Deux ans après le rachat forcé de Credit Suisse par UBS, les causes de cette triste débâcle ont été disséquées et publiées; il n’y sera pas revenu ici. Ce qui surprend cependant, c’est qu’apparemment aucune procédure civile ou pénale n’ait été intentée contre l’un ou l’autre ancien dirigeant de Credit Suisse, pour les mettre face à leurs responsabilités. Il en résulte un sentiment d’impunité et d’injustice qui nuit à toute l’économie. Pourtant, ce ne sont pas les bases légales qui manquent, mais plutôt la facilité de les appliquer.
C’est pourquoi le Conseil fédéral propose comme 2e mesure (sur 29) dans son rapport du 10 avril 2024 sur la stabilité des banques que l’on ajoute dans la loi un régime garantissant une attribution plus claire des responsabilités. C’est ce que l’on appelle dans d’autres places financières un «Senior Manager Regime» ou SMR. Pour le Conseil fédéral, sa mise en œuvre doit être proportionnée : au moins à l’échelon du conseil d’administration et de la direction, et éventuellement à d’autres échelons.
Si le Senior Manager Regime ne devait malgré tout pas être limité aux banques systémiques, il faudrait alors tenir compte des particularités des banques non systémiques, et pas seulement de leur taille.
L’Association Suisse des Banquiers, la faîtière de toutes les banques, est ouverte à une telle idée, comme en témoigne sa position officielle, publiée sur son site internet: «En complément à la disposition existante concernant la garantie d’une activité irréprochable, nous sommes favorables en outre à l’introduction d’un régime léger, proportionné et pragmatique en matière de responsabilité (Senior Manager Regime). Afin d’assurer une stricte proportionnalité, ces mesures concrètes doivent toutefois tenir compte de la taille, de la complexité et du profil de risque des établissements concernés, de leurs modèles d’affaires respectifs ainsi que de leur forme juridique et de leurs éventuels mandats légaux. Pour la grande majorité des établissements, il est donc clair selon nous qu’il ne devrait pas y avoir de nouvelles exigences.»
La première question à trancher est de savoir à quelles banques un SMR devrait s’appliquer. Le Conseil fédéral dans son rapport propose comme champ d’application les banques d’importance systémique et d’examiner s’il faut l’étendre à d’autres banques. Ce dernier point ne semble pas nécessaire selon les déclarations de la Présidente de la Commission d’enquête parlementaire (CEP) devant le Conseil des Etats le 10 mars dernier: «Les banques qui, selon les autorités, ne sont pas considérées comme "systémiques" ne sont pas concernées par le rapport de la CEP et nos propositions. La commission attache une grande importance à cette distinction pour l'élaboration future des bases légales.
Si le SMR ne devait malgré tout pas être limité aux banques systémiques, il faudrait alors tenir compte des particularités des banques non systémiques, et pas seulement de leur taille. Celles dont le modèle d’affaires se concentre sur la gestion de fortune présentent beaucoup moins de risques pour l’économie. Celles qui sont en mains privées, souvent familiales, ont une structure de détention qui leur impose naturellement la prudence dans leur gestion, a fortiori quand leurs propriétaires ont une responsabilité personnelle illimitée (les banquiers privés). Le Conseil fédéral reconnaît lui-même que le cercle des personnes assujetties au régime de responsabilité «devrait pouvoir être géré de manière flexible afin de tenir dûment compte des structures de management spécifiques à un établissement» (rapport du 10 avril 2024, ch. 15.3.4.3 p. 255).
La portée des obligations imposées par le SMR doit aussi rester pragmatique et ne pas transformer le SMR en bureaucratie inutile (certification annuelle, documentation sans fin). Il convient à cet égard de s’inspirer du modèle singapourien bien plus que du modèle anglais, qui est d’ailleurs en cours de révision. Il faut aussi assurer une coordination intelligente avec la garantie de l’activité irréprochable, qui vérifie déjà les qualités professionnelles et l’intégrité des personnes qui occupent des fonctions dirigeantes au sein des banques. La Finma peut déjà prononcer des interdictions d’exercer à l’égard de ces personnes (41 cas depuis 2014); le SMR doit simplement servir à mieux définir les responsabilités de chacun.
L’on verra bien si les paramètres du SMR suisse que proposera l’administration en juin prochain répondent à ces critères. Il est important de ne pas mettre en péril la compétitivité des banques suisses par des règles trop formalistes; elles sont déjà les seules (avec celles de Singapour) à appliquer complètement les règles de Bâle III en matière de fonds propres.