Les assureurs face au défi de la réglementation ESG

Hervé Guez, Mirova, et Estelle Castres, Natixis Investment Managers

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Les compagnies d’assurance sont exposées simultanément à la hausse des risques sur les actifs assurés et sur leurs portefeuilles d’investissement.

©Keystone

Investis dans des actifs à très long terme, les assureurs sont davantage exposés aux enjeux du développement durable que la plupart des autres catégories d’investisseurs et, s’il est vrai que certains investisseurs peuvent se contenter d’une approche superficielle de la gestion du risque ESG, pour les assureurs, il s’agit d’une question existentielle: leur survie et leur réussite à long terme en dépendent.

Les responsables politiques sont de plus en plus conscients du fait que les assureurs sont les plus exposés au progrès en matière d’ESG. En effet, les gouvernements et les régulateurs formulent explicitement leurs directives ESG en pensant aux investisseurs à long terme comme les assureurs. Après les initiatives individuelles d’une poignée de pays pionniers, la dynamique réglementaire a commencé à devenir mondiale, de sorte qu’au-delà du risque ESG en tant que tel, les assureurs sont également exposés au risque réglementaire.

L’Europe à la pointe de la réglementation ESG

Étant donné qu’à l’échelle mondiale, les assureurs contrôlent environ 30’000 milliards de dollars d’actifs et qu’ils restent investis dans certains de ces actifs pendant plusieurs décennies, on comprendra aisément que les réglementations ESG ont plus d’impact sur le secteur de l’assurance que sur les autres.

La première vague de réglementations ESG a principalement concerné l’Europe. La France, un des pays leaders en matière de réglementation ESG, a adopté son article 173 pionnier au lendemain de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP 21) de 2015. Cette loi exige des investisseurs qu’ils rendent compte publiquement de la manière dont ils appréhendent les risques ESG, et notamment les questions climatiques. D’autres initiatives réglementaires et de place axées sur les questions ESG ou simplement sur la finance verte ont vu le jour, dans le sillage de la COP21, dans différents pays de l’UE, notamment aux Pays-Bas, et au Royaume-Uni.

Toutes les grandes compagnies d’assurance sont concernées.

Ces initiatives semblent avoir galvanisé les décideurs politiques européens, l’UE assumant un rôle de référent en matière de financement vert. Le plan d’action de la Commission européenne pour la promotion de la finance durable, lancé en 2018, sera la première tentative de la part d’un régulateur supranational de rédiger des normes pour les produits et les investissements durables, son objectif ultime étant la neutralité carbone en Europe d’ici 2050.

Certaines de ces réglementations, comme celle sur la divulgation des informations sur le développement durable, s’appliqueront aux institutions financières de plus de 500 employés. Toutes les grandes compagnies d’assurance sont donc concernées et sont tenues de fournir des informations fiables pour évaluer l’impact durable de leurs activités et notamment sur les questions sociales, ainsi que l’impact du changement climatique sur leur développement et la performance de leurs portefeuilles en tant qu’investisseurs.

Les règles sont claires. Par exemple, la publication d’une définition commune des activités vertes dans la future taxonomie de l’UE (qui répertorie ce qui peut être considéré comme une activité verte) a permis de débattre de certaines questions, comme celle de savoir si celles-ci doivent s’appliquer uniquement aux investisseurs qui se spécialisent dans la commercialisation de fonds verts. La définition de la notion de «vert» par le biais de la réglementation sur la taxonomie est devenue un enjeu politique et économique majeur et la détermination de l’UE à adopter ces nouvelles règles ne saurait être mise en doute. Selon Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, il s’agit là de «la mesure législative la plus importante» pour atteindre les objectifs mondiaux en matière d’émissions.

En juin 2019, la Commission européenne a également présenté son concept de norme européenne pour les obligations vertes, une norme à caractère non contraignant qui respectera les principes de son plan d’action. Cette norme exigera le contrôle de chaque émission verte par un auditeur agréé par l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority) qui devra s’appuyer sur la taxonomie de l’UE pour s’assurer que ces émissions financent effectivement des projets verts.

Le Royaume-Uni progresse également. En 2019, la Prudential Regulatory Authority (PRA) a précisé ses attentes quant à l’approche des investisseurs face au risque climatique. Le Climate Financial Risk Forum a travaillé avec les sociétés d’investissement pour les inciter à prendre en compte le risque climatique dans leur processus et à élaborer leurs propres dispositifs de reporting. De nouvelles normes de reporting ESG pour les fonds de pension britanniques ont également été introduites en 2019.

