Nous écrivions fin janvier que le risque autour de la guerre commerciale nous paraissait sous-estimé sur les actions, en particulier avec la remise en question de la domination de la technologie américaine suite à l’émergence de nouveaux concurrents dans le domaine de l’IA (Deepseek, Mistral..). Le mois de février nous a plutôt donné raison avec des indices américains qui poursuivent leur sous performance alors que le MSCI China bondit lui de plus de 11% sur le mois. La révision à la hausse du risque de guerre tarifaire devait par ailleurs se solder par des taux en baisse (risque sur la croissance supérieur au risque inflationniste) et là encore c’est plutôt ce qu’il s’est produit, en particulier aux Etats-Unis où les taux à 10 ans ont baissé de plus de 30bps.
En revanche nous n’avions pas anticipé les annonces du gouvernement allemand concernant son objectif de déficit budgétaire. Celles-ci sont massives:
- Les dépenses militaires supérieures à 1% du PIB seraient exclues de la règle du frein à l’endettement
- Création d’un fonds spécial hors budget de 500 milliards d’euros sur 10 ans, soit 1.1% du PIB par an, dédié aux investissements dans les infrastructures.
- Tout cela est encore à prendre au conditionnel et il va falloir que ça soit voté par le parlement et qu’il n’y ait pas d’opposition de la cour constitutionnelle mais le contexte parait aujourd’hui favorable pour faire passer ce type de réforme.
- L’Europe a, de son côté, annoncé dans le même temps, le plan «ReArm EU» qui devrait donner aux états plus de latitude pour augmenter là encore les dépenses militaires:
- 150 milliards d’euros de prêts à destination de l’ensemble des pays de la zone Euro.
- Incitation des états membres à augmenter leurs budgets nationaux en leur proposant de déroger aux règles budgétaires via l’exclusion des dépenses militaires des calculs. Ursula Van Der Leyen a estimé cette nouvelle «marge budgétaire» à environ 650 milliards d’euros sur 4 ans, soit environ 1% de PIB / an.
- Recours simplifié à la Banque Européenne d’Investissement (BEI) pour autoriser le financement des projets liés au secteur de la défense, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Là aussi c’est substantiel en théorie. Mais en pratique cela sera beaucoup plus compliqué puisque les pays n’ont pas tous les mêmes marges budgétaires ni la même volonté de faire croitre les dépenses liées à la défense de manière aussi importante. La direction est néanmoins claire: moins d’orthodoxie budgétaire en zone Euro.
Le gouvernement chinois a, lui aussi, fait état de sa volonté d’augmenter son soutien à l’économie en annonçant un déficit budgétaire prévisionnel de 4% en 2025 avec pour objectif d’atteindre, comme en 2024, 5% de croissance. Il est trop tôt pour savoir si cela sera suffisant étant donné la probable guerre tarifaire avec les Etats-Unis mais c’est là aussi significatif. Cela devrait permettre au momentum positif sur les actions chinoises de se poursuivre dans les semaines qui viennent.
Vers une fragilisation de la croissance américaine?
Le mois dernier a aussi confirmé le moindre dynamisme de la croissance américaine avec une série de chiffres décevants: les ventes aux détails, les PMI ou encore l’enquête du Conference Board sont tous sortis bien en dessous des attentes. Les perspectives de croissance restent pour le moment encore solides aux Etats-Unis, à 2.3% pour 2025 mais le risque nous semble aujourd’hui orienté à la baisse à horizon 6-9 mois et ce pour différentes raisons:
- Baisse de l’immigration (alors que c’est l’une des raisons de la forte croissance US des 2 dernières années). En janvier, le nombre de personnes à traverser la frontière sud était de 61k contre un plus haut de 270k en septembre 2023 (et encore 190k en juin 2024).
- DOGE: Elon Musk semble sérieux quant à sa volonté de diminuer les dépenses fédérales: -77k employés à mi-février (Source gouvernement américain), avec l’objectif de licencier a minima le maximum des «contractuels» soit 200k employés. L’effet n’est pas négligeable, surtout si l’on prend en compte les effets de second rang sur le secteur privé.
- Droits de douane et représailles: beaucoup d’incertitudes mais c’est a priori négatif croissance et haussier inflation à court terme.
- Inflation salariale réelle en baisse: l’inflation salariale baisse alors que l’inflation reste élevée, sachant que cette dernière est sans doute sous-évaluée (sur la partie santé par exemple).
- Effet richesse qui se dissipe: c’est l’une des raisons de «l’exceptionnalisme» américain depuis 2-3 ans. Les très forts gains sur les actifs financiers et l’effet richesse induit (actions, tech, IA, crypto) ont en effet permis une consommation soutenue et une confiance forte de la part des agents économiques.
- Des attentes élevées: nous en avons déjà parlé plusieurs fois avec une situation très différente de 2023 et 2024. Cela reste d’actualité avec des craintes de récession au plus bas. Il sera donc beaucoup plus facile de décevoir.
La conjoncture européenne s’améliore de son côté très légèrement (Sentix, ZEW, IFO) mais cela reste très fragile. Les annonces européennes et allemandes seront positives pour les perspectives de la zone Euro court terme si elles sont réellement suivi d’effet. Les consensus devraient ainsi graduellement s’ajuster à la hausse.
Cette amélioration probable combinée aux déceptions concernant la conjoncture américaine a entrainé un très fort resserrement des taux européens et américains et une hausse significative de l’Euro, prenant le consensus de marché à revers. Etant donné la force des annonces et nos perspectives concernant l’économie US, il nous semble que le mouvement peut se poursuivre sur la devise européenne.
S’il est difficile d’avoir de fortes convictions à l’heure actuelle étant donné l’instabilité géopolitique ambiante et la faible visibilité concernant les droits de douane, il nous semble toutefois que climat reste extrêmement favorable à l’or, au franc suisse et aux taux réels vs taux nominaux.
Perspectives pour le mois de Mars
Le monde est instable et les marchés volatils, ce qui ne milite pas pour des prises de risques significatives. La sur performance des actions européennes n'est pour le moment que la résultante de multiples revus à la hausse et non d'une amélioration réelle des perspectives bénéficiaires, ce qui pourrait limiter le potentiel futur d'appréciation. L'environnement plaide pour une poursuite du mouvement haussier sur l'or, peut-être encore plus qu'avant.