Les bilans privés américains sont plutôt solides

Yves Bonzon, Julius Baer

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Les bilans privés américains semblent en bonne santé financière. Cela soulève la question de savoir ce que la Fed devrait ou ne devrait pas faire en cette année électorale.

Évaluer la santé des bilans du secteur privé est important parce que cela conditionne la transmission d’éventuelles baisses des taux d’intérêts. Aux États-Unis, nous distinguons six groupes de bilans privés: ceux des ménages et ceux des entreprises, ces derniers étant divisés en cinq sous-groupes. Nous ne disposons pas des données de comptabilité nationale agrégées pour les cinq sous-catégories du secteur des entreprises, mais comme investir consiste à avoir approximativement raison plutôt que précisément tort, nous pouvons estimer la situation de chacun de ces sous-secteurs.

Les ménages américains sont riches en agrégé, et leur fortune nette a doublé depuis 2008 à plus de 150 mille milliards de dollars. Leurs dettes ont peu augmenté ces 15 dernières années et l’essentiel est constitué d’hypothèques à 30 ans que les ménages ont astucieusement refinancé lorsque les taux étaient au plus bas. Nous savons qu’ils paient en moyenne 3,65% sur la dette à 30 ans, par exemple, ce qui est nettement inférieur au taux actuel. Ils ont également beaucoup de liquidités qui ont bénéficié de la montée des taux d’intérêt à 5% et plus. Les investissements en actions et dans l’immobilier résidentiel les ont protégés de l’inflation de 2021 et 2022. Gardez à l’esprit que le pouvoir d’achat moyen des Américains a été érodé de plus de 20% depuis janvier 2020 en raison de l’inflation. Si la Réserve fédérale venait à baisser les taux prématurément, les ménages américains seraient potentiellement en mesure de s’endetter davantage.

Selon certaines estimations, l’effet combiné de la réduction de la demande de surfaces et de la baisse des loyers devrait réduire le parc locatif des bureaux à New-York d’environ 40% entre 2020 et 2030. 

Du côté des sociétés, la situation est beaucoup plus variée. On a déjà évoqué la santé éclatante des grandes sociétés qui peuplent l’indice S&P 500. Sur une base nette, ces entreprises ont probablement finalement profité de la hausse des taux en raison de leur bilans riches en liquidités et de leur faible endettement à taux fixes. En revanche, les petites capitalisations américaines cotées ont souffert en raison de la mauvaise qualité de leur bilans (en moyenne, il y a des exceptions) et de leurs marges bénéficiaires moins élevées. Il y a trois autres sous-catégories d’entreprises à prendre en compte. La première comprend les entreprises profitables détenues par des sociétés de capital-investissement. Dans cette catégorie, qui a nourri la montée en puissance de la classe d’actifs de la dette privée, les bilans sont plus endettés et ce à relativement court terme. Elles sont donc plus sensibles aux variations du coût du capital. La seconde constitue les sociétés privées détenues par des familles ou des investisseurs privés, qui sont pour leur part généralement gérées de manière conservatrice étant donné que les propriétaires risquent leur propre capital. Finalement, il y a les bilans des start-ups financées par des sociétés de capital-risque. Les investissements de type capital-risque se sont considérablement développés ces dernières années. Les start-ups soutenues par des sociétés de capital-risque ont besoin de capitaux pour se développer et sont financées presque entièrement par des fonds propres. Elles ont profité de la vague d’enthousiasme de 2020 et 2021 pour lever des capitaux considérables, soit directement, soit via les fonds de capital-risque. Ce boom de levées massives de capitaux a d’ailleurs conduit à l’effondrement de la Silicon Valley Bank voici une année déjà. D’un côté, lever du capital pour ces start-ups a été pratiquement impossible au cours des deux dernières années, mais pour contrer cette difficulté elles peuvent réduire leur rythme d’expansion et donc leurs dépenses, et ne constituent de toute façon par un secteur économique suffisamment important pour poser un risque systémique.

Cette édition ne saurait être complète sans mentionner le problème de l’immobilier commercial de bureau. Il est important de préciser «de bureau» parce que la situation globale dans le secteur immobilier non-résidentiel varie d’un secteur à l’autre et d’une géographie à l’autre. Nous disposons d’analyses assez précises sur la situation actuelle du secteur de l’immobilier commercial de bureau américain ainsi que sur les banques et fonds d’investissement privés qui y ont investi du capital. Pour citer un exemple marquant de l’un des marchés les plus durement touchés, selon certaines estimations, l’effet combiné de la réduction de la demande de surfaces et de la baisse des loyers devrait réduire le parc locatif des bureaux à New-York d’environ 40% entre 2020 et 2030. Les entités Cotées reflètent d’ores et déjà cette perspective et les pertes sur les prêts bancaires sont absorbables par les banques concernées, en l’absence de pertes plus généralisées dans le cas d’une récession aux États-Unis.

En résumé, si l’on exclut les sociétés à petite capitalisation américaines cotées en bourse et les sociétés privées soutenues par le système bancaire de l’ombre (le «shadow banking system»), les bilans privés américains semblent toujours en bonne santé financière. Cela soulève la question de savoir ce que la Fed devrait ou ne devrait pas faire en cette année électorale 2024.

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