En reclassifiant les fonds par niveau de durabilité et selon des critères objectifs précis, le règlement européen «Sustainable Finance Disclosure Regulation» (SFDR) a contribué, via son article 9, à mieux définir les contours de l’investissement à impact. Obligeant de nombreux gestionnaires à requalifier leurs fonds, cette clarification du régulateur a permis une démocratisation de ce type d’actifs, offrant aux investisseurs plus de clarté sur les options liquides disponibles.
Or, si les fonds article 9 sont aujourd’hui mieux alignés avec les obligations réglementaires, l’«impact washing» n’a pas totalement disparu. Cette réalité offre aux gestionnaires d’actifs les plus vertueux l’opportunité de tirer leur épingle du jeu. Pour être crédibles sur ce marché, ils doivent avant tout s’atteler à une définition objective de la finance d’impact, telle qu’établie par des organismes reconnus internationalement, au premier rang desquels le Global Impact Investing Network (GIIN).
Les gérants qui font de l’investissement à impact ne réinventent pas la roue, mais réalignent l’investissement vers des entreprises conscientes des enjeux séculaires.
Dès lors, ces gestionnaires vertueux se démarquent généralement par une expertise poussée dans la durabilité et par une équipe d’analystes internes. Aussi, ils se distinguent par des fonds d’impact souvent concentrés autour d’un nombre relativement restreint d’entreprises. Cela traduit une volonté de privilégier la connaissance des titres qui composent le fonds, et donc d’offrir des opportunités d’investissements qui allient conviction et alpha.
Concilier l’impact et l’alpha
La croyance selon laquelle l’impact et l’alpha s’excluent mutuellement pourrait découler de la polarité entre deux théories économiques fortement influentes. D’une part, la théorie de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter met l’accent sur la recherche du profit et de la croissance via l’innovation. Selon Schumpeter, les entreprises doivent constamment innover pour survivre et prospérer, ce qui conduit souvent à des bouleversements dans le marché et à la disparition de certaines entreprises au profit de nouvelles. Cette approche se focalise essentiellement sur la maximisation des profits et la croissance économique.
D’autre part, R. Edward Freeman est connu pour sa théorie des parties prenantes, qui suggère que les entreprises devraient créer de la valeur non seulement pour les actionnaires, mais également pour toutes les composantes de la société. Cela inclut les employés, les clients, les fournisseurs et la communauté. Freeman propose une vision plus holistique de l’entreprise, où le succès ne se mesure pas uniquement en termes financiers, mais aussi par son impact positif sur toutes les parties prenantes.
Par définition, l’impact est en réalité parfaitement conciliable avec la génération d’alpha. Il se définit en effet comme une philosophie d’investissement où les intérêts de toutes les parties prenantes (personnes, planète, prospérité) sont alignés. En ce sens, la finance d’impact se situe à la convergence des théories de Schumpeter et de Freeman.
Les fonds article 9 peuvent certes sous-performer à court terme, mais ils tendent à surperformer sur un horizon de cinq ans. Ils ont aussi le potentiel de surperformer sur le long terme puisqu’ils s’inscrivent dans des tendances de croissance à long terme. Par exemple, la transition énergétique est un domaine où les entreprises verront leurs revenus augmenter à mesure que leurs technologies gagneront en maturité. Les pure-players (entreprises exerçant dans un secteur d'activité unique) du renouvelable illustrent bien cette dynamique. Les gérants qui font de l’investissement à impact ne réinventent pas la roue, mais réalignent l’investissement vers des entreprises conscientes des enjeux séculaires.
La nécessité d’une sélection rigoureuse des titres
Au-delà des caractéristiques financières, de management et de valorisation, il est crucial de choisir des entreprises dont les stratégies prennent en compte les évolutions réglementaires. Toutes ne sont en effet pas égales face à l’évolution des réglementations européennes et nationales. Certaines d’entre elles, et c’est particulièrement le cas dans le domaine énergétique, sont tributaires du bon développement des infrastructures (ex.: bornes de recharge, système de stockage intelligent, etc.). D’autres enfin bénéficient d’un certain engouement, car leur activité repose sur des technologies potentiellement révolutionnaires. Cependant, ces entreprises affichent des performances erratiques en raison d’un manque de maturité industriel.
L’enjeu pour les gestionnaires est donc de choisir des sociétés qui respectent un impératif de double matérialité entre l’impact et l’attractivité financière. Ainsi, les gestionnaires spécialisés dans ce type d’investissements établissent une «watchlist» des entreprises et technologies prometteuses sur le plan de la durabilité, mais dont la capacité de développement commercial demeure incertaine. L’hydrogène vert, les petits réacteurs nucléaires (Small Modular Reactors ou SMR) et le carburant durable d'aviation sont autant d’applications techniques au potentiel de décarbonation intéressant, mais qui peinent encore à voir émerger des acteurs aux performances financières stables. C’est pourquoi une gestion multithématique prenant aussi en compte les enjeux de développement sociaux (éducation, santé, alimentation, etc.) peut apporter de la stabilité aux performances tout en garantissant la satisfaction des besoins primaires.
La meilleure approche consiste donc à privilégier un portefeuille équilibré en termes de taille, de thématiques et de géographie, et à s’émanciper d’un benchmark contraignant afin de pouvoir effectuer des rééquilibrages lorsque cela est nécessaire ou qu’un nouvel acteur émerge.