L’investissement durable: messages contradictoires des tribunaux

Masja Zandbergen, Robeco

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Les investisseurs sont soumis à des pressions pour être à la fois plus et moins durables.

Ces dernières années, des entreprises ont été poursuivies en justice pour leur manque de pratiques durables. L’action engagée par les Amis de la Terre Pays-Bas (une organisation environnementale néerlandaise également connue sous le nom de «Milieudefensie») contre Shell a franchi un nouveau palier, en tenant l’entreprise pour responsable du réchauffement de la planète.

Le groupe a exigé que Shell fixe des objectifs en matière d’émissions de CO2, non seulement pour les émissions Scope 1 et Scope 2 (émissions liées aux activités), mais aussi pour les émissions Scope 3 qui sont liées à l’utilisation de ses produits, tels que le pétrole et le gaz dans les voitures. Conformément au devoir de diligence prévu par le droit néerlandais, les tribunaux ont donné raison aux Amis de la Terre.

ING confronté à une procédure judiciaire sur le climat aux Pays-Bas

C’est maintenant au tour du secteur financier. Les Amis de la Terre Pays-Bas poursuit la banque ING aux Pays-Bas pour avoir financé des entreprises dont les plans de lutte contre le changement climatique sont insuffisants. ING doit s’assurer que sa politique de lutte contre le changement climatique est conforme à l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris, en réduisant ses émissions absolues de CO2 d’au moins 43% en 2030 par rapport aux niveaux de 2019, selon les Amis de la Terre.

En outre, ING doit non seulement veiller à ce que toutes les grandes entreprises clientes présentent un plan sérieux de lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi cesser de soutenir financièrement les clients qui ne présentent pas un tel plan dans un délai d’un an. Cela s’applique en particulier aux clients qui continuent à développer des combustibles fossiles ou qui n’ont pas de plan solide d’élimination progressive des combustibles fossiles.

ExxonMobil a intenté une action en justice contre Follow This et Arjuna Capital

Dans un autre cas, les rôles sont inversés: ExxonMobil a intenté une action en justice au Texas contre l’initiative d’actionnaires Follow This et le gestionnaire d’investissement Arjuna Capital, basé dans le Massachusetts, après le dépôt d’une résolution d’actionnaires demandant à Exxon de fixer les mêmes objectifs de réduction d’émissions Scope 3 que ceux imposés à Shell par un tribunal néerlandais.

ExxonMobil a demandé que la proposition d’actionnaire soit exclue de sa circulaire de sollicitation de procurations parce qu’elle «traite d’une question relative aux activités commerciales ordinaires de l’entreprise» et parce qu’elle aborde le même sujet que les propositions déjà soumises en 2023 et 2022. Le groupe a fait valoir que cela ne répondait pas aux critères de resoumission de la SEC et que la proposition «ne cherche pas à améliorer les performances économiques d’ExxonMobil ou à créer de la valeur pour les actionnaires». Son objection a abouti, puisque la résolution a été retirée, mais Exxon poursuit son action en justice.

Les actionnaires pourraient hésiter à faire valoir leurs droits

Indépendamment de l’issue de la plainte contre la banque ING, il semble clair qu’au moins aux Pays-Bas, une bonne politique climatique couvrant également les émissions du scope 3 n’est plus seulement une «option». Et quelle que soit l’issue de la procédure engagée contre Follow This et Arjuna Capital, la pratique consistant à contourner la SEC et à porter plainte directement devant un tribunal pourrait faire hésiter les actionnaires à faire valoir leurs droits.

À première vue, il semble que les attentes ESG pour les entreprises en portefeuille en Europe et aux Etats-Unis s’éloignent plutôt qu’elles ne se rapprochent. En fait, une récente enquête ESG menée par Cerulli (The Cerruli Edge: US Institutional, the ESG Edition: Q1 2024) auprès d’investisseurs institutionnels américains montre une situation différente. Selon cette étude, 68% des investisseurs institutionnels américains intègrent les questions ESG dans leurs décisions d’investissement.

Après le «greenwashing», le «greenhushing» pose problème

En ce qui concerne l’actionnariat actif, près de la moitié des institutions ayant répondu (46%) sont des actionnaires actifs et 33% prévoient de le devenir au cours des 24 prochains mois. Parmi eux, 69% s’engagent avec les équipes de direction des entreprises de leur portefeuille sur les questions liées à l’ESG, et 20% supplémentaires prévoient d’accroître leurs efforts par le biais de diverses méthodes: résolutions d’actionnaires (31%), engagement collaboratif (30%) et vote par procuration (25%). Ils doivent toutefois garder à l’esprit que les investisseurs institutionnels qui tentent d’utiliser les droits des actionnaires doivent désormais être conscients des risques de litiges.

Ce qui a changé, c’est que les investisseurs institutionnels seront plus prudents dans leur communication sur les investissements durables. Après le «greenwashing», c’est maintenant le «greenhushing» qui pose problème. Il ne faut donc pas sous-estimer le mouvement anti-ESG qui existe aux Etats-Unis. La situation va plutôt s’aggraver que s’améliorer.

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