Les marchés obligataires en 2024, à la confluence de deux cycles

Jean-Eudes Clot, BCV

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Cette année, l’environnement devrait être plus porteur pour les obligations internationales, qui regagnent de l’attractivité par rapport aux emprunts en franc.

En 2024, le ralentissement simultané de l’inflation et de la croissance permettra aux banques centrales d’amorcer la détente des taux d’intérêt, tandis que les gouvernements, Etats-Unis en tête, feront preuve de davantage de retenue fiscale. L’environnement devrait donc être plus porteur pour les obligations internationales, qui regagnent de l’attractivité par rapport aux emprunts en franc. Le crédit et le haut rendement sont toujours d’actualité, mais en privilégiant les durations courtes.

«Que tout change, pour que rien ne change»

2024 démarre sur un paradoxe. Les conditions économiques actuelles – croissance résiliente et inflation en forte baisse – sont diamétralement opposées à celles qui prévalaient en janvier 2023. Et pourtant, le rendement obligataire le plus suivi au monde, celui des obligations du Trésor américain à 10 ans, se traite sur les mêmes niveaux qu'un an auparavant.

En 2023, la Réserve fédérale (Fed) a procédé à quatre hausses de taux, une crise budgétaire a été évitée de justesse au printemps et la note souveraine des Etats-Unis a été abaissée pour la première fois depuis plus de dix ans. Une année mouvementée donc, qui a vu les taux longs franchir le seuil de 5%, un niveau inédit depuis la crise de 2008. Ce sont les progrès de la désinflation et le ton plus accommodant de la Fed qui ont ramené les rendements à leur point de départ, proche de 4%. L’annonce du pivot monétaire par la Fed a aussi permis d’apaiser les craintes entourant la hausse des déficits, d’autant plus qu’à l’approche des élections présidentielles, aucun nouveau plan de dépenses ne sera annoncé. Ce statu quo va soutenir les obligations dans les mois qui viennent.

La réputation d’actif refuge des emprunts de la Confédération ne s’est pas démentie.

Les emprunts en franc suisse se sont distingués par leur stabilité remarquable tout au long de l’année passée, combinant rendement positif et gains en capital appréciables. La réputation d’actif refuge des emprunts de la Confédération ne s’est pas démentie, conduisant à une forte compression des rendements. Revers de la médaille, le marché suisse est redevenu cher et, pour un portefeuille évalué en franc, les seuls taux souverains ne permettent plus de générer un rendement équivalent à l’inflation.

Pour les investisseuses et les investisseurs suisses, les solutions peuvent passer par une diversification accrue par rapport à 2023, sur le plan géographique comme sur celui de la qualité de crédit.

Du cycle de baisse de taux…

Les obligations internationales couvertes contre le risque de change ont regagné de l’attractivité, en particulier le marché des emprunts en dollar.

Leur taux de rendement, coût de couverture du risque de change compris, est revenu en ligne avec celui des emprunts suisses, après avoir été largement en dessous durant la majeure partie de 2023. Détenir ces titres ne représente donc plus une pénalité en matière de portage. Et surtout, ils devraient davantage profiter du cycle de baisse des taux qui se profile.

C’est la normalisation du marché du travail aux Etats-Unis qui a donné le signal de la détente des taux à partir de l’automne dernier. La baisse simultanée des taux de démission et des taux de vacance suggère que les déséquilibres entre offre et demande de travail sont en grande partie résorbés, ce qui redonne une certaine marge de manœuvre à la Réserve fédérale pour commencer à desserrer les conditions monétaires. Les contrats à terme indiquent que le taux directeur de la Fed va passer de 5,5% à 4% au cours des douze prochains mois. Cela représente 150 points de base de baisse cumulée, deux fois plus que ce qui est attendu de la part de la Banque nationale suisse (BNS). Ces attentes demeurent réalistes, car les conditions monétaires actuelles sont particulièrement restrictives, d’autant que le bilan de la Fed continue de baisser à un rythme soutenu. Un taux directeur à 4% est du reste compatible avec le maintien d’un taux réel positif, pour autant que l’inflation de base diminue aux alentours de 3% d’ici la fin de l’année, une hypothèse qui semble réaliste.

La vraie question n’est pas «combien?», mais «quand?». Le consensus de marché pour une première baisse en mars est toujours d’actualité, mais il n’est pas solidement ancré, et sera soumis à rude épreuve lors de la réunion de la Fed de fin janvier. Les chiffres d’inflation et de coûts salariaux de décembre, en demi-teinte, combinés à un contexte géopolitique tendu au Moyen-Orient pourraient, en effet, inciter la Fed à repousser la première baisse, quitte à compromettre le scénario d’un atterrissage en douceur. La volatilité sur les rendements sera donc à l’ordre du jour durant les premiers mois de l’année, mais devrait rester modérée par rapport à 2023, et les interrogations d’alors du marché sur la fin du resserrement.

En définitive, la diversification par le biais des emprunts étrangers de bonne qualité couverts peut prendre du sens. Par ailleurs, il pourrait être possible de profiter d’éventuelles corrections pour allonger les durations.

… au cycle de crédit

Les emprunts à haut rendement ont été un moteur de performance important en 2023, grâce à un niveau de rendement élevé combiné à une compression significative des spreads de crédit. Les taux de rendement restent intéressants à l’orée de 2024, mais avec des spreads désormais normalisés, il n’est pas réaliste de projeter les performances à deux chiffres de 2023 sur l’année à venir.

Il est préférable de partir du principe que les performances seront proches du taux de rendement actuel, ou même légèrement inférieures en cas de dégradation des conditions de crédit. Avec des rendements proches de 8% en dollar, auxquels il faut retrancher environ 3% de coûts de couverture, les portefeuilles évalués en franc peuvent donc tabler sur une performance de 4% à 5% sur cette catégorie d’émetteurs en dollar et en euro.

Il convient de privilégier les durations courtes sur les notes de crédit plus élevées (BB), afin de limiter le risque lié au refinancement de la dette. Les perspectives sur le crédit sont assombries par les risques sur la croissance et la profitabilité, qui pourraient aboutir à une dégradation soudaine des conditions financières. Il faut néanmoins souligner que la qualité des bilans a eu tendance à se renforcer depuis la crise du COVID, qui a en quelque sorte fait office d’avertissement, et que le marché du crédit est bien plus solide qu’il ne l’était il y a cinq ans.

La diversification est un concept qui a été durement éprouvé lors de la dernière crise, mais les paramètres de marché ont profondément évolué depuis. Par rapport à une année 2023 marquée par la surperformance du marché domestique, il est aujourd’hui important pour les portefeuilles obligataires de varier à la fois les sources de rendement et de risque.

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