Plus récemment, le 9 novembre 2020, le Royaume-Uni a fait part de ses ambitions pour l’avenir des services financiers britanniques et notamment sa volonté d’étendre son leadership mondial dans le domaine de la finance verte. Le pays a ainsi annoncé la première émission d’obligation souveraine verte en 2021 (sous réserve des conditions du marché) ainsi qu’une série d’autres émissions à venir et la mise en place de normes de transparence environnementale plus strictes.

Début de convergence des réglementations mondiales

Pendant ce temps, au Canada, un groupe d’experts a formulé 15 recommandations pour soutenir la croissance et le développement de la finance durable au Canada, dans un contexte marqué par les préoccupations que suscite le changement climatique pour l’économie canadienne. En effet, selon certaines estimations, le changement climatique pourrait coûter entre 21 et 43 milliards de dollars canadiens par an au pays d’ici 2054, les assureurs canadiens ayant d’ores et déjà versé 1,8 milliard de dollars canadiens par an en indemnités depuis 2009, contre 400 millions dans les années 1990.

Dans certains cas, les assureurs vont bien au-delà de la réglementation.

Au Japon, le marché des obligations vertes est en train de monter en puissance, de même qu’en Australie où les initiatives relatives au changement climatique sont davantage portées par le secteur privé que par le gouvernement. Aux États-Unis, malgré la sortie du pays de l’Accord de Paris et son positionnement très conservateur sur les questions ESG, ces dernières continuent de progresser, portées par les États, les tribunaux et les débats internes à la SEC.

L’ONU, le G7, l’OICV et l’OCDE ayant tous intégré des dispositions ESG dans leurs stratégies de long terme, on observe désormais un début de convergence des réglementations. A l’échelle mondiale, le positionnement ESG des décideurs politiques est loin d’être homogène, toutefois la tendance à la convergence des normes et des réglementations se dessine clairement et l’on peut s’attendre à ce qu’elle se renforce dans le futur immédiat.

Les assureurs conscients de la hausse du risque ESG

La plupart des groupes d’assurance n’ont pas besoin des régulateurs pour les sensibiliser au risque ESG et ils sont déjà nombreux à prendre des mesures pour se conformer aux réglementations actuelles et à celles qui sont susceptibles d’être adoptées à l’avenir, tout en abordant le risque ESG de manière à améliorer leur propre activité. Dans certains cas, les assureurs vont bien au-delà de la réglementation, en positionnant leurs portefeuilles d’investissement et leurs gammes de produits de manière à réduire leur empreinte carbone et à avoir un impact positif sur l’environnement. Ce faisant, ils cherchent à se protéger contre les risques de dégradation de leurs modèles d’entreprise et à augmenter le potentiel de performance de leurs investissements à long terme.

Parmi les risques baissiers figure la hausse du risque lié aux catastrophes naturelles et pour lesquelles les assureurs sont tenus d’indemniser leurs clients. Ces risques sont en hausse. Les pertes assurées se sont élevées à quelque 227 milliards de dollars en 2017 et 20185. Rien qu’en 2018, les pertes dues aux catastrophes naturelles se sont élevées à 90 milliards de dollars, dont la plus grande partie est imputable aux ouragans Michael et Florence et au typhon Jebi. Traditionnellement, les assureurs recourent à des dispositifs de modélisation pour estimer la fréquence, l’intensité et les dégâts provoqués par les catastrophes naturelles, mais ces modélisations sont relativement inefficaces lorsque les événements deviennent plus extrêmes ou se produisent dans des endroits où ils n’ont jamais eu lieu auparavant.

Les compagnies d’assurance qui ne parviennent pas à adapter leurs modèles et leurs portefeuilles d’investissement s’exposent à un double danger, à savoir la hausse des risques sur les actifs qu’ils assurent et sur leurs portefeuilles d’investissement. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a exposé les grandes lignes de ce qui attend les assureurs soulignant que les compagnies d’assurance IARD et les réassureurs se trouvent en première ligne pour gérer les risques physiques liés au changement climatique. Selon lui: «Les assureurs ont réagi en développant leurs capacités de modélisation et de prévision, en améliorant la gestion de leur exposition et en adaptant leurs couvertures et leurs tarifs. Ce faisant, ils ont appris que le risque extrême d’hier se rapproche désormais du scénario central d’aujourd’hui.»

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