2024: une année sensible aux chocs externes

Nicolette de Joncaire

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Avec une prise de risque normalisée depuis fin 2023, les marchés sont plus vulnérables aux secousses. Ce qui laisse augurer d’une année volatile. Entretien avec Yves Bonzon de Julius Baer.

Alors que début 2023 le consensus concluait à une récession inéluctable aux Etats-Unis dans l’année, le CIO de Julius Baer, Yves Bonzon, se positionnait de manière contrariante, n’y percevant pas de signes significatifs de crise. Depuis, le sentiment a considérablement évolué et tous s’accordent sur un avenir plutôt clément. Le point de départ de 2024 est aux antipodes de celui de l’année précédente mais attention, le marché peut être victime de revers imprévisibles. Entretien. 

Quel bilan pour 2023?

Début 2023, le marché pensait la récession inéluctable aux Etats-Unis – sentiment auquel je n’adhérais pas - et ce n’est qu’en novembre que le sentiment s’est retourné. Du coup, la hausse des marchés a été tellement forte en fin d’année que beaucoup de gérants ont été déstabilisés. Aujourd’hui il n’y a plus de signes de récession, pour personne. Le consensus s’est modifié, rejoignant ainsi notre analyse. Mais attention, l’optimisme peut être traitre. Le marché est devenu vulnérable aux surprises. En cas de choc externe imprévisible, une prise de risque normalisée peut avoir un effet très négatif. En termes de gestion d’actifs, 2023 s’est montré normalement difficile pour l’allocation d’actifs et très difficile pour la construction de portefeuille. La raison en est une grande concentration de la performance sur les marchés américains et sur la tech qui entrave le bon déploiement du capital. Notez que cette concentration n’avait rien d’inattendu. Le marché est toujours concentré quand les taux montent et se diversifie lorsqu’ils baissent. Cette année 2024 s’annonce sous des auspices différents: nous nous attendons à un élargissement de la participation à la hausse. La construction de portefeuille sera plus facile mais l’allocation plus difficile. 

 En l’absence de dispersion, il n’y pas actuellement d’opportunités particulièrement tentantes mais il n’y a pas non plus de raisons de vendre. Et le cash reste compétitif. 

Quelle est votre point de vue sur la crise obligataire de 2023?

Il y a eu la crise de Silicon Valley Bank, puis celle de Credit Suisse… et des hausses de taux directeurs de la Fed en juillet puis en octobre qui ont mené le 10 ans US au-delà de 5%. Une situation pour le moins compliquée pour l’obligataire! Ceci dit une correction était inéluctable: les taux réels se trouvaient autour de -1% au lendemain de la crise du Covid, ils sont passés de -1% à +1,5% en 2022 et à 2,5% en 2023. Il y a trop de dette dans le système pour tolérer des taux réels aussi élevés. L’économie américaine peut supporter des taux réels de l’ordre 1,5%, là où nous en sommes à l’heure actuelle. Pas davantage.

Quels sont les actifs qui sortent des normes?

Il y en a peu. Le franc suisse qui est trop cher et va le rester. Les actions chinoises qui sont bon marché mais dont je n’augure rien de bon. Fondamentalement, il n’y a pas de grosses dispersions des valorisations. En dehors de ces deux exemples, le reste me parait correctement évalué pour une économie en croissance normale. L’année devrait être plutôt bonne avec un net leadership des Etats-Unis et un S&P 500 au-dessus de 5000. J’estime toutefois que les baisses de taux seront plus lentes qu’anticipé. En l’absence de dispersion, il n’y pas actuellement d’opportunités particulièrement tentantes mais il n’y a pas non plus de raisons de vendre. Et le cash reste compétitif. Notons toutefois que le consensus n’étant plus baissier et la prise de risque s’étant normalisée, les investisseurs seront, comme je l’évoquais plus haut, sensibles aux chocs ce qui laisse augurer d’une année volatile. Naturellement les élections présidentielles américaines de novembre vont contribuer à cette volatilité. Le programme Trump risque d’inquiéter le marché. Mais les multiples ne monteront pas pour l’instant et il faudra attendre que de nouvelles opportunités se présentent. 

Le marché japonais n’est-il pas une de ces opportunités?

Il bénéficie de la nouvelle situation géopolitique mais je ne vois pas encore de raisons de trop espérer d’une gouvernance améliorée. Le marché japonais ne sera jamais semblable au marché américain. 

Avez-vous pris des décisions particulières sur les actifs?

Nous avons décidé de sortir des hedge funds en format UCIT car ces véhicules ne répondent pas à nos exigences en matière de diversification et/ou de rendements. Nous maintiendrons nos positions sur les hedge funds en format offshore mais la fin de 10 ans de répression financière et une réglementation trop exigeante ont eu, à notre sens, raison du format UCIT. Avec un retour de 5,5% sur le cash en dollar, il leur est difficile d’obtenir des performances qui justifient leurs coûts. 

Quelles sont les classes d’actifs les plus porteuses?

Il existe des stratégies de niche très intéressantes mais la responsabilité fiduciaire et la réglementation excluent certains investissements. C’est vrai des fonds exotiques, sur les micro-capitalisations par exemple. Ils offrent de gros rendements mais mieux vaut ne pas regarder de trop près la manière dont ils opèrent. Seuls les single family offices peuvent s’autoriser ce genre de placements. Pour le reste, les contraintes actuelles favorisent l’indiciel et pour un gérant de patrimoine, il reste à définir l’allocation d’actifs et le choix des ETF.

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