La parité de l’EUR/CHF, si proche et pourtant si lointaine

Jean-Eudes Clot, BCV

2 minutes de lecture

La relance budgétaire allemande rend possible un rebond de l’euro vers la parité contre le franc, mais le voyage s’annonce mouvementé.



Du sursaut au rebond

Lorsque le 5 mars dernier Friedrich Merz a annoncé son plan de réforme budgétaire, le rendement des Bund 10 ans a enregistré sa plus forte hausse journalière depuis la réunification du pays en 1990. L’Allemagne qui tourne la page du frein à l’endettement, c’est un bouleversement profond des politiques budgétaires dans la zone euro, à l’image de de ce que le «whatever it takes» de Mario Draghi avait représenté en 2012 pour la politique monétaire.

Le contexte géopolitique joue évidemment un rôle dans la volonté de réarmement, mais ce tournant est aussi une réponse au marasme économique de l’Allemagne qui, depuis 2019, n’a pas généré de croissance. Le modèle allemand, tourné vers les exportations de biens manufacturés, a buté sur plusieurs écueils, dont la hausse des prix de l’énergie consécutive à la guerre en Ukraine n’aura été que la partie émergée. En fait, l’affaiblissement de la compétitivité des exportateurs allemands est un phénomène insidieux qui dure depuis plusieurs années, entretenu par la faiblesse des devises asiatiques et la montée en gamme des exportations chinoises. La situation actuelle du secteur automobile allemand en est la parfaite illustration. 

Le plan allemand, en particulier les 500 milliards d’euros prévus pour les investissements en infrastructures, aura donc des retombées positives sur la croissance domestique. L’économie allemande est très cyclique, et le franc est une devise refuge. Il est donc normal que l’EUR/CHF soit influencé par la conjoncture allemande. C’est ce qui explique la bonne performance de la monnaie unique depuis l’annonce allemande, avec une progression face au franc exceptionnelle à double titre. Tout d’abord en raison du contexte de volatilité accrue des indices boursiers, qui est en principe favorable au franc, mais aussi parce que l’euro s’est imposé comme une des devises les plus performantes en 2025.

Il serait par ailleurs naïf de penser que les mesures allemandes vont suffire à régler toutes les difficultés de la zone euro. 

Vers la parité… et au-delà?

La question n’est pas tant de savoir si l’euro peut rebondir, mais jusqu’à quel niveau et pour combien de temps. Les fondamentaux structurels ne vont pas dans le sens d’une hausse durable de l’euro. L’inflation va rester plus élevée à l’intérieur de la zone euro qu’en Suisse, et la productivité relative a tendance à décrocher ces dernières années. Un scénario de rebond doit donc plutôt être compris comme un phénomène de retour à la moyenne au sein d’une tendance de fond qui reste baissière.

Dans cette optique, la parité est un objectif réaliste, mais qui ne pourra être atteint que dans le courant de l’année. Il faut en effet se garder de projeter le rebond des dernières semaines, car les marchés se sont enthousiasmés un peu vite, conduisant à une situation de surachat de la monnaie unique, qui devrait être suivie d’une phase de consolidation. Par ailleurs, les effets concrets de la relance mettront du temps à se faire sentir, comme le suggèrent les indices des directeurs d’achat du mois de mars. Ce qui change à court terme, c’est que le niveau de 0,95, qui faisait office de plafond, s’apparente désormais à un plancher dans un chemin vers la parité qui n’est pas dénué d’embûches.

Risques extérieurs et risques intérieurs

Parmi celles-ci, la politique commerciale des États-Unis représente un risque de taille pour la reprise européenne et par extension pour l’euro. Ce n’est pas tant le montant des tarifs imposés à l’Union européenne qui peut poser problème, que la possible évolution vers un scénario de guerre des changes, à l’image de ce qui s’était passé en 2018, quand la Chine avait laissé le yuan se déprécier en réponse aux mesures américaines. En 2025, les choses semblent prendre un tournant plus favorable, car le yuan est en légère hausse contre le dollar depuis le début d’année, et la Chine semble décidée à soutenir son économie domestique. L’optimisme est donc de mise, mais il faut rester attentif.

Il serait par ailleurs naïf de penser que les mesures allemandes vont suffire à régler toutes les difficultés de la zone euro. Il faut garder à l’esprit que celle-ci n’est pas une union budgétaire, et que la cohésion politique des états membres va être mise à l’épreuve par les questions liées à la défense, sujet épineux s’il en est. En outre, les états les plus endettés comme l’Italie et la France vont devoir faire des arbitrages difficiles entre dépenses sociales et dépenses militaires, quand bien même ces dernières viendraient à être exclues du calcul des critères de Maastricht. Pour l’heure, les spreads de taux restent stables, mais on ne peut exclure que la Banque centrale européenne soit tôt ou tard amenée à «soutenir» l’effort de réarmement de l’Europe, ce qui pèserait sur la monnaie unique.

A lire aussi...