Les projets visant à taxer les plus aisés se multiplient dans le G20, qu’il s’agisse de frapper leur fortune ou leur héritage. Ce mouvement est lié à un déplacement d’intérêt de la part des partisans des hausses d’impôts. Leur attention se déplace de la fiscalité des entreprises à d’autres sources de recettes fiscales, les personnes fortunées, écrit Adam Michel, responsable des politiques fiscales auprès de l’institut Cato, dans un article du Geopolitical Intelligence Service.
Dans le cadre du G20, les ministres des finances d’Allemagne, d’Espagne, du Brésil et d’Afrique du Sud s’accordent progressivement sur le principe d’un impôt minimum pour les plus grandes fortunes. Le ministre français des finances espère même trouver un accord d’ici 2027.
L’Observatoire fiscal de l’UE, un laboratoire d’idées dirigé par Gabriel Zucman, fait figure de porte-drapeau de cette politique. Il propose un taux minimum de 2% sur les fortunes de plus d’un milliard de dollars. Faisant l’hypothèse d’un accord global, cet impôt rapporterait 200 à 250 milliards par an, indique-t-il. La question est évidemment de savoir si tous les pays partageront ce point de vue.
«La dernière étude d’UBS sur les fortunes dans le monde a récemment révélé une diminution des inégalités de fortune en Suisse depuis 2008».
Un changement de tendance
En France, les difficultés budgétaires ont amené Pierre Moscovici, le président de la Cour des Comptes, à briser un tabou. Le magistrat a repris l’idée du rapport Pisani-Mahfouz, celle d’un «impôt exceptionnel et temporaire» sur le patrimoine financier des 10% de Français les plus riches. L’Hexagone n’est pas seule. Les Nations Unies, l’UE et les membres du G20 se penchent sur la question, selon l’institut Tax Foundations, auteur d’une vaste recherche sur l’impôt sur la fortune aujourd’hui. Sous l’angle purement économique, cette volonté politique est-elle réellement bénéfique aux caisses de l’Etat? Ne remet-elle pas en question le droit de propriété?
Sur le plan historique, ces nouveaux projets briseraient clairement la tendance actuelle, celle d’une disparition progressive de l’impôt sur la fortune. La France fait d’ailleurs partie des derniers pays qui l’ont supprimé (2018, pour le remplacer par un impôt sur l’immobilier), après la Suède (2007) et le Luxembourg (2006).
Chacun sait qu’il ne reste que quatre pays au sein de l’OCDE à disposer d’un impôt sur la fortune (Suisse, Espagne, Norvège -qui a supprimé l’impôt de succession-, Colombie), selon une étude de Tax Foundation Europe.
En Norvège, cet impôt a été accru de 1 point, ce qui a occasionné de nombreux départs d’entrepreneurs, par exemple en Suisse. La Norvège impose une taxe de 1% sur la fortune nette dépassant 150 000 euros qui est répartie à hauteur de 0,7% pour les municipalités et 0,3% l’Etat central.
En Espagne, l’impôt sur la fortune est progressif et va de 0,16% à 3,5% (au-dessus de 70 000 euros) selon les régions. L’impôt de solidarité sur les richesses s’y ajoute, lequel est compris entre 1,7 et 3,5% au-delà de 3 millions d’euros.
Les objectifs initiaux et la réalité
Le but de cet impôt sur la fortune consistait initialement, outre à augmenter les recettes fiscales, à «faire travailler l’épargne» donc à inciter à prendre un risque entrepreneurial, selon un travail de recherche de Fatih Guvenen, Gueorgui Kambourov, Burhan Kuruscu, Sergio Ocampoa, and Daphne Chen («Use It or Lose It: Efficiency Gains from Wealth Taxation», The Quarterly Journal of Economics).
«Sur le plan historique, ces nouveaux projets briseraient clairement la tendance actuelle, celle d’une disparition progressive de l’impôt sur la fortune».
Pour Thomas Piketty, le directeur de thèse de Gabriel Zucman, cet impôt permet aussi de réduire les inégalités. L’économiste français propose un impôt sur la fortune nette de 1% entre 1 et 5 millions d’euros d’actifs nets et de 2% au-dessus de 5 millions. Le premier million serait donc exempté.
