs européens ont des points forts à rendre plus forts encore. Après tout le revers de «Pistol» Pete, relativement moyen comparé au reste de son jeu, ne l’a pas empêché de devenir une légende.