Elon Musk a-t-il cassé le Bitcoin?

Wilfrid Galand, Montpensier Finance

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Pour la stabilité des marchés financiers, défier ouvertement les puissances publiques monétaires alors que l’incertitude économique reste grande, n’est jamais une bonne idée.

Alors que le système financier commence à se les approprier, les cryptomonnaies attirent désormais l’attention des régulateurs nationaux, inquiets d’une concurrence à leur souveraineté financière et de la spéculation en cours.

La fin de l’euphorie ou le début de l’âge de raison? Après la décision de la Turquie le 17 avril d’interdire toute transaction en bitcoin sur son territoire, les bruits se sont multipliés laissant supposer que l’Inde et surtout le département de Trésor américain allaient renforcer eux aussi les contraintes sur l’utilisation des cryptomonnaies. La sanction a été immédiate avec une forte correction des cours, jusqu’à -20% en séance pour le bitcoin dimanche 18 avril. 

Plus que l’impact immédiat sur ces actifs, dont la valeur reste en très nette progression depuis le début de l’année et plus encore depuis un an, c’est le symbole qui est frappant. Les Etats ne veulent pas que leur monopole monétaire, composante essentielle de leur souveraineté, soit remis en question. 

Il faut dire que la croissance phénoménale de la masse monétaire depuis 12 ans et tout spécialement depuis le début de la pandémie – le montant des dollars en circulation a été augmenté de 70% depuis février 2020 – a pu jeter le doute sur la valeur à terme des monnaies «fiat», garanties par la seule crédibilité des banques centrales. Face à cet emballement, les cryptos-actifs, dont une des caractéristiques est la rareté et l’impossibilité de procéder à une création monétaire non prévue à l’origine, sont rapidement devenues des refuges pour les particuliers d’abord, mais aussi, plus récemment, pour les institutionnels.

La finance s’est en effet emparée du phénomène. D’abord par la mise en place, dès fin 2017, d’un marché de contrats «futures» en bitcoin, puis par la création de «desks» spécialisés dans les grandes banques d’affaires américaines, et enfin par l’intérêt exprimé de fonds d’investissement. Après une longue période de scepticisme, le leader du marché, BlackRock, a ainsi annoncé en janvier de cette année ouvrir officiellement ses fonds aux investissements en cryptomonnaies.

Restait au bitcoin, pour acquérir véritablement le statut de monnaie, à devenir un véritable instrument d’échange et de mesure de valeur, sans nécessiter pour cela le passage par une monnaie traditionnelle comme le dollar, l’euro ou le yuan. C’est ce pas décisif qu’a franchi Elon Musk le 24 mars dernier en annonçant la possibilité prochaine de payer une Tesla en bitcoins, ce qui viendrait alimenter directement le compte bitcoins de l’entreprise, sans utiliser un intermédiaire en dollars. 

La diffusion des cryptos dans le système financier et le risque systémique qui s’y attache d’une part, et ce mouvement, pour passer d’un statut de crypto-actif à un statut de cryptomonnaie, d’autre part, ne pouvait que susciter l’attention des régulateurs et en tout premier lieu des banques centrales.

Le privilège de battre monnaie est en effet associé étroitement à la souveraineté d’un Etat sur son territoire et toute concurrence est sévèrement réprimée dès lors que la souveraineté devient (ou redevient) un enjeu majeur. En France, Philippe Auguste, après la conquête de la Normandie, de l’Anjou et de la Touraine au début du XIIIe siècle, crée le denier «tournoi» et l’impose comme la monnaie du royaume. Plus près de nous, Franklin Roosevelt, en avril 1933, impose à tout citoyen américain de vendre son or à l’Etat, sous peine d’amende et même de prison. Ce décret ne sera abrogé que par Gerald Ford en 1974!

L’histoire n’est pas écrite et, à l’image de l’or, le bitcoin reste un actif de diversification en ces temps d’expérimentation monétaire. Il représente en outre une véritable approche alternative peer to peer, horizontale, des transactions financières. Il attire enfin un public souvent jeune et éloigné des marchés financiers traditionnels, pour lequel il représente autant un investissement qu’un prolongement de convictions profondes. Attention, le Bitcoin est un placement extrêmement volatile et spéculatif. 

Pour la stabilité des marchés financiers, défier ouvertement les puissances publiques monétaires alors que l’incertitude économique reste grande, n’est jamais une bonne idée. Travailler en partenariat avec eux – à l’image de Facebook reprenant largement son projet initial de monnaie privée Libra pour l’intégrer au système existant – est sans nul doute une voie plus constructive et porteuse d’avenir.

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