Divers travaux laissent penser que le résultat est opposé aux objectifs initiaux. Toujours selon la Tax Foundation, une taxe «Piketty» aux Etats-Unis conduirait à une baisse de 5,2% des salaires, à la perte d’un million d’emplois et à la diminution de 16% du stock de capital.
Cet activisme fiscal visant les plus aisés touche aussi la Suisse. Une initiative des Jeunes socialistes veut imposer à 50% les héritages des plus riches, au-dessus de 50 millions, en y ajoutant un effet rétroactif. La perspective de ce vote amène plusieurs entrepreneurs à se préparer à quitter le pays, à l’image de Peter Spuhler (Stadler Rail). Selon ce type de réaction, il ressort que cette initiative, plutôt que de faire travailler l’épargne, réduit l’entrepreneuriat. Le rapport coûts/bénéfices ne paraît guère favorable: Selon la presse, dans le canton de Genève, cet impôt réduirait les recettes fiscales de 400 millions.
Les recettes fiscales de l' impôt sur la fortune, lorsqu’il existe, sont de toute manière modestes. Elles représentent 0,1% du PIB en Espagne et 1,19% en Suisse. Et par rapport à l’ensemble des recettes fiscales, elles se montent à 0,51% en Espagne et 4,35% en Suisse. Cela confirme la thèse chère à Arthur Laffer selon qui trop d’impôts tue l’impôt.
L’objectif égalitaire des partisans suisses d’une plus forte fiscalité à l’endroit des plus aisés se heurte aux réalités. La dernière étude d’UBS sur les fortunes dans le monde a récemment révélé une diminution des inégalités de fortune en Suisse depuis 2008. Il convient de noter que cette étude n’intègre pas les avoirs de vieillesse, lesquels contribuent clairement à une plus grande égalité.
L’OCDE, aux avant-postes de l’idée d’une plus forte fiscalité des plus riches, a-t-elle oublié ses anciens rapports sur ce sujet? Dans son étude de 2018 («The Role and Design of Net Wealth Taxes in the OECD», OECD Tax Policy Studies), elle montrait qu’un impôt sur la fortune décourageait la prise de risque et l'entrepreneuriat, pénalisait l’innovation et freinait la croissance économique à long terme.
«L’opposition à l’impôt sur la fortune est également d’ordre juridique, selon la Tax Foundation».
Il reste à savoir si l’impôt sur la fortune n’est pas une atteinte à une liberté fondamentale, la propriété individuelle. La Tax Foundation propose de prendre l’exemple de la conversion de cet impôt en un impôt sur le revenu. Si par exemple un investisseur achète une obligation ayant un rendement annuel de 5%, un impôt de 3% sur la fortune correspond à une taxe de 60% sur le revenu de cette épargne. Une taxe de 5% sur la fortune correspond à une taxe de 100% sur le revenu de cet investissement. En Suisse, l’impôt sur la fortune est progressif et diffère d’un canton à l’autre. Mais, si l’on reprend l’exemple ci-dessus, il pénalise sensiblement l’épargnant puisque le rendement des obligations de la Confédération se limite à 0,58%.
Un problème juridique majeur
L’opposition à l’impôt sur la fortune est également d’ordre juridique, selon la Tax Foundation. La Cour constitutionnelle allemande a même déclaré l’impôt sur la fortune anticonstitutionnel en 1997. La Cour suprême des Pays-Bas a, elle, considéré, en 2021, que cette taxe violait la loi européenne sur les droits de propriété et les non-discriminations. Malgré l’introduction d’un projet alternatif en 2022, la même Cour a jugé en juin dernier que ce dernier était discriminatoire et que les épargnants devaient être compensés pour les taxes imposées sur des revenus fictifs.
Et l’an dernier, diverses provinces espagnoles (Galice, Andalousie, Madrid) ont fait appel auprès de la Cour constitutionnelle contre le nouvel impôt de solidarité sur la fortune. Selon une étude de la Tax Foundation, en Espagne, l’addition de l’impôt sur les revenus du capital et de l’impôt sur la fortune se traduisent par un taux marginal supérieur à 100%.
Adam Michel estime que le programme de travail actuel de l'OCDE est une raison suffisante pour le Congrès américain de supprimer le financement américain de l'organisation et de demander au président de se retirer de la convention d’organisation. La prochaine élection présidentielle américaine donnera sans doute la direction à prendre dans le G20 au cours des prochaines années.