Le besoin de diversification des sources d’approvisionnement est particulièrement marqué pour les matières premières critiques. La quête d’autonomie d’un pays ou d’une région est alimentée par les incertitudes géopolitiques rencontrées tant en Europe qu’ailleurs. La concentration de la production dans un pays instable ou hostile représente un trop grand risque pour la transition énergétique. C’est pourquoi l’UE a élaboré la loi dite Critical Raw Materials Act. Cette législation se penche exclusivement sur la concentration de la production mais elle ignore celle du capital, comme le montre une étude publiée par le Centre for Economic Policy and Economic Research (CEPR): «Capital in the 21st Century: Ownership of the firms producing raw Materials» (2024). Or le contrôle du capital importe davantage que la géolocalisation des sites de production.
L’étude, dont deux auteurs sont des économistes à la Banque de France, montre que l’analyse de la propriété et des sources de contrôle se traduit par une image complètement différente de celle de la production. Il arrive certes que le capital et la production soient alignés, par exemple dans le cas des terres rares. Mais en ce qui concerne le cobalt et le nickel, tel n’est pas du tout le cas. Les entreprises chinoises en sont de grands propriétaires alors que la production de ces matières premières se situe soit en Indonésie (nickel) soit au Congo (cobalt).
«Il apparaît que la Chine et les Etats-Unis sont les mieux placés.»
Le pouvoir de la Chine et l’absence de l’Europe
L’analyse du contrôle et la recherche du bénéficiaire ultime d’une mine n’est pas aisée. Les auteurs expriment logiquement un besoin de transparence accrue et recommandent de développer une stratégie d’autonomie spécifique à chaque commodity stratégique.
Les économistes développent un modèle mettant en évidence l’origine des actionnaires pour le cobalt, le nickel, le cuivre et les terres rares. L’évaluation du taux de propriété pondéré de la production souligne le poids de la Chine et des Etats-Unis et l’absence de l’UE au sein des matères premières clés de la transition énergétique. Il apparaît que la Chine et les Etats-Unis sont les mieux placés. Le taux de propriété de la Chine s’élève à 73% pour les terres rares, 14% le nickel, 19% le lithium, 17% le cuivre, 28% le cobalt. Celui des Etats-Unis atteint respectivement 15% pour les terres rares, 17% le nickel, 31% le lithium, 27% le cuivre, 5% le cobalt. En revanche, l’UE présente des taux négligeables ou nuls, soit 0% pour les terres rares, 2% le lithium, 4% le cobalt, 7% le cuivre et 19% le nickel (dont 15% par des investisseurs russes). L’Europe est un continent absent de la carte, selon cette étude, d’autant plus si l’on sait que les propriétaires ultimes de diverses sociétés établies à Chypre sont russes.
Les investisseurs chinois sont généralement des investisseurs dits stratégiques, à hauteur de 86% dans les terres rares. Ces investisseurs stratégiques dépassent aussi la barre des 33% dans le cobalt, le lithium et le cuivre.
«Sur le marché du cuivre, le Chili est certes le premier producteur, mais la Chine contrôle la plus grande partie du marché (11,2%)».
Les propriétaires ultimes
La recherche des propriétaires ultimes de matières premières stratégiques est l’objet d’une autre étude, cette fois du Peterson Institute for International Economics, laquelle confirme le rôle croissant de la Chine dans ce domaine (Green Energy depends on critical minerals. Who controls the supply chain? Août 2022).
Les auteurs s’inquiètent du fait que les réserves des matières premières stratégiques appartiennent souvent à des gouvernements, en particulier au gouvernement chinois, lequel peut donc interférer dans la marche des affaires des sociétés minières présentes sur leur sol. En revanche le contrôle des groupes miniers occidentaux est souvent le fait de fonds de placemnent passifs. Le gouvernement américain n’a ici aucun pouvoir d’intervention, à moins que l’Etat n’invoque le Defense Production Act qui date de 1950.
Cette analyse de vulnérabilité de la chaîne de valeur de quatre commodities introduit le concept de sources de contrôle (SOC). Ce concept se traduit par un indice de contrôle appelé Zeno Index (allant de 0 à 1, où 1 correspond au contrôle total). Les SOC chinoises contrôlent ainsi 24% du marché du cobalt. L’analyse du contrôle révèle donc que les deux principaux acteurs dans le marché de cette matière première ne sont pas les lieux de production, soit le Congo et la Russie, mais la famille Glasenberg et la Chine. L’Europe est à nouveau absente.
Par ailleurs, sur le marché du cuivre, le Chili est certes le premier producteur, mais la Chine contrôle la plus grande partie du marché (11,2%), selon cette étude. L’Australie est le premier producteur de lithium, mais les SOC chinoises contrôlent 33% du marché. Cette approche permet donc de mieux identifier les risques géopolitiques liées aux matières premières critiques.