Les risques d’une destitution du gouvernement français

Arthur Jurus, ODDO BHF

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L’Etat pourrait être contraint de suspendre certains projets d’investissement et de retarder l’attribution de contrats publics.

©Keystone

 

Depuis la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, la France traverse une crise politique sans précédent. Entre l’usage de l’article 49.3, les votes de défiance et une instabilité politique prolongée, les implications pour l’économie française sont nombreuses.

Pourquoi le gouvernement de Michel Barnier est-il menacé? La situation politique actuelle est marquée par une fragmentation extrême de l’Assemblée nationale. Les élections législatives de juillet 2024 ont abouti à une dispersion des forces politiques. Michel Barnier, Premier ministre, se retrouve isolé et doit composer avec des alliés de coalition rivaux. Par ailleurs, il porte le poids d’un budget 2025 très impopulaire. Tentant de réduire un déficit budgétaire dépassant 6% du PIB, il propose des hausses d’impôts et des coupes dans les dépenses publiques. Ces mesures, bien qu’indispensables, ne satisfont aucun parti, chacun cherchant à protéger sa base électorale.

Comment un vote de défiance pourrait-il renverser le gouvernement? Pour faire passer son budget, Michel Barnier a recours à l’article 49.3 de la Constitution, qui engage la responsabilité du gouvernement. Ce mécanisme permet d’adopter un texte sans vote, à moins qu’une motion de censure ne soit déposée et adoptée dans les 48 heures. Pour réussir, une telle motion doit obtenir une majorité absolue de 289 voix à l’Assemblée. Dans l’état actuel des forces politiques, cette majorité ne pourrait être atteinte que par une alliance improbable entre le bloc de gauche (193 voix) et le RN (142 voix). Cependant, si le RN décidait de soutenir une telle motion, le gouvernement tomberait.

Que se passe-t-il si Barnier est destitué? Si la motion de censure est adoptée, Michel Barnier devra présenter la démission de son gouvernement au président de la République. Ce scénario ne s’est produit qu’une seule fois sous la Cinquième République, en 1962, avec la chute de Georges Pompidou. Cependant, Emmanuel Macron ne pourrait pas suivre l’exemple de Charles de Gaulle, qui avait dissous l’Assemblée à l’époque, car une dissolution est interdite avant juillet 2025. Le président pourrait prendre plusieurs semaines pour nommer un nouveau premier ministre. Entre-temps, un gouvernement démissionnaire gérerait les affaires courantes, mais cette situation prolongerait l’incertitude politique et économique. Une autre coalition stable semble improbable, et l’option d’un gouvernement technocratique ne ferait que repousser les décisions difficiles.

Quelles seraient les implications budgétaires? En l’absence de gouvernement stable et de budget voté, la France devrait recourir à une procédure d’urgence prévue par l’article 47 de la Constitution. Cette disposition permet de reconduire provisoirement le budget de l’année précédente, mais ne règle pas les problèmes structurels. Le report des ajustements budgétaires aggraverait également le déficit public et la dette, augmentant ainsi le coût du service de la dette et le niveau global d’endettement.

Quelles conséquences pour l’économie? La crise politique et budgétaire a déjà des effets mesurables sur l’économie française. Les dernières enquêtes de conjoncture montrent une baisse de la confiance des entreprises et des ménages, plus marquée en France que dans les autres pays européens. Les entreprises reportent leurs investissements et leurs embauches, tandis que les ménages privilégient l’épargne. En parallèle, l’Etat pourrait être contraint de suspendre certains projets d’investissement et de retarder l’attribution de contrats publics. Ces interruptions viendraient s’ajouter à une conjoncture déjà difficile, marquée par un ralentissement post-Jeux Olympiques et une stagnation, voire une contraction du PIB.

Quel avenir pour la politique française? Si Michel Barnier est contraint de quitter ses fonctions, Emmanuel Macron devra naviguer dans un environnement politique toxique jusqu’aux prochaines élections législatives, prévues en 2027. Les divisions profondes entre les blocs politiques rendent toute réforme substantielle peu probable, renforçant l’image d’une France ingouvernable. En l’absence d’un nouveau leader capable de rassembler ou de renouveler les alliances politiques, la France semble condamnée à l’instabilité et aux ajustements de court terme.

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