La criminalité verte se mondialise

Robert Muggah & Ilona Szabó, Institut Igarapé

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Le problème du crime environnemental exige une diplomatie soutenue à travers toute une série de plateformes internationales.

©Keystone

 

Fin 2024, la police fédérale brésilienne a démantelé un réseau tentaculaire d'exploitation illégale de l'or à Pará, mettant au jour une entreprise criminelle qui s'étendait bien au-delà de la forêt tropicale. L'opération, qui s'inscrit dans le cadre d'une vaste campagne de répression de l'exploitation minière illicite dans les territoires indigènes, a permis de révéler des liens avec le blanchiment d'argent par l'intermédiaire de sociétés-écrans et de permis frauduleux, dont les fonds ont été retracés jusqu'à des comptes à Dubaï, à Miami et au Panama.

Au cours des perquisitions, les autorités brésiliennes ont saisi des drones, des téléphones cryptés et des barges remplies de carburant – autant d'outils d'une opération transnationale bien financée. Ce coup de filet a confirmé ce que les chercheurs dénoncent depuis des années: la criminalité environnementale en Amazonie est désormais étroitement liée à la criminalité financière mondiale. Les groupes armés qui les soutiennent corrompent les fonctionnaires et opèrent de plus en plus à l'échelle industrielle.

La criminalité environnementale a pris une telle ampleur qu'elle est en train de remodeler l'agenda politique mondial, passant d'une préoccupation de niche à un sujet urgent de diplomatie internationale. Les discussions sur les moyens de la prévenir figurent en bonne place lors des négociations des Nations unies sur le climat. Il y a également eu des délibérations officielles dans le cadre de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC), des réunions ministérielles lors de sommets économiques comme le G20, et des déclarations conjointes de groupes géopolitiques comme les BRICS.

Les crimes contre l'environnement sont bien plus qu'une forme de vandalisme écologique. Ils peuvent porter atteinte à la sécurité nationale et à la stabilité économique, et perturber l'action en faveur du climat et la protection de la biodiversité. Selon le Groupe d'action financière, les crimes contre l'environnement comme l'exploitation forestière et minière illégale, le trafic d'espèces sauvages et le déversement de déchets dangereux génèrent des revenus annuels qui vont jusqu'à 280 milliards de dollars et dépassent les profits de la traite des êtres humains et du commerce illégal des armes.

Ces marchés illicites sont souvent liés à des réseaux de criminalité organisée et, de plus en plus, à des systèmes transnationaux de blanchiment d'argent et de corruption, reliant les régions riches en ressources d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine aux centres financiers d'Amérique du Nord, d'Europe et du Moyen-Orient.

La prise de conscience croissante des menaces transnationales posées par la criminalité environnementale modifie les réponses internationales, nationales et régionales. La disparition des forêts et de la nature n'est plus seulement considérée comme une préoccupation environnementale, mais de plus en plus comme une priorité pour les services de police et la justice pénale.

Lors de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP16) qui s'est tenue en Colombie l'année dernière, plusieurs gouvernements et organisations régionales – dont l'Organisation du traité de coopération amazonienne et la Banque interaméricaine de développement – ont attiré l'attention sur les liens entre la criminalité environnementale et la perte de biodiversité. Avant la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP30) qui se tiendra cette année au Brésil, la déforestation illégale et les crimes qui y sont associés apparaissent comme un thème potentiel, compte tenu de leurs implications pour la perte de nature, les émissions de dioxyde de carbone et le réchauffement de la planète.

