La Fed contre le cycle

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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La Fed, la BCE et la BOJ font front face au ralentissement de l’activité. Ne vont-elles pas finir pas s’affronter?

La semaine passée, la Réserve Fédérale des Etats-Unis a modifié les termes de son communiqué, laissant désormais la porte ouverte à une ou plusieurs baisses de ses taux directeurs. Juste avant, c’est Mario Draghi, Président sortant de la Banque Centrale Européenne, qui affirmait que celle-ci disposait de tous les outils nécessaires pour agir encore, et soutenir l’activité. La Banque du Japon, de son côté maintient une politique monétaire au plancher, dont les concepts – gouverner l’ensemble de la courbe des taux – semblent faire des émules parmi les autres banques centrales, notamment aux Etats-Unis.

Résultat, les rendements obligataires des principales devises du monde sont à nouveau en chute libre, revenant ou s’enfonçant en territoire négatif. Selon l’agence Bloomberg, plus de 12’000 milliards de dollars de dettes offriraient désormais des rendements négatifs dans le monde, soit juste un peu plus qu’en 2016, et pour un taux moyen inférieur à 1,8%.

Que voient donc les Banques Centrales que nous ne voyons pas? Ce nivellement par le bas ne risque-t-il pas de se transformer en course à l’abîme?

Partout dans les économies développées, les taux de chômage
sont revenus au-dessous de leurs niveaux d’avant-crise.

Sur le plan conjoncturel, il ne fait aucun doute que l’activité ralentit. De plus, ce cycle industriel et manufacturier en repli est directement affecté par la montée des tensions commerciales entre les Etats-Unis et – pour le moment et principalement – la Chine. Ralentissement du commerce mondial et des investissements, on ne peut le nier. En revanche, on peut aussi constater que d’importants facteurs de résistance devraient permettre d’en contenir l’amplitude: partout dans les économies développées, les taux de chômage sont revenus au-dessous de leurs niveaux d’avant-crise. Progressivement les salaires augmentent. Les politiques budgétaires se font plus accommodantes aussi. Il reste que les vecteurs de transmission de ces hausses dans les prix finaux, restent pour le moins inopérants. Et les effets des baisses des prix plus volatils sont plus immédiatement perceptibles. On s’interroge encore sur les raisons de ces retards. Même dans la perspective des hausses des prix importés liées aux tensions commerciales, les banques centrales s’inquiètent surtout de l’éloignement de l’inflation de leurs objectifs de 2%. Elles y trouvent toutes la raison de leur action.

Cependant les annonces de la semaine passée ont également entraîné d’autres effets, peut-être moins désirables. Les commentaires de Mario Draghi ont déclenché l’ire de Donald Trump, accusant une fois de plus la zone euro de manipulation de sa devise. De même, les Etats-Unis menacent la Chine de représailles supplémentaires si elle recourrait à des dévaluations importantes. Les annonces de la Réserve Fédérale ont un peu corrigé cette tendance, la rémunération à court terme de la devise, comme la recherche de refuge continuant de soutenir le dollar. Pendant ce temps, l’absence de rendements reporte l’intérêt des investisseurs sur les valeurs refuges traditionnelles telles que l’or. Les tensions commerciales pourraient-telle se muer en guerre de change? De ce point de vue, l’Europe est bien en ligne de mire, avec une devise structurellement sous-évaluée et une balance courante excédentaire. Le Franc suisse, devise refuge par excellence, profite d’une situation semblable, comme d’ailleurs le Yen japonais.  

L’attachement à l’objectif d’inflation
de 2% se justifie-t-il encore?

L’action – ou plutôt à ce stade les avertissements – des Banques Centrales n’est-elle pas un peu prématurée au regard des indicateurs d’activité. Autrement dit, l’attachement à l’objectif d’inflation de 2% se justifie-t-il encore? Et ne sont-elles pas en train d’oublier à nouveau l’inflation des prix des actifs plus spéculatifs, et les risques de formations et d’éclatements de bulles spéculatives? Enfin, sont-elles en train d’inciter les Etats à plus d’endettement, sans considération pour toute remise en ordre de leurs finances publiques? Enfin, ne risquent-elles pas de «perdre la main» alors que la «nouvelle théorie monétaire» semble faire son chemin. Au cours de son intervention à Sintra, Mario Draghi en appelait une fois de plus les Etats à profiter de cette situation pour réduire leurs dépenses de fonctionnement et les réorienter vers de l’investissement. Selon le Fonds Monétaire International, l’accroissement des dettes publiques – notamment leur niveau alarmant en Europe et dans certains pays émergents – et privées – pour les entrepreprises américaines et chinoises –  représente un risque important de crise financière.

Baisse des revenus de l’épargne, une population vieillissante, crainte d’un «retour de bâton» fiscal, pourraient bien inciter les ménages à épargner plus et non pas moins. Dans cette phase de ralentissement, les Banques Centrales risquent-elles d’en faire trop, au point de voir leurs initiatives produire plus d’inconvénients que d’avantages.

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