La France du Club Med

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La crise du COVID a définitivement jeté la France dans le camp des pays du «Club Med». Au risque de déclencher une nouvelle crise de l’euro?

En 2020, la France avec l’Espagne, Chypre et la Belgique, a rejoint Le «Club Med» des pays qui dépassent le seuil des 100% d’endettement public par rapport à leur PIB. Ce club comprenait déjà la Grèce, l’Italie et le Portugal. 

Au-delà d’un sobriquet dont les économistes sont souvent friands, le constat est accablant. Le rapport de la Cour des Comptes sur la dynamique de la dépense publique en France et celui de la Commission Tirole/Blanchard sur «Les grands défis économiques», rendus publics quasiment simultanément, nous dressent le portrait d’une France engluée dans les mêmes difficultés et à la recherche des moyens de mettre en œuvre à peu près les mêmes solutions impliquant des décisions – hélas toujours reportées – de plus en plus pénibles à prendre.

De 2000 à 2019, le poids des dépenses publiques s’est alourdi de 51,7% du PIB à 55,4%.

Du côté du constat, la Cour des Comptes nous rappelle à la dure réalité de la croissance de la dépense publique, nonobstant la crise de la COVID-19, qui aurait bon dos en quelque sorte. De 2000 à 2019, le poids des dépenses publiques s’est alourdi de 51,7% du PIB à 55,4%. Un contraste saisissant avec la moyenne de la zone euro où les dépenses sont restées quasi stables, et ont même reculé dans certains pays comme l’Allemagne. La singularité française est moins dans les postes de dépenses en cause que dans leur vitesse de progression (nettement supérieure à ses principaux partenaires, y compris lors de la crise de la Covid). Rappelons que l’Italie, confrontée au poids d’une dette importante, a fourni des efforts en matière structurelle que la France n’a pas su mettre en œuvre durant ces années.

Du côté du rapport, il serait probablement injuste de remonter une fois de plus au quasi-mythique rapport Rueff-Armand de 19591. Du moins peut-on relever les 316 propositions de la Commission Attali, de 20082, qui mettait déjà en évidence les défis des inégalités, du poids de la dépense publique, de la concurrence et de la modernisation.

Le rapport de 20213 ne peut que revenir sur ces questions, en mettant tout particulièrement l’accent sur la question du changement climatique, des inégalités et du vieillissement. Outre que la Commission se distingue par la composition internationale de son comité, on n’a pas manqué de relever que les principales propositions (taxe carbone, réforme des retraites, impôts sur les successions), sont parmi les plus contestées en France. Mesures de fond certes, mais dont la Commission elle-même admet la grande impopularité.

La suspension provisoire des règles de Maastricht devrait ouvrir la voie à de nouvelles modalités d’évaluation des convergences budgétaires et de dette.

Alors que la France aborde la «grande boucle» qui la mènera à la Présidentielle d’avril 2022 prochain, que peut encore faire le gouvernement? Risque-t-on un clash, peut-être même un crash européen d’ici là? Face à la pandémie, l’état d’exception économique perdure encore. La suspension provisoire des règles de Maastricht s’annonce durable et devrait ouvrir la voie à de nouvelles modalités d’évaluation des convergences budgétaires et de dette. La France, dont le plan de relance budgétaire de 100 milliards d’euros à reçu l’aval de la Commission Européenne, milite pour l’abandon des règles de Maastricht et la mise en place de nouvelles normes pluriannuelles, fondées sur la stabilisation – voire la baisse – de la dette publique. 

Considérer que les critères qu’on ne respecte plus soi-même n’ont plus de valeur, aura de quoi irriter non seulement les pays dits «frugaux» de l’Union européenne, mais aussi ceux qui, depuis la crise de 2008 ont consenti d’importants efforts pour se plier aux normes communes et tenir leurs engagements. La reprise de l’inflation – une menace encore lointaine en zone euro par rapport aux Etats-Unis – pourrait-elle prendre la BCE à contrepied? La France risque-t-elle par son manque de discipline de donner de nouveaux arguments aux détracteurs d’une zone économique et monétaire, jugée suboptimale? Le paradoxe est saisissant: d’un côté l’émission d’obligations de la Commission européenne a rencontré un large succès auprès des investisseurs et consolidé l’euro dans sa dimension internationale; de l’autre son intégrité et son unité semblent menacées directement de l’intérieur par des forces économiques et budgétaires centrifuges qui risquent à terme de mener à une nouvelle période de tensions monétaires et obligataires, contraignant la France à des ajustements d’autant plus drastiques qu’elle n’en aurait plus la maîtrise.

Si la pédagogie répétitive peut avoir ses mérites, encore faut-il qu’elle débouche sur quelques résultats concrets. 

 

1 «Rapport sur les obstacles à l’expansion économique» Jacques Rueff, Louis Armand Novembre 1959, https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/074000508.pdf
2 «Rapport pour la libération de la croissance française», Jacques Attali, janvier 2008 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/084000041.pdf
3 Rapport «Les grands défis économiques» présidé par Jean Tirole et Olivier Blanchard, juin 2021 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf

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