Les géants de la tech ne sont pas surévalués

Yves Hulmann

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David Older, gérant chez Carmignac, met en perspective l’envol des cours des sociétés technologiques.

Lundi, le Nasdaq a atteint un nouveau record historique, dépassant momentanément les 10'400 points, avant se replier quelque peu mardi. A peine effleuré par la crise du coronavirus, l’indice qui regroupe les valeurs technologiques à la bourse de New York a ainsi gagné plus de 15% depuis le début de l’année, comparé à un recul de 2% encore affiché par l’indice élargi S&P 500 aux Etats-Unis.

Après le plongeon survenu en mars, le récent rebond des valeurs de la «big tech» n’a-t-il pas été trop rapide? Ce n’est pas l’avis de David Older, spécialiste des valeurs technologiques chez Carmignac. Il estime que «la crise du Covid-19 a surtout contribué à accélérer les tendances séculaires qui existaient déjà». C’est le cas notamment des sociétés actives dans divers domaines tels que les réseaux sociaux, les plateformes de commerce en ligne, les concepteurs d’outils de vidéoconférence à l’exemple de Zoom, les fabricants de logiciels loués sous la forme de service tels que Salesforces ou encore des sociétés actives dans les paiements en ligne comme Adyen ou PayPal.

En 2000, les titres du Nasdaq se négociaient, en moyenne, à quelque 70 fois
leurs bénéfices. Actuellement, ce multiple se situe aux environs de 30.

L’expert cite aussi l’exemple du développement récent du commerce électronique: il a fallu cinq ans pour que la part du e-commerce passe de 8 à 15% aux Etats-Unis, alors que cette proportion a ensuite bondi de 15 à 25% au cours de cinq semaines seulement ce printemps. Au vu de ces développements, «les valorisations affichées par les sociétés technologiques apparaissent complètement justifiées» aux yeux de David Older. Cela d’autant plus que les grandes entreprises technologiques ont démontré ces derniers mois qu’elles ne dépendaient pas de l’évolution de la croissance globale pour pouvoir continuer à se développer.

Des valorisations raisonnables comparé au début des années 2000

Les ratios cours/bénéfices (P/E) affichés par les grandes entreprises de la tech, qui se traitent souvent à plus de 30 fois leurs bénéfices estimés, ne sont-ils pas exagérés? David Older compare les niveaux de valorisation actuels par rapport à ceux qui prévalaient avant l’éclatement de la bulle Internet: «Les entreprises technologiques sont, aujourd’hui, évaluées beaucoup plus raisonnablement qu’au début des années 2000», juge-t-il. En 2000, les titres du Nasdaq se négociaient, en moyenne, à quelque 70 fois leurs bénéfices. Actuellement, ce multiple se situe aux environs de 30, met-il en perspective.

Autre différence essentielle: les sociétés technologiques n’ont, aujourd’hui, plus besoin de démontrer la validité de leur modèle d’affaires, ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. S’y ajoute la structure des marges de ces entreprises: actuellement, beaucoup d’entreprises de la tech n’ont que de très faibles coûts en capitaux. Elles peuvent dès lors rapidement augmenter le volume de leurs activités («scale up») sans avoir besoin d’un apport supplémentaire en capital - ou, au contraire, les revoir à la baisse sans devoir supporter des coûts fixes trop élevés.

L’essor spectaculaire des géants de la tech ne risque-t-il pas de devenir un facteur de risque pour les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Alphabet) – en particulier aux Etats-Unis où il existe des lois qui visent à empêcher une trop grande concentration des pouvoirs au sein de certaines entreprises? Sur le plan politique, des pressions allant dans ce sens peuvent émaner aussi bien du camp des Démocrates que de celui des Républicains, estime-t-il. Donald Trump a des rapports conflictuels avec les réseaux sociaux, tandis que certains Démocrates verraient d’un bon œil le démantèlement d’Amazon. Toutefois, relève l’expert, il faut aussi garder à l’esprit la dimension globale acquise par les géants de la tech au cours des dernières années. «Auparavant, ces entreprises partaient de la Silicon Valley pour conquérir ensuite l’ensemble des Etats-Unis, puis l’Europe ou d’autres régions du monde. Actuellement, les FAANG sont toutes des plateformes globales qui visent un marché global», illustre-t-il.

La tech chinoise a revu à la baisse ses ambitions internationales

Quel sera l’impact de l’émergence des concurrents asiatiques dans le domaine des technologies? Pour David Older, les entreprises de la tech asiatique sont concurrentielles mais avant tout dans des spécialités bien particulières. Huawei, par exemple, est certes leader dans les équipements pour les réseaux 5G mais, en même temps, l’entreprise souffre des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, ce qui limite ses chances de parvenir à se positionner comme un leader véritablement mondial.

Tesla est avant tout une entreprise technologique
plutôt qu’un constructeur automobile.

La même tendance s’observe dans l’e-commerce: «Tencent et Alibaba sont des leaders incontestables du commerce en ligne en Chine et dans quelques pays asiatiques. Malgré tout, ces deux groupes ont réduit leurs ambitions d’expansion hors de Chine, à l’exception de quelques pays proches», fait-il observer. Par ailleurs, la Chine reste loin derrière les Etats-Unis dans le domaine des semi-conducteurs, ajoute-t-il. A titre d’exemple, Taiwan Semiconductors a construit un site de production d’un coût de 20 milliards de dollars en Arizona.

Tesla est plus avancée que ses pairs sur le plan technologique

En dehors des FAANG, que pense-t-il de l’évaluation de sociétés telles que Tesla? David Older ne juge pas ce titre comme étant complètement surévalué: «Tesla est avant tout une entreprise technologique plutôt qu’un constructeur automobile. Tesla peut, par exemple, mettre à jour l’ensemble des logiciels de ses voitures quand vous êtes rentré chez vous. Aucun autre constructeur de véhicules électriques ne dispose d’un tel savoir-faire dans ce domaine. Bien sûr, l’action Tesla est chère mais cette société dispose clairement d’avantages compétitifs par rapport au reste de la branche», juge-t-il.

Enfin, selon le spécialiste, il serait faux de réduire la technologie aux seules FAANG. Et de citer le secteur des voyages, très affecté par la pandémie. Même dans ce domaine en crise, une société telle que Booking.com a de bons atouts à faire valoir sur le long terme, estime-t-il. Celle-ci ne vend en effet plus seulement des vols ou des chambres d’hôtels mais elle est devenue leader dans les systèmes de réservation et elle met aussi des solutions informatiques à disposition d’autres entreprises de la branche.

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