Entre-temps, les Nations unies ont intensifié leurs efforts pour lutter contre la criminalité environnementale dans le cadre de leur mandat de prévention de la criminalité transnationale. Les efforts visant à lutter contre la criminalité forestière et le trafic d'espèces sauvages ont pris de l'ampleur au cours de la dernière décennie, en particulier depuis la Déclaration de Doha. Fin 2024, l'UNTOC a créé un groupe d'experts intergouvernemental à composition non limitée chargé d'évaluer les cadres juridiques existants, d'identifier les lacunes critiques et d'examiner la faisabilité de l'établissement d'un protocole UNTOC dédié aux crimes affectant l'environnement. Les partisans du protocole, dont le Brésil, la France et le Pérou, soutiennent que le fait de lier la prévention des crimes contre l'environnement aux traités de lutte contre la criminalité permettrait d'accroître la sensibilisation, de renforcer les capacités d'application et de favoriser une coopération juridique et technique internationale plus prévisible.

Plusieurs autres institutions intergouvernementales participent également à ces débats et cherchent des moyens de lutter contre la criminalité environnementale. Le G20, par exemple, a pris des mesures modestes vers l'intégration des crimes environnementaux dans son programme plus large de stabilité économique et financière. En 2017, il s'est mis d'accord sur un ensemble de « principes de haut niveau sur la lutte contre la corruption liée au commerce illégal d'espèces sauvages et de produits dérivés ». Puis, lors du sommet du G20 de 2024 au Brésil, les délégués ont souligné les effets financiers et économiques déstabilisants des crimes contre la nature, en particulier ceux provenant des chaînes d'approvisionnement illégales en produits de base comme le bois, les minéraux et les produits de la faune et de la flore sauvages. Pour la première fois, le G20 a approuvé collectivement des mesures pour traquer et perturber les flux financiers illicites liés à la criminalité environnementale.

De même, le groupe des BRICS a provisoirement identifié la criminalité environnementale comme un sujet de préoccupation et de coopération mutuelles, à la suite d'une réunion en 2021 au cours de laquelle les ministres de l'Environnement des Etats membres ont explicitement reconnu les menaces posées par la criminalité liée aux espèces sauvages. Au début de l'année, les ministres des Affaires étrangères des BRICS+ ont publié une déclaration soulignant l'importance de s'attaquer aux flux financiers illicites liés aux crimes contre l'environnement. Compte tenu de l'importance de l'empreinte économique mondiale du groupe, son alignement croissant sur cette question envoie un message fort.

Bien entendu, la coordination et la conciliation de ces divers efforts internationaux constituent un défi. Chaque forum aborde la criminalité environnementale différemment. Alors que les COP s'attachent à protéger le climat et la nature, l'UNTOC se concentre sur l'application de la loi et la justice pénale, tandis que le G20 et les BRICS+ s'intéressent principalement aux flux financiers illicites. Il s'agit maintenant d'apporter une cohérence thématique et diplomatique à ces efforts.

Heureusement, la Commission des Nations unies pour la prévention du crime et la justice pénale étudie les moyens d'harmoniser des agendas disparates, notamment en liant la criminalité environnementale à la lutte contre les flux financiers illicites. De même, le sommet BRICS+ de Rio de Janeiro en juillet, la COP30 de Belém et le sommet du G20 en novembre offrent tous des points d'entrée prometteurs pour aligner les priorités et les stratégies.

En fin de compte, la lutte contre la criminalité environnementale ne se résume pas à des efforts nationaux isolés. Le problème exige une diplomatie soutenue à travers toute une série de plates-formes internationales. Les gouvernements, les entreprises et les groupes de la société civile peuvent chacun jouer de leurs atouts: les processus de la COP offrent une légitimité environnementale, la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée fournit un échafaudage juridique, le G20 apporte un poids économique, et les BRICS+ apportent un poids géopolitique et un potentiel de coopération Sud-Sud.

Une coordination plus étroite entre ces forums permettrait non seulement d'affiner la réponse mondiale, mais aussi de réduire les coûts de la lutte multilatérale contre la criminalité environnementale et d'en améliorer les résultats. A une époque de volatilité géopolitique et de dérive institutionnelle, la coordination stratégique est essentielle à toute réponse mondiale efficace aux gangsters de l'environnement.

 

Copyright: Project Syndicate, 2025.
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