Construire une bioéconomie circulaire pour répondre à la menace croissante des incendies de forêt

Marc Palahí, Lombard Odier IM

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Au niveau local, la bioéconomie prospère là où la nature s’épanouit, ce qui signifie que la croissance économique va de pair avec la création de paysages sains.

© Keystone

 

Depuis la soirée du 7 janvier, des incendies dévastateurs ravagent la région de Los Angeles. Plus de 100’000 personnes ont été contraintes d’évacuer. Les premières estimations chiffrent les pertes assurées à USD 20 milliards, tandis que les pertes économiques totales pourraient atteindre USD 57 milliards. Il est toutefois impossible de quantifier les souffrances humaines et les pertes émotionnelles.

Bien que la cause exacte de ces incendies reste à déterminer, il est probable que les fortes précipitations de l’année dernière dues au phénomène météorologique El Niño aient alimenté la croissance de la végétation, laquelle s’est desséchée durant une récente période prolongée de sécheresse. Combinées à des vents violents, ces conditions ont créé un terrain idéal à la propagation des flammes. La science est formelle: le changement climatique et les méthodes actuelles de gestion des paysages aggravent les risques d’incendie à l’échelle mondiale. 

Le défi majeur en Californie, auquel fait également face le bassin méditerranéen, qui a connu une augmentation des incendies de forêt ces dernières années, réside dans l’interface rural/urbain, où la ville côtoie la campagne. Cette zone accueille désormais un nombre disproportionné de résidences situées dans des territoires très exposés aux risques d’incendie. 

A mesure que les zones résidentielles s’étendent davantage dans les espaces sauvages, les risques pour les habitations et les entreprises augmentent. A l’échelle mondiale, les réclamations d’assurance liées aux incendies de forêt atteignent désormais USD 10 milliards par an, un montant qui pourrait être largement dépassé en 2025. Pendant ce temps, de nombreux propriétaires touchés par les incendies de Los Angeles se retrouvent sans assurance habitation, les assureurs ayant soit fortement augmenté leurs primes, soit simplement annulé les contrats en raison de l’escalade des risques.

Outre l’expansion urbaine, le changement climatique et nos méthodes d’aménagement et de gestion des paysages figurent parmi les principaux facteurs déclencheurs. Avec la hausse des températures et la multiplication des épisodes de sécheresse, les conditions favorisant les départs de feu, à savoir une végétation sèche et une propagation rapide, sont de plus en plus fréquentes. 

A travers le monde, cette nouvelle génération d’incendies dépasse notre capacité à les maîtriser. Face à des menaces environnementales, économiques et sociales croissantes, il est impératif de passer d’une approche axée sur la suppression tactique des incendies à des stratégies holistiques combinant atténuation et adaptation. Ces stratégies visent à réduire le risque de déclenchement d’incendies extrêmes tout en créant des paysages résilients, capables de se régénérer rapidement en cas d’incendie. 

Ces dernières années, des progrès scientifiques et techniques significatifs ont été réalisés dans les pratiques de gestion des terres, intégrant prévention et préparation, détection et réponse, ainsi que restauration et adaptation. Par exemple, la sylviculture adaptée au changement climatique, qui place la résilience et les bénéfices climatiques au centre de la gestion forestière, émerge comme un outil efficace pour créer des paysages résilients aux incendies de forêt et aux autres événements climatiques extrêmes tels que les épisodes de sécheresse et les inondations. Mais la question est de savoir comment financer ces stratégies.

L’essor de la bioéconomie circulaire est essentiel pour atteindre cet objectif. En remplaçant l’économie actuelle, extractive et fondée sur les énergies fossiles, par une économie fondée sur le pouvoir régénérateur de la nature, nous pouvons réduire les émissions responsables du réchauffement climatique et diminuer le risque d’événements météorologiques extrêmes, tout en attirant les investissements nécessaires pour transformer les paysages et les entreprises de façon intégrée. Au niveau local, la bioéconomie prospère là où la nature s’épanouit, ce qui signifie que la croissance économique va de pair avec la création de paysages sains, riches en biodiversité, ainsi que résilients au changement climatique et aux incendies.

