Investir en Chine a été un véritable défi ces dernières années: l’indice MSCI des actions chinoises ayant perdu plus de 60% par rapport à son pic de 2021, les investisseurs s’interrogent sur l’avenir de la deuxième économie mondiale. Ils craignent que la Chine n’entame un cycle déflationniste similaire à celui qu’a connu le Japon. Les similitudes entre ces pays sont en effet frappantes. Tous deux sont confrontés à un recul de la fertilité, ce qui se traduit par un déclin démographique. Tous deux ont subi un dégonflement des bulles immobilières, ce qui a fortement affecté la confiance des consommateurs.
Durant les années 1980, le Japon était perçu comme le principal rival des États-Unis, tant sur le plan géopolitique qu’en matière de technologie. Il en va pratiquement de même pour la Chine aujourd’hui. Ces parallèles incitent à penser que la Chine serait condamnée à marcher sur les traces du Japon et à endurer des décennies de stagnation. Un «indice de la japonisation» de la Chine (mesurant le risque qu’elle aille, comme le Japon, au-devant de décennies perdues) montre qu’elle est plus à risque que le Japon lui-même, puisque ce dernier enregistre une hausse de son inflation.
Mais un tel cheminement n’est pas inéluctable. Il y a une dizaine d’années, l’Europe se trouvait aussi confrontée à une spirale déflationniste provoquée par la crise de la dette. Et c’est Mario Draghi qui, en osant s’engager résolument, notamment au travers de son fameux «quoi qu'il en coûte», a contribué à sortir la zone euro de cette spirale. Pour ce qui est de la Chine aujourd’hui, toute la question est de savoir si elle est réellement prête à agir.
La vision de Xi Jinping
Pour comprendre la politique actuelle de la Chine, il est important de tenir compte de son narratif historique. La vision de Xi Jinping est profondément ancrée dans le «siècle de l’humiliation» (1839-1945), période durant laquelle la Chine était en retard sur les plans industriel et technologique. Elle se trouvait en situation de vulnérabilité par rapport aux puissances occidentales, à la Russie et au Japon. Aussi, plutôt que de se focaliser uniquement sur la croissance du PNB, Xi Jinping met l’accent sur la maîtrise de la technologie et de la production, laquelle est à ses yeux la pierre angulaire de la solidité de la nation (tout comme elle l’a été pour les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale).
On pourrait se demander pourquoi les voitures chinoises sont plutôt rares sur les routes des pays occidentaux. L’évolution des circuits du commerce international en est l’une des causes.
Constatant que le déclin industriel de l’Europe et des États-Unis résulte d’une délocalisation massive, la Chine cherche à l’éviter. Elle a donc mis en place une politique dirigée par l’Etat et qui vise à promouvoir la science, la technologie et la production industrielle. Cette stratégie ressemble à celle déployée durant la restauration de Meiji au Japon (1868), laquelle a permis au pays de s’industrialiser rapidement pour faire face aux menaces venant de l’étranger.
L’économie change de moteur
Ce retour sur l’histoire permet de mieux appréhender les raisons de l’abandon récent des secteurs immobilier et financier, considérés par la Chine comme détournant capitaux et talents de secteurs plus stratégiques tels que l’industrie de pointe. La poursuite des investissements dans le secteur manufacturier, malgré l’excédent de production, s’explique par la loi de Wright. En augmentant sa production en permanence, la Chine cherche à gagner en productivité et à réduire ses coûts de manière à consolider sa compétitivité à l’international. De ce fait, sa croissance dépend toujours plus des exportations. Cette tendance est particulièrement marquée dans l’automobile, secteur, où la Chine est en passe de prendre la place du Japon en tant que 1erexportateur mondial de voitures.
Montée du protectionnisme et découplage
On pourrait se demander pourquoi les voitures chinoises sont plutôt rares sur les routes des pays occidentaux. L’évolution des circuits du commerce international en est l’une des causes. Les États-Unis, l’Union européenne et le Japon ne représentent plus que 1/3 des exportations chinoises (contre 55% au début des années 2000 et une proportion importante des exportations chinoises va désormais aux pays de l’ASEAN ainsi qu’à d’autres marchés émergents. Par ailleurs, l’influence de la Chine est peu visible pour le consommateur moyen du fait qu’elle est l’un des principaux fournisseurs de batteries et autres composants utilisés dans les véhicules électriques européens.
En se focalisant sur la production de produits de pointe et les exportations, la Chine a provoqué un sursaut de protectionnisme et suscité un accroissement des efforts de relocalisation de la production dans les pays développés. Cette tendance se manifeste notamment au travers de la menace de Donald Trump d’imposer des droits de douane de 60% sur les importations chinoises. Cependant, la Chine peut atténuer l’impact de ces droits de douane de diverses façons: en adaptant sa devise, en contournant les barrières commerciales et réorientant ses exportations vers d’autres marchés.
Spirale déflationniste ou renaissance technologique?
Même si les craintes concernant la déflation et la stagnation de l’économie chinoise sont légitimes, il existe aussi des arguments très convaincants en faveur de sa résilience. Le pays paraissant bien déterminé à devenir une puissance technologique et industrielle, il ne peut se permettre d’entrer dans une spirale déflationniste. Par conséquent, le gouvernement prendra probablement toutes les mesures nécessaires pour l’éviter. Mais la relance, au contraire de celle de 2008, sera progressive et mesurée, car les autorités estiment qu’il n’est pas souhaitable d’encourager un système trop dépendant de mesures de relance. Xi Jinping a d’ailleurs souligné à de nombreuses reprises les dangers de l’assistanat.
À long terme, l’économie chinoise devrait bénéficier du fait que les autorités se focalisent sur la croissance de la productivité tout en s’efforçant d’éviter la formation d’une spirale déflationniste. Mais, dans la mesure où la part des services à l’économie augmente au fil du temps, la hausse de la productivité reposera toujours plus sur le secteur de la haute technologie. Cela ne devrait pas poser de problème particulier dans la mesure où les investissements dans l’IA et la robotique devraient pouvoir améliorer sensiblement l’efficacité de l’économie dans son ensemble.
Compte tenu de l’appétence du gouvernement actuel pour les idées marxistes, les inquiétudes concernant l’allocation des capitaux persistent. Mais la Chine a su tirer les leçons du passé et reconnu le rôle essentiel des forces du marché et le fait que les principaux moteurs de l’innovation sont les entreprises. Même si les surcapacités sont fréquentes dans les nouvelles industries chinoises, elles finissent par se restructurer selon une dynamique de «survie du plus fort», ce qui se traduit par des gains de productivité sur le long terme.
Une action à suivre
En conclusion, les investisseurs devraient suivre de près la Chine lorsqu’elle adapte ses objectifs en fonction des pressions domestiques et externes. Le résultat de ses décisions ne déterminera pas seulement l’avenir du pays, mais il aura aussi des répercussions importantes sur l’économie internationale. La réorientation stratégique de la Chine est révélatrice d’une transformation économique et géopolitique au niveau mondial. Reste à voir si ces évolutions favoriseront la coopération, la croissance et l’innovation ou aboutiront, au contraire, à la création de nouvelles tensions et la mise en place de mesures protectionnistes.