Ne pas avoir adhéré au narratif boursier sur l’intelligence artificielle pénalise lourdement cette année les investisseurs restés à l’écart de ce thème.
En 1994 Steve Jobs déclarait que la personne la plus puissante était celle qui savait raconter une histoire. Nul besoin de rappeler les qualités de visionnaire de l’emblématique cofondateur d’Apple mais force est de constater que trente ans plus tard ce discours fait plus de sens que jamais.
L’année 2023 approche de son terme et constitue un exemple supplémentaire de la toute-puissance des discours dont les investisseurs sont friands, quitte à minimiser certains éléments de la réalité. En effet, hormis le fait de prendre le relais d’une année 2022 catastrophique pour les marchés financiers, on ne peut pas vraiment dire que l’environnement macroéconomique et la géopolitique cuvée 2023 méritent une grande admiration concernant leurs évolutions des dix derniers mois.
Sans revenir sur l’ensemble des éléments guère porteurs d’optimisme pour l’avenir du monde et donc théoriquement pour celui des indices actions cette année, nous retiendrons notamment le vacillement de quelques banques régionales américaines, le «sauvetage-faillite» du Credit Suisse ou encore une vague impression de fuite en avant de la dette publique au pays de l’oncle Sam. S’ajoutent à cela des tensions militaires désormais permanentes avec en point d’orgue les évènements récents au Proche Orient et l’enlisement du conflit Ukrainien.
Oui mais au-delà de tout ça, il y a la puissance du «storytelling» et le fait que les marchés ont pour habitude d’anticiper les bonnes nouvelles dont les potentiels impacts positifs se situent dans le futur. C’est bien sous cet angle que 2023 se mue en bonne année dans l’esprit d’une majorité d’investisseurs et ce pour deux raisons principales: premièrement, la saga «inflation – niveau des taux» s’achemine dans l’esprit des opérateurs vers un happy end dans lequel des baisses de taux sont actées. Secondement, l’entrée dans l’ère de l’intelligence artificielle et l’avènement de Chat GPT indiquerait que le monde est en route pour un nouveau bouleversement technologique, rappelant celui induit par l’arrivée des smartphones il y a quinze ans.
Ce constat ne nous aide évidemment pas à mieux anticiper le futur des bourses mondiales ni même à savoir quand et sur quoi investir l’année prochaine. Nous pouvons en revanche tirer quelques leçons de cette année pour la moins paradoxale, dans laquelle le monde semble aller de plus en plus mal par certains aspects et les marchés actions de plus en plus haut…dans certains secteurs notamment.
Nous retiendrons donc de 2023 qu’il aura été préférable de s’exposer à une tendance, l’intelligence artificielle, dont il est trop tôt à ce stade pour mesurer concrètement les retombées financières à venir, mais dont les espoirs de croissance sont très largement adoubés.
En d’autres termes, quand le storytelling devient très puissant, mieux vaut garder un œil dessus (ou plutôt un pied dedans), même si l’on est dubitatif. Cette année, les performances réalisées sur les actions par des investisseurs «IA sceptiques» sont souvent proches du néant et illustrent ce phénomène.
Dans un autre registre, on retiendra de 2023 que les doutes permanents sur l’avenir de la croissance économique et les craintes répétées d’une chute des résultats des entreprises n’auront pas suffi à provoquer un krach. Ce dernier aura pourtant été largement redouté tout au long de l’année et copieusement argumenté, souvent de manière effrayante. Il aura cependant manqué un détonateur venant surprendre les investisseurs et créant la panique parmi eux.
Les dynamiques boursières semblent désormais trop anticipatives pour être violemment prises de court par la réalisation concrète d’évènements largement débattus en amont et donc bien connus du grand public. Le Covid 19 ou la crise des subprimes n’ont pas fait l’objet de fortes anticipations avant leur survenue et ont amené un «potentiel panique» important.
Les investisseurs réagissent bien plus à ce qu’ils ne voient pas venir qu’à ce qu’ils craignent de manière régulière et qu’ils tentent de jauger à grands renforts d’indicateurs et de modèles.
Espérons donc pour 2024 (et pour toutes les autres années) qu’un des robots explorant Mars ne soit pas pris en otage par des extraterrestres supérieurement intelligents ou qu’une cyberattaque de grande ampleur ne vienne pas afficher la fragilité de nos sociétés désormais largement digitalisées.
Sans chercher si loin dans la hiérarchie des potentiels chocs exogènes aux sujets économiques et financiers habituels, il est tout à fait envisageable qu’à l’instar des évènements de mars dernier sur les banques régionales américaines, un grain de sable vienne gripper la mécanique de la finance mondiale, sans cette fois pouvoir être rapidement maitrisé par les banquiers centraux ou par les gouvernements.
A ce titre, l’endettement des grands états développés ou encore la frénésie spéculative des petits investisseurs durant les années Covid sont parmi les éléments qu’il est difficile de ne pas monitorer de près.
L’investisseur fondamental, dont la gestion est diversifiée et qui garde un horizon de long terme a finalement raison une grande majorité du temps mais comme le résume très bien Warren Buffett «personne ne veut devenir riche lentement».
En 2024, les opérateurs auront le choix entre plusieurs classes d’actifs qui sont à nouveaux sources de rendements, ce qui constitue un changement de paradigme vis-à-vis des années post 2008 où seules les actions étaient souvent vues comme un moteur crédible de performance parmi les actifs liquides.
Nul doute qu’il n’y aura pas plus de secret l’année prochaine que les précédentes pour faire fructifier son argent et que les maitres mots resteront diversification et flexibilité. Cependant, après une année telle que 2023 et en tenons compte de la diffusion croissante du storytelling auprès d’investisseurs toujours plus connectés, mieux vaudra peut-être se laisser conter certaines histoires, surtout celles que tous nos voisins croient.