Les forêts et l’agroforesterie, qui jouent un rôle multifonctionnel et offrent un large éventail de services écosystémiques, sont idéales pour construire ce nouveau modèle économique. Les nouvelles technologies offrent des possibilités inédites pour transformer des composés végétaux en de nombreux matériaux aujourd’hui issus des énergies fossiles, tels que les matériaux de construction, les textiles, les plastiques et les produits chimiques. La gestion durable des forêts pour produire ces ressources régénératrices renforce également les services écosystémiques qu’elles fournissent, améliorant la capture du carbone, la santé des sols et la rétention d’eau tout en réduisant la vulnérabilité des forêts aux incendies. Il en est de même pour l’agroforesterie et l’agriculture régénératrice, qui nous permettent de produire les aliments dont nous avons besoin tout en optimisant les services écosystémiques. Cela n’est pas le cas de l’agriculture traditionnelle qui, certes, nous offre nos aliments, mais en générant des externalités environnementales.

A mesure que la bioéconomie se développe, celle-ci génère de nouvelles opportunités économiques. Rien que dans la région amazonienne, la bioéconomie pourrait représenter une valeur atteignant USD 4’000 milliards. A l’échelle mondiale, cette dernière est estimée à USD 7’700 milliards d’ici 2030.

Du point de vue des investisseurs, la croissance de la bioéconomie circulaire est l’occasion pour le capital privé et les partenariats public-privé de générer des rendements tout en créant des paysages résilients et capables de résister aux incendies. Les solutions fondées sur la nature, telles que l’agriculture régénératrice, l’agroforesterie et la gestion durable des forêts, offrent des perspectives de profits économiques à long terme et d’augmentation de la valeur des terres, tout en améliorant les services écosystémiques liés à la biodiversité, à l’eau, aux sols et au climat. 

Qu’il s’agisse d’entreprises qui transforment les plantations de café en monoculture en agroforêts saines, produisant ainsi un café de meilleure qualité vendu à un prix supérieur, cultivé sur des fermes résilientes au changement climatique qui captent plus de carbone qu’elles n’en émettent, ou des marchés des crédits carbone et biodiversité, qui offrent aux investisseurs la possibilité de viser des rendements durables tout en diversifiant leurs portefeuilles, les opportunités abondent.

Toutefois, pour que ces mécanismes et d’autres puissent être mis en œuvre à grande échelle, des outils financiers innovants seront nécessaires. Les stratégies axées sur les actifs réels, qui déploient le capital afin de transformer les biens fonciers dégradés ou non adaptés en actifs résilients et régénérateurs. Des initiatives comme l’Emission Reduction Fund en Australie et la Forest Resilience Bond aux Etats-Unis, qui permet à des capitaux privés de contribuer à la gestion des terres publiques, doivent devenir la règle plutôt que l’exception. A ces fins, le secteur de la finance doit mieux comprendre le rôle clé joué par la nature, véritable moteur de notre économie. Au cours des prochaines années, la norme devra consister à mettre les experts scientifiques en relation avec les professionnels de l’investissement et de la finance.

Dans un monde où les pertes dues aux catastrophes environnementales ne cessent de croître (en 2024, les catastrophes climatiques ont coûté USD 320 milliards à l’économie mondiale ), il est urgent d’agir, et les investisseurs ont un rôle clé à jouer. Pour financer la lutte contre les incendies, nous devons adopter une approche multidimensionnelle intégrant la science, la finance et les politiques publiques afin de bâtir une bioéconomie circulaire qui s’attaque aux causes profondes de ces événements extrêmes. Dans cette ère marquée par le changement climatique, nous devons nous inspirer de la nature et construire la résilience depuis ses fondations.

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