La Conférence sur le financement du développement a-t-elle des chances de succès?

Jayati Ghosh, Université du Massachusetts d’Amherst

3 minutes de lecture

S’il faut s’attendre à ce que les Eats-Unis jouent les trouble-fête à Séville, ou à ce qu’ils se montrent indifférents aux accords conclus, cela ne signifiera pas pour autant un échec.

©Keystone

 

Le pessimisme est aujourd’hui compréhensible en ce qui concerne le multilatéralisme. Les récents rassemblements internationaux – Sommet de 2023 sur les Objectifs de développement durable, Sommet de l’avenir 2024, ainsi que les multiples Conférences des Nations Unies sur les changements climatiques – n’ont en effet donné lieu qu’à des promesses non tenues. Le président américain Donald Trump abandonnant actuellement les engagements internationaux des Etats-Unis, et rejetant les initiatives multilatérales tout en semant le désordre et la confusion dans le commerce mondial, la Conférence sur le financement du développement (FfD4) qui se tiendra à la fin du mois pourra-t-elle produire de meilleurs résultats?

Certes, il faut s’attendre à ce que les Etats-Unis jouent les trouble-fête à Séville, ou à ce qu’ils se montrent indifférents aux accords conclus. Cela ne signifiera pas pour autant l’échec de cette conférence. En effet, le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris 2015 sur le climat durant le premier mandat de Trump – quelques mois seulement après l’entrée en vigueur du texte – n’a pas conduit à sa disparition. Bien que l’action climatique demeure limitée, presque tous les protagonistes admettent que le changement climatique se produirait encore plus rapidement si cet accord n’avait pas été conclu.

Les Etats-Unis se sont par ailleurs retirés en avril des négociations sur la décarbonation du transport maritime menées au sein de l’Organisation maritime internationale (OMI) des Nations Unies, menaçant de prendre des «mesures réciproques» si de nouvelles taxes étaient imposées aux navires américains pour leur consommation de carburant. Or, l’OMI est malgré tout parvenue à convaincre 108 Etats – qui représentent 97% de la flotte marchande mondiale en termes de tonnage – d’approuver une nouvelle norme obligatoire concernant le carburant des navires, ainsi qu’un mécanisme mondial de tarification des émissions, dont les recettes sont destinées à soutenir notamment le développement d’infrastructures dans les économies en voie de développement.

Il est clairement possible pour le monde de progresser sans les Etats-Unis face à des défis communs. Le manque d’implication des Etats-Unis dans la FfD4 pourrait même s’avérer avantageux, compte tenu de leur tendance habituelle consistant à obtenir des compromis favorables à leurs propres multinationales, pour ensuite refuser de signer ou d’appliquer quelque accord que ce soit – comme l’illustrent les négociations relatives à l’accord fiscal mondial de l’OCDE, finalisé en 2021.

Pour que la FdD4 soit une réussite, il faudra néanmoins que d’autres Etats viennent combler le manque de leadership mondial, et qu’ils démontrent un engagement crédible en faveur de la coopération multilatérale, qui est essentielle à notre survie. Fort heureusement, la première version du document final de la FdD4 reconnaît cet impératif, et formule de nombreuses propositions politiques utiles et pratiques, dont plusieurs sont issues du rapport final de la Commission internationale d’experts sur le financement du développement (dont j’étais membre).

L’un des points clés du document consiste à permettre une plus grande mobilisation des ressources nationales. Un système fiscal international obsolète et des contrôles insuffisants des flux financiers illicites pèsent lourdement sur les budgets des pays à revenu faible et intermédiaire. Des réformes dans ces domaines contribueraient grandement à réduire les inégalités de revenus et d’actifs, ainsi qu’à faire croître des recettes fiscales indispensables pour financer les investissements dans la santé, l’éducation, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

Il est plus largement nécessaire que les participants au sommet de Séville s’efforcent de remédier à l’absence de filet de sécurité financière mondial. Une première étape pourrait consister à mettre en place des allocations régulières de droits de tirage spéciaux, l’actif de réserve du Fonds monétaire international. Pour renforcer l’impact de cette démarche, les DTS pourraient être distribués en fonction des besoins – en rupture avec l’approche actuelle, qui alloue les DTS proportionnellement aux quotas du FMI, ce qui signifie que les parts les plus importantes reviennent aux Etats qui en ont le moins besoin. Le FMI pourrait également introduire des swaps de DTS afin de répondre aux besoins de liquidités immédiats des économies qui ne bénéficient pas des swaps de liquidités de la Réserve fédérale américaine.

Ce n’est toutefois qu’un début. L’approche adoptée par le monde pour relever ses défis communs – du changement climatique jusqu’à la santé publique, en passant par le développement durable – a jusqu’à présent échoué. Les promesses et accords internationaux ne sont pas à la hauteur, que ce soit en termes d’ampleur ou de vision. L’approche «billions to trillions», censée tirer parti des subventions publiques pour débloquer des financements privés à l’appui de l’action climatique, ne s’est pas concrétisée. L’idée selon laquelle les donateurs combleront par leur seule bonne volonté l’insuffisance des financements pour le développement est aussi irréaliste que condescendante.

Il est temps d’adopter un modèle entièrement nouveau d’«investissement public mondial», dans lequel tous les États contribuent à la fourniture de biens publics partagés, en fonction de leurs moyens. Cela nécessitera premièrement une réforme fondamentale du FMI et de la Banque mondiale. Ces deux institutions doivent adopter une approche plus contracyclique en matière de prêts. Il leur faut par ailleurs cesser de lier les prêts à des conditions abusives, qui font primer les intérêts des capitaux mondiaux sur le bien-être des populations et de la planète. De manière générale, il est nécessaire que les banques multilatérales augmentent significativement leurs prêts afin de répondre aux besoins sociaux, climatiques et de développement, ce qui requiert des financements solides et fiables.

Un obstacle majeur se dresse toutefois sur la voie de ces changements: les décisions importantes du FMI et de la Banque mondiale nécessitent une majorité de 85% des voix, et la part de vote de 16% des Etats-Unis confère de fait à Washington un droit de veto. Sans réformes majeures de leur gouvernance, ces institutions demeureront paralysées, les Etats trouveront de plus en plus de moyens de les contourner, et elles sombreront dans l’insignifiance.

Il est dans le même temps nécessaire que les réglementations financières internationales soient renforcées, notamment par une plus grande coordination des législations nationales, éventuellement sur une base régionale dans un premier temps. La finance privée, qui a bénéficié pendant des décennies d’une réglementation laxiste et d’incitations positives, devrait être contrainte d’aligner ses décisions sur les objectifs sociaux et planétaires, sous peine de sanctions.

Ces propositions sont loin d’être radicales. Des mesures de ce type ont été prises dans l’histoire du capitalisme, et elles s’inscrivent incontestablement dans l’intérêt de tous les Etats. Seulement voilà, dans le contexte géopolitique actuel, elles peuvent sembler irréalistes. C’est la raison pour laquelle des «coalitions de volontaires» doivent prendre l’initiative de fixer des objectifs ambitieux, et fournir les efforts nécessaires pour les atteindre. La prochaine Conférence sur le financement du développement constitue un point de départ idéal.

 

Copyright: Project Syndicate, 2025.
www.project-syndicate.org

A lire aussi...