Encore un coup d’épée dans l’eau

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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La place financière suisse en fait déjà beaucoup pour la durabilité; il vaut mieux collaborer qu’interdire.

L’initiative pour une place financière suisse durable a finalement été lancée le 26 novembre 2024. Celle-ci n’en ferait pas assez et serait «responsable d’émissions de CO2 qui atteignent au moins 18 fois les émissions totales de la Suisse». Sachant que d’après l’Office fédéral de la statistique, les activités financières et d’assurance génèrent moins de 1% des émissions de gaz à effet de serre de la Suisse, le facteur serait de plus de 1800… si seulement c’était si simple!

Ce ne sont donc pas les bâtiments et ordinateurs des instituts financiers suisses qui polluent, mais bien leurs «activités commerciales ayant un impact sur l’environnement à l’étranger», qu’il faudrait aligner sur des objectifs de température et de biodiversité. On parle donc des activités d’entreprises non financières domiciliées à l’étranger «sur lesquelles ils ont une influence» (argumentaire des initiants). C’est tout le défaut de l’initiative de croire que les instituts financiers suisses peuvent dicter leur conduite à des entreprises étrangères – ils ne détiennent jamais plus de la moitié du capital des grands pollueurs.

L’initiative pour une place financière suisse durable ne propose rien de nouveau.

Il ne faut pas non plus oublier que les avoirs gérés par les instituts financiers suisses ne sont (sauf pour une très faible partie) pas les leurs, mais ceux de leurs clients, qui décident eux-mêmes comment ils souhaitent les investir. En outre, si un financement ou une assurance ne sont plus possibles en Suisse, comme le voudrait l’initiative, cela n’aura aucun effet sur l’activité polluante, qui sera simplement financée ou assurée dans un autre pays, par un institut qui se préoccupe encore moins de durabilité. Alors si le but est de se donner bonne conscience, l’initiative a un sens, mais elle n’évitera aucune émission de CO2.

D’ailleurs que proposent les initiants pour mettre concrètement en œuvre cet alignement des activités commerciales? Des plans de transition, soit exactement ce que prévoit à son article 5 la loi fédérale sur le climat et l’innovation, qui entre en vigueur le 1er janvier 2025. Et le Conseil fédéral vient d’ouvrir une consultation pour préciser les exigences applicables aux plans de transition des entreprises du secteur financier. Enfin, la Finma élabore actuellement une nouvelle circulaire sur les risques financiers liés à la nature, qui s’appliquera aux banques et aux assurances. L’initiative ne propose donc rien de nouveau.

On peut comprendre la frustration des initiants que la transition énergétique n’ait pas lieu plus rapidement. C’est qu’elle demande beaucoup de ressources matérielles, personnelles et financières, mais surtout la volonté des décideurs. Comme l’écrivent les initiants dans l’introduction de leur argumentaire, «le passage à une économie mondiale respectueuse du climat et de l’environnement concerne tous les secteurs et toutes les entreprises». Plutôt que d’interdire certaines activités financières en Suisse, ce qui n’aura aucun impact concret, il vaut mieux se battre pour interdire des activités polluantes au niveau international.

En Suisse, une étude de l’ASB et de BCG en 2021 a montré qu’atteindre l’objectif net zéro en 2050 coûterait 13 milliards par année, surtout dans les secteurs des véhicules et des bâtiments, et que plus de 90% des investissements nécessaires peuvent être financés par l’offre ordinaire des banques, le reste concernant des biens de l’Etat. Mais là aussi, ce sont les propriétaires des véhicules, des immeubles et des usines qui doivent décider du changement. Les instituts financiers peuvent bien attirer l’attention, expliquer, conseiller, la décision finale reste celle de leurs clients.

Cela ne signifie pas que les instituts financiers restent les bras croisés. Les banques privées et les banques de gestion, par exemple, ont lancé en 2021 une initiative pour clarifier des priorités d’action et mesurer à quel point celles-ci sont mises en œuvre, dans le respect des délais. C’est ainsi qu’un troisième rapport de progrès est publié ce jour, qui montre que de bons progrès sont en cours pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des fonds que les banques contrôlent et ont été réalisés pour accroître l’offre de produits durables et la formation des conseillers.

Seule la mesure des émissions tout le long de la chaîne de valeur recule, en raison de nouvelles exigences et de définitions plus détaillées. Les banques ont besoin de données en provenance des entreprises dans lesquelles elles investissent, données que les entreprises non financières ne seront tenues de publier qu’à partir de l’année prochaine. C’est aussi la raison pour laquelle les Swiss Climate Scores peinent encore à être utilisés, faute de données disponibles et de bonne qualité – et pas seulement en Suisse!

Le changement climatique est un problème global qui appelle une réponse et un engagement global. Les instituts financiers suisses jouent volontiers leur rôle, mais celui-ci n’a de sens que si les autres jouent aussi le leur.

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