Il y a de bonnes raisons d’investir dans des entreprises familiales

Maxime Carmignac, Carmignac UK

3 minutes de lecture

Les entreprises familiales méritent mieux que le sort qui leur est réservé par les codes de gouvernance.

Lutte pour le pouvoir, pour le contrôle, népotisme, guerre de succession. Voici des termes souvent associés aux entreprises familiales. Il en résulte des notations particulièrement faibles en matière de gouvernance, dans les systèmes de notations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). De quoi décourager quiconque souhaiterait investir de manière responsable.

Pourtant, en s’y penchant plus attentivement et en adoptant une approche sélective, il y a de bonnes raisons d’y investir.

Les luttes intestines dans les entreprises familiales sont croustillantes. Lorsqu’en plus l’argent s’en mêle, elles deviennent littéralement fascinantes. Il suffit de constater la popularité de la série télévisée Succession, inspirée par la famille Murdoch pour s’en convaincre. Ce faisant, nous en oublions que des dizaines de milliers de sociétés détenues principalement par des familles ou par leur fondateur génèrent de la performance et créent de la valeur chaque année, depuis des décennies. Aujourd’hui, elles ne représentent rien de moins que 70% du produit intérieur brut mondial et de 50 à 80% des emplois dans de nombreux pays1.

Contrairement à ce que certaines séries télévisées laissent entendre, les créateurs d’entreprises ne sont pas des parieurs, ce sont des bâtisseurs. Tout commence avec la vision et la détermination d’une personne. Elles prospèrent, car, contrairement aux sociétés non familiales, leur objectif ne se limite pas à la sacrosainte croissance des bénéfices. C’est bien souvent la quête de sens qui favorise l’innovation: le désir de faire ce qu’il faut plutôt que de faire les choses comme il faut. Comme le disait Antoine de Saint-Exupéry, «Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants». Il en va de même pour les entreprises familiales.

Les entreprises familiales sont généralement
moins endettées que les autres.

Les entreprises familiales peuvent, plus aisément que les autres, prendre des décisions dont les bénéfices ne se matérialiseront pas à court terme. En effet, les dirigeants recrutés «à l’extérieur» disposent d’un temps limité pour faire leurs preuves et subissent souvent la pression d’investisseurs court-termistes qui scrutent chaque trimestre l’amélioration des bénéfices. Il leur serait par exemple impossible, de faire comme Hasso Plattner, l’un des fondateurs du géant technologique européen SAP. Sur ses deniers personnels, il a créé, en 2003, l’institut Hasso Plattner pour l’ingénierie digitale, à l’université de Potsdam, et l’institut de design associé, à l’université de Stanford. Ces deux organismes ont offert aux ingénieurs les conditions et le temps nécessaires à la conception d’une base de données relationnelle révolutionnaire. A partir de là, l’institut a développé SAP HANA, un logiciel capable de traiter des données de manière quasi instantanée, dont il a transmis la suite des recherches à SAP. La décision prise par SAP n’aurait pas été validée par un conseil d’administration traditionnel, elle était trop radicale et incertaine. Hasso Platner, lui, a eu la liberté de privilégier le long-terme, et HANA est aujourd’hui la première plateforme logicielle de SAP, utilisée par plus de 12'000 clients.

Les paris long terme n’impliquent pas un endettement excessif. En réalité, les entreprises familiales sont généralement moins endettées que les autres. La base de données «Family 500» de Carmignac suit les sociétés cotées mondiales dont le contrôle est assuré au moins à hauteur de 10% par des familles, des fondateurs, des fondations ou des fiducies. Cette base de données souligne qu’en moyenne, leur niveau d’endettement relatif est environ trois fois moins élevé que celui des entreprises non familiales2.

Cependant, pour les entreprises familiales, il n’y a pas de vérité universelle. Une approche sélective s’impose.

L’univers d’investissement des sociétés familiales est vaste et diversifié. Il faut être méticuleux pour dénicher les perles rares.

La gouvernance ne doit pas se limiter
à cocher des cases

La géographie est un facteur important. Au cours des 15 dernières années, les entreprises familiales de l’Union Européenne et des États-Unis ont surperformé les sociétés non familiales de +50% et +40% respectivement, tandis que sur les marchés émergents, les entreprises familiales ont sous-performé3. La base de données «Family 500» de Carmignac montre que les entreprises familiales américaines sont les mieux positionnées.  

La taille compte. Alors que les entreprises familiales ont fait mieux que les autres toutes catégories de capitalisation confondues, ce sont les très grandes capitalisations4 qui ont enregistré les performances les plus solides ces 15 dernières années, avec une croissance presque trois fois supérieure. L’investissement dans des entreprises familiales ne doit pas se limiter aux petites et moyennes capitalisations, il existe de superbes opportunités dans les plus grandes.

Il faut également tenir compte de la génération. Les entreprises familiales dirigées par les premières et deuxièmes générations affichent généralement de bons résultats. À partir de la 5e génération, les performances sont plus variables car l’état d’esprit familial unique tend à se diluer.

Le pourcentage des droits de vote détenus par la famille doit également entrer en ligne de compte pour les sociétés familiales cotées: s’il est trop faible (< 10%), les avantages que procurent une entreprise familiale sont imperceptibles, s’il est trop élevé (> 80%), les actionnaires minoritaires sont négligés. Les administrateurs non exécutifs doivent avoir les moyens de défendre les actionnaires non familiaux. Les investisseurs doivent surveiller les rémunérations globales des dirigeants, en particulier s’ils sont liés à la famille. Ils doivent également être attentifs à la manière dont elles interagissent avec leur environnement et leurs partenaires et à la qualité de leurs pratiques comptables.

La gouvernance ne doit pas se limiter à cocher des cases. Cela requiert une approche d’investissement active, alliant l’analyse humaine et la recherche indépendante. De cette façon, les investisseurs ont toutes les cartes en main pour identifier les sociétés capables de créer de la valeur sur le long terme, tout en contribuant à l’intérêt commun.

 

1 Source: UBS, juin 2019
2 Ratio d’endettement net/EBITDA (résultat opérationnel + amortissements + dépréciations) de 0,4x contre 1,1x
3 Scores moyens de gouvernance de MSCI par région
4 > 50 milliards de dollars

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