Les entreprises privées en croissance sont aujourd’hui des monopoles «naturels» dont le potentiel est considérable. Elles possèdent des avantages compétitifs significatifs. Nombre d’entre elles ont une croissance annuelle de 30 à 60% et certaines comptent parmi les 50 plus grandes entreprises au monde.
Ce phénomène est symptomatique de la mutation qui s’est opérée dans le domaine de l’investissement en capital développement(1). Traditionnellement, les entreprises ayant une valorisation de plus de 500 millions de dollars entraient en bourse, ce qui permettait à toutes sortes d’investisseurs de participer à leur périple en direction des 100 milliards de capitalisation boursière.
Aujourd’hui, ce parcours est devenu très difficilement accessible à ceux qui investissent en bourse, car les entreprises choisissent de rester privées plus longtemps.
Ce changement de paradigme a ouvert un nouveau marché, celui des entreprises privées exceptionnelles. Vaste et en expansion, il compte aujourd’hui plus de 1500 licornes dont la valorisation totale s’élève à plus de 5000 milliards de dollars.
Une classe d’actifs ignorée
Jusqu’à présent, le capital développement a été largement ignoré par les investisseurs qui lui préféraient le capital-risque ou le capital-investissement traditionnel («buyout»). Ils ont ainsi négligé cette classe d’actifs qui, depuis 2010, affiche des performances supérieures à celles de toutes les autres.
L’accent mis sur la rentabilité représente un changement radical par rapport à 2020-2022, période durant laquelle les entreprises ne disposaient pas d’un calendrier précis pour parvenir à la rentabilité.
Pourquoi? Parce que les investisseurs n’envisagent pas la possibilité que la croissance peut rester exponentielle, même lorsque l’entreprise a déjà une certaine taille et est devenue moins risquée. Le cerveau humain tend à sous-estimer l’impact du facteur exponentiel, comme l’illustre bien cet exemple: une feuille de papier pliée en deux 42 fois aurait une épaisseur supérieure à la distance terre-lune(2)! Une entreprise privée dont le chiffre d’affaires progresserait de 30% par an pendant plusieurs années peut provoquer le même étonnement.
Le fait que de très grandes entreprises puissent afficher un tel taux de croissance est fréquemment assimilé à la formation d’une bulle. Mais ce point de vue ne tient pas compte de tout l’éventail des opportunités.
Par ailleurs, la grande taille de certaines entreprises ne fait que refléter l’évolution des entreprises cotées ces vingt dernières années. En 2004, General Electric, qui était la plus grosse entreprise au monde, affichait une capitalisation boursière de 380 milliards de dollars. Fin 2024, Apple, la plus grande entreprise au monde, était valorisée à 3500 milliards de dollars, et dix entreprises avaient une capitalisation supérieure à 1000 milliards de dollars. Aujourd’hui, la taille maximale d’une entreprise est donc 10 fois supérieure à ce qu’elle était il y a 20 ans. Et à l’avenir, elle pourrait encore augmenter.
Des actionnaires triés sur le volet
Le fait de rester en mains privées plus longtemps permet aux entreprises de sélectionner avec soin leurs actionnaires. Elles privilégient ceux qui ont un horizon d’investissement suffisamment long pour soutenir leur croissance dans la durée ainsi que ceux qui ont l’expérience de ce style d’investissement.
Les dirigeants d’une entreprise dont les actionnaires ont des intérêts en ligne avec les leurs peuvent se permettre d’être plus audacieux dans leurs investissements et d’investir à plus long terme. Il leur est plus facile de renoncer à des gains à court terme pour se concentrer sur des projets ambitieux. Space X en est un bon exemple: l’entreprise a choisi de limiter l’utilisation de sa fusée au lancement de ses propres satellites Starlink, plutôt que proposer ce service de lancement à des concurrents.
Des pertes limitées
Pour parvenir au stade d’entreprise privée en croissance, une startup doit surmonter trois obstacles susceptibles de conduire à l’échec: avoir un produit en adéquation avec le marché, avoir la bonne équipe et être proche de la rentabilité. Dans le capital développement, seule une entreprise sur quatre a rapporté moins que le capital investi initialement (étude réalisée depuis 1987). Pour le capital-risque, cette proportion est de deux sur trois!
Les entreprises privées en croissance ont également fait la preuve de leur capacité à relever les défis, car elles en ressortent en meilleure forme et avec une stratégie plus affirmée. Stripe en est un parfait exemple. Elle est parvenue à multiplier son chiffre d’affaires par six depuis 2019 et à l’augmenter de 50% depuis 2022 malgré le licenciement de 1000 personnes en 2022 et une baisse de 50% de sa valorisation. Ce qui lui a permis de devenir rentable fin 2024.
L’accent mis sur la rentabilité représente un changement radical par rapport à 2020-2022, période durant laquelle les entreprises ne disposaient pas d’un calendrier précis pour parvenir à la rentabilité. Aujourd’hui, nombre d’entre elles lancent un dernier tour de table dans le but d’atteindre la taille nécessaire pour accéder à la rentabilité. Une fois ce cap franchi, le risque d’échec est fortement diminué et les portes de l’entrée en bourse commencent à s’ouvrir.
En route pour les 1000 milliards
Les perspectives sont prometteuses. C’est le cas pour Space X. Cette entreprise privée valorisée à plus de 350 milliards de dollars et qui est en mesure de connecter à internet n’importe qui dans le monde grâce aux 7000 satellites de son réseau Starlink recèle un potentiel de chiffre d’affaires de plusieurs centaines de milliards de dollars.
C’est aussi le cas de Databricks, valorisée à 62 milliards de dollars, qui est en passe de s’imposer comme «la» solution en matière de données dans le cloud dans un monde axé sur l’IA. On peut également mentionner ByteDance, propriétaire de TikTok, dont la valeur de marché est de 300 milliards de dollars, malgré un chiffre d’affaires similaire à celui de Meta et une croissance plus rapide que ce dernier.
Chacune de ces entreprises pourrait approcher les 1000 milliards de valeur de marché et dégager des revenus exceptionnels pour les investisseurs. Ce type d’investissement requiert un long horizon de placement mais représente une opportunité intéressante.
(1) Le capital développement («private equity growth») consiste à prendre une participation minoritaire dans des entreprises non cotées en forte croissance. Ces entreprises ont souvent atteint une certaine maturité, leur modèle a été éprouvé et leur clientèle est bien établie. L’objectif de ce type d’investissement est d’obtenir des performances similaires à celles du capital-risque, mais avec un risque inférieur à celui de capitaux investis durant la phase de démarrage des entreprises.
(2) Le calcul est le suivant: 2 puissance 42 est égal à 4 398 milliards à multiplier par 0,1mm (épaisseur de la feuille de papier), soit au total 439’804 km, un peu plus que la distance terre-lune 384’400 km. https://sciencepost.fr/comment-avoir-une-epaisseur-egale-a-la-distance-terre-lune-en-pliant-une-simple-feuille-de-papier/