L'effet «Cathie Wood»

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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La nouvelle star de Wall Street fait face à un dilemme: ses actifs sous gestion augmentent plus vite que les opportunités d’investissement…

Catherine Wood, fondatrice et dirigeante d’Ark Invest, est la nouvelle coqueluche de la planète finance. Son nom est désormais davantage mentionné par les médias que celui de Warren Buffet alors que les fonds et ETF gérés par la société qu’elle a fondée en 2014 continuent à attirer des flux d’investissement records, atteignant 60 milliards de dollars d’actifs sous gestion début février.

Il faut dire que les ETF thématiques d’Ark Invest ont généré des résultats exceptionnels au cours des dernières années, dont une performance agrégée de 105% en 2020 (cf. graphique ci-dessous). Ark Invest excelle dans un produit hybride: les ETF gérés de manière active, qui, pour de nombreux investisseurs, réconcilient le meilleur des deux mondes: la flexibilité et les moindres coûts des ETF et l’effet sélection des fonds de placement traditionnel.   

Les performances des principaux ETF gérés par Ark Invest au cours des 3 et 12 derniers mois


 

Avant de fonder Ark, Catherine Wood a occupé le poste de CIO chez Sanford Bernstein entre 2001 et 2013. Persuadée que de nombreux secteurs sont en train d’être fondamentalement transformés par l’innovation et la technologie, elle a favorisé dans ses portefeuilles les entreprises disruptives. Parmi ses principales convictions: Tesla (sur lequel elle a un objectif de cours à 7'000 dollars d’ici à 2024!), Roku, le Bitcoin mais aussi des titres emblématiques dans la Fintech, la génomique, la nouvelle génération Internet ou la robotique. 

Tous les regards se sont tournés vers le ciel quand Catherine Wood
a annoncé le lancement imminent d’un ETF sur la conquête spatiale.

Le succès d’Ark Invest est tel qu’il inspire une nouvelle stratégie d’investissement à Wall Street: copier voire anticiper les décisions d’investissement de Catherine Wood. En début d’année, tous les regards se sont soudainement tournés vers le ciel quand Catherine Wood a annoncé le lancement imminent d’un ETF sur la conquête spatiale. Pour les investisseurs, il s’agissait d’ores et déjà de deviner quelles seront les valeurs sélectionnées dans l’ETF. En effet, ce dernier a de bonnes chances d’attirer des flux conséquents qui vont dès lors pousser les prix des sous-jacents à la hausse. Il existe même des App qui vous permettent d’être au plus vite informé des changements effectués dans les fonds Ark Invest, ce qui permet aux utilisateurs de l’App de répliquer au plus vite la stratégie de Cathie Wood dans leurs portefeuilles personnels. 

Ark Invest surfe la vague du succès et s’est même mis au «merchandising». Les fans de Cathie Wood peuvent se rendre sur le «Ark Invest store» pour acheter T-shirts et casquettes à l’effigie de la nouvelle star de Wall Street (100% des profits sont reversés à des organisations œuvrant pour le bien de la planète). 

La plupart des sociétés de gestion ou fonds de placement connaissent un cycle de vie relativement identique. Les premières années sont souvent difficiles en termes opérationnels et financiers car les actifs ne sont pas suffisants pour grandir les équipes, pérenniser les talents et investir en technologie ou marketing. Par contre, ce sont souvent lors de cette phase de croissance que les performances sont les meilleures. Les équipes de gestion sont surmotivées et enclins à prendre des risques. Mais surtout, la taille des actifs n’est pas encore trop importante ce qui donne aux gérants une grande flexibilité lorsqu’il s’agit de sélectionner des titres – y compris les petites et moyennes capitalisations. 

Ark Invest pourrait devenir victime de son propre succès,
du fait de la taille grandissante des fonds sous gestion.

En cas de bonnes performances, la société de gestion collecte des avoirs importants (voire très importants dans le cas d’Ark Invest). Les commissions de gestion enflent, ce qui permet d’attirer les talents (et les égos…), d’investir dans de nouveaux systèmes informatiques et forces de vente. A ce stade, le «business risk» diminue au détriment du risque de performance. En effet, Morningstar a démontré dans une étude que 80% des fonds de placement ayant enregistré une performance à 3 chiffres sur une année calendaire font face à des pertes lors des 3 années qui suivent. 

Comme d’autres gérants «star» dans le passé, Ark Invest pourrait donc devenir victime de son propre succès, du fait de la taille grandissante des fonds sous gestion - la fameuse capacité. Après les sommes records collectées en 2020, Cathie Wood est submergée par les flux rentrants dans ses ETF: 8 milliards en janvier puis 7 milliards en février. Problème: l’univers de titres correspondant aux préférences d’investissement de Ark Invest est en quelque sorte limité. Ainsi, la société de gestion détient déjà 10% ou plus dans la moitié des titres détenus dans ses fonds (source: WSJ). Et dans le cas des «mid-caps», la participation au capital est souvent supérieure à 20%.

Ce phénomène créé d’ailleurs un risque de cercle vicieux. En cas de baisse brutale de ces titres, la performance des fonds de Ark Invest pourrait être fortement impactée, déclenchant alors un mouvement de panique sur les fonds Ark Invest. En cas de remboursement des parts de fonds, Cathie Wood serait alors forcée de vendre ces titres, pesant encore davantage sur la performance et les flux vendeurs. Les clients d’Ark Invest sont essentiellement des petits porteurs, plus prompt à la panique que les fonds de pension investis dans les grandes sociétés de gestion d’ETF tels que Blackrock. Et contrairement à d’autres types de fonds, Ark Invest ne peut compter sur un mécanisme tel que les «gate» (plafonnement des rachats) pour ralentir les flux sortants.  

Pour les investisseurs, il n’existe pas de «free lunch».

Wall Street ne s’y trompe pas. La semaine passée, certains détenteurs de parts d’ETF Ark Invest se sont précipités vers la sortie (plusieurs milliards de dollar de remboursement). D’autres vont même plus loin en vendant à découvert les ETF (3,5% d’intérêts «shorts» pour l’instant), pariant en quelque sorte sur le cercle vicieux décrit ci-avant. 

Dans le passé, le fonds Janus avait connu ce type de déboire. Avec une stratégie concentrée sur un nombre très restreint de titres, le fonds avait généré des performance records (500% sur 10 ans), collectant environ 40 milliards d’actifs. Mais l’éclatement de la bulle internet mit fin à la belle histoire, le fonds s’écroulant de 50%. 

Cathie Wood a-t-elle une formule magique pour prolonger le cycle de vie des fonds Ark Invest? C’est en tout cas ce qu’elle a déclaré récemment. Ses arguments? Tout d’abord le fait que nombre de ses titres favoris sont déjà de très grandes capitalisations avec un potentiel d’appréciation toujours important (elle reste par exemple convaincue du très fort potentiel de Tesla). D’autre part, Cathie Wood mise sur une plus grande profondeur de marché, grâce aux très nombreuses introductions en bourse et SPAC. Enfin, Ark Invest continue d’élargir l’univers des thématiques d’investissement (par exemple la conquête spatiale). 

Cathie Wood a insufflé un vent nouveau à Wall Street grâce à son approche thématique, un marketing innovant, ses fonds hybrides (les ETF gérés de manière active) et surtout son immense talent. Mais pour les investisseurs, il n’existe pas de «free lunch». Rien ne garantit que les performances phénoménales de Ark Invest puissent se répéter à l’avenir. Restez vigilants!

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