La récession à l’horizon du G20?

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’escalade des tensions commerciales fait ressurgir les craintes d’une récession mondiale. Pourra-t-on préserver les aires de résistance?

On préfèrerait s’en passer, mais les tweets de Donald Trump continuent de rythmer l’actualité économique, politique et financière. Depuis l’annonce d’un relèvement à 25% des tarifs douaniers sur les 200 milliards d’importations chinoises déjà taxées, les Etats-Unis s’évertuent à rebâtir un mur de sécurité à l’encontre de la tech chinoise, avec pour première cible le géant Huawei. Depuis, l’administration américaine a menacé d’étendre ses sanctions tarifaires à l’ensemble des produits chinois, et d’autres sociétés se voient barrer l’accès aux technologies considérées comme sensibles. De plus, elle entend bien contraindre ses alliés et clients à choisir leur camp en les incitant à faire de même. L’arme commerciale sert à tout. Dernier «coup de tweet» de Donald Trump: activer des sanctions tarifaires progressives à l’encontre du Mexique pour l’obliger à limiter l’afflux de migrants demandeurs d’asile sur la frontière sud des Etats-Unis. Le coup pourrait s’avérer d’autant plus rude que depuis l’an dernier et l’instauration des premières barrières douanières, beaucoup de produits chinois sont en fait entrés aux Etats-Unis via le Mexique. 

De son côté, la Chine a pris des mesures de rétorsion tarifaires à l’encontre de produits importés des Etats-Unis. Elle  vise directement des entreprises du pays, placées sur liste noire ou soumises à investigations. La tension est encore montée d’un cran lorsqu’ a été évoquée une possible restriction des exportations de terres rares, tandis qu’un regain de patriotisme envahit les médias, le Président Xi allant jusqu’à rappeler la glorieuse «Longue Marche».  Les deux puissances comptent donc leurs alliés et leurs soutiens. Ainsi, le coup de semonce mexicain n’a pas empêché l’administration Trump de pousser au  Congrès l’adoption du nouvel accord commercial avec le Mexique et le Canada. De même, le Japon comme l’Europe se voient concéder un fragile moratoire sur les importations d’automobiles. La Chine n’est pas en reste. Certains  pays comme la Malaisie annoncent publiquement leur volonté de poursuivre leurs relations avec la firme Huawei. Cette semaine, le Président Xi Jinping rendra visite à Vladimir Poutine. 

Le repli des bourses s’est accompagné d’une nette
baisse des rendements obligataires, surtout américains. 

Le durcissement des positions de part et d’autre du Pacifique, en éloignant un peu plus la perspective d’un accord commercial même à minima, n’a pas manqué de faire réagir les marchés.  Le repli des bourses s’est accompagné d’une nette baisse des rendements obligataires, surtout américains, qui se sont littéralement effondrés, revenant flirter avec les 2% (contre 3,2% en novembre dernier). 

Contrairement à ce que continue de clamer Donald Trump, les importateurs et les consommateurs américains vont bien payer la note. Les fermiers du Midwest sont également durement touchés par les restrictions d’exportations, mais aussi par les intempéries qui ont affecté les plantations. Les 16 milliards de dollars de fonds de soutien suffiront-ils à les soulager ? Cela reste à voir. Les mouvements de change ne pourront pas absorber les hausses tarifaires en vigueur. La Chine sera également touchée, et pour les mêmes raisons. Car les hausses de tarifs réduisent les volumes d’exportations, tandis que les sanctions douanières pèsent sur les prix à l’importation. 

La croissance mondiale pourrait ralentir jusqu’à 3,2%
cette année et ne connaîtrait qu’une faible dynamique à 3,4% en 2020.

Alors que la croissance au premier trimestre s’était avérée un peu partout meilleure qu’attendu, les indicateurs d’activité signalent désormais un net rafraichissement. Les indices avancés sont en chute libre dans le secteur manufacturier, les services se tassent également, mais résistent néanmoins. Les prix du pétrole ont connu une nette baisse, ce qui allège la note des consommateurs. Au total, le commerce mondial a considérablement ralenti et la stabilisation de l’activité en début d’année doit beaucoup aux mesures monétaires et budgétaires mises en œuvre dès la fin 2018. Mais les marges de manœuvres des autorités monétaires et publiques sont devenues bien étroites. Selon l’OCDE, la croissance mondiale qui pourrait ralentir jusqu’à 3,2% cette année (après 3,5% en 2018), ne connaîtrait qu’une faible dynamique à 3,4% en 2020. Dans ce contexte, la vigueur continue de l’emploi est-elle un gage de résilience ou bien marque-t-elle la fin d’un cycle? Car, à l’encontre du pessimisme ambiant, le chômage est – enfin – bien retombé sous les seuils d’avant-crise. Bien qu’à des degrés divers, le plein emploi est redevenu la norme dans les économies développées. Les entreprises signalent encore des projets d’investissements assez significatifs. C’est le cas en Europe notamment, qui semblait encore à la traîne derrière ses grands partenaires. 

Une réorganisation des chaînes de valeur est en cours.
Cela ne rend pas plus aisée la lecture de la conjoncture.

Quelle que soit l’issue des négociations commerciales bilatérales, une réorganisation et un réalignement des chaînes de valeur sont en cours. Certains secteurs, certains pays, sont appelés à en profiter tandis que d’autres en pâtiront. Que ce soient des rapprochements des lieux de production et de consommation, des transferts de certains secteurs d’activité vers des zones de production à plus bas coût,  ou le redéploiement vers des domaines de haute qualification, ces mouvements tectoniques ne rendent pas plus aisée la lecture de la conjoncture, bien au contraire. L’imbrication des circuits de production, la fermeture des frontières, la possibilité de voir se mettre en place des standards technologiques concurrents et non compatibles, sont autant de risques de long terme. 

Ces risques sont accentués par l’imprévisibilité et l’absence de stratégie, si ce n’est celle de sa propre réélection, d’un Président américain désormais en campagne. Toujours à la recherche de boucs émissaires, il obtiendra peut-être de voir la Réserve Fédérale abaisser ses taux directeurs et d’autres banques centrales lui emboîter le pas. A trois semaines du sommet du G20, on peut se demander si l’économie mondiale pourra s’affranchir de ces tensions politiques ou si elle devra en faire les frais. 

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