Le coût de ces médicaments devrait rester élevé jusqu’à l’arrivée de concurrents vers 2027; nous pensons que d’ici 2030 leur utilisation concernera moins de 10% des adultes américains obèses.
- Les médicaments amaigrissants GLP-1 pourraient s’avérer les plus importants de l’histoire moderne pour les entreprises pharmaceutiques. Ils conjuguent un énorme marché potentiel à une utilisation à long terme, et promettent par conséquent des revenus récurrents
- Actuellement, seules deux sociétés pharmaceutiques bénéficient d’une approbation pour leurs médicaments amaigrissants GLP-1; leurs concurrents ne disposent que de médicaments candidats en phase d’essai
- Les fabricants de dispositifs médicaux et certaines entreprises actives dans l’alimentation et les boissons ont vu leurs cours chuter en raison des inquiétudes liées au GLP-1, un recul qui nous semble excessif.
Cette année, l’intelligence artificielle (IA) a retenu l’attention des investisseurs, mais la guerre contre le surpoids n’est pas très loin. Les médicaments amaigrissants GLP-1 ont un impact important sur la santé publique et les entreprises pharmaceutiques et de technologie médicale, ainsi que sur le secteur de la consommation.
Il fait peu de doute que les médicaments GLP-1 – comme Wegovy, Ozempic, Mounjaro et Zepbound – changent la donne en matière de traitement. Conçus à l’origine pour stimuler la production d’insuline chez les diabétiques de type 2, ces médicaments imitent l’action de l’hormone intestinale GLP-1 qui stimule la libération d’insuline par le pancréas après chaque repas. Des études ont montré qu’ils entraînaient une perte de poids de 15 à 20% en réduisant l’appétit et en ralentissant la digestion (voir tableau). Leur utilisation par des célébrités a pris de l’ampleur, et leur potentiel pour lutter contre l'obésité est devenu évident.
Aujourd’hui, plus d’un adulte sur quatre aux États-Unis et un sur dix dans le monde souffrent d’obésité, une maladie qui accroît le risque de diabète, d’affections cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux, de cancers, de mobilité réduite et de troubles mentaux. Jusqu’à récemment, l’obésité était davantage considérée comme la résultante d’un mode de vie que comme un problème médical. Mais la situation évolue, en partie en raison du lourd tribut que l’obésité entraîne sur les finances publiques: 2,5% du PIB mondial d’ici à 2035, selon les estimations de la Fédération mondiale de l’obésité, ce qui équivaut à l’impact du Covid-19 en 2020.
L’enthousiasme des investisseurs est justifié: les GLP-1 pourraient compter parmi les produits pharmaceutiques les plus importants de tous les temps. Au cours des décennies précédentes, les ventes des pharmas ont été dopées par les statines, les immunothérapies anticancéreuses, puis les vaccins Covid. Le marché des GLP-1 pourrait être plus vaste et sa croissance plus rapide: selon nos estimations, les ventes annuelles pourraient atteindre 70 à 100 milliards USD d’ici à 2030. Auparavant, il n’existait pas de médicaments réellement efficaces pour la perte de poids. La chirurgie bariatrique était la principale option.
Les GLP-1 combinent deux éléments importants pour les entreprises pharmaceutiques: un vaste marché potentiel et un besoin à combler couplés à une utilisation à vie, nécessaire pour être efficace, et donc des revenus récurrents. À l’heure actuelle, seules deux entreprises ont obtenu une approbation pour leurs traitements amaigrissant à base de GLP-1. Nous nous attendons à ce que ce duopole, qui leur permet de maintenir des prix élevés, perdure jusqu’en 2027: de 10'000 à 16'000 USD par patient et par an aux États-Unis, selon les estimations, même si la concurrence entre les deux sociétés pourrait exercer une légère pression à la baisse.
Les résultats des essais les plus récents concernant le principal médicament contre l’obésité, le Wegovy, ont également indiqué qu’il réduisait de 20% le risque d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral et d’accidents cardiaques mortels chez les personnes obèses ou en surpoids souffrant d’une maladie du cœur. Ces résultats devraient stimuler le nombre d’ordonnances et la prise en charge de ces médicaments par les caisses maladie. Ils suggèrent également que les GLP-1 pourraient devenir importants dans le cadre du traitement des maladies cardiovasculaires, un autre gigantesque marché. Des essais sont en cours pour déterminer s’ils peuvent contribuer à traiter plus de maladies, du syndrome des ovaires polykystiques à l’abus d’alcool, en passant par la démence. Leur utilisation dans le traitement de l’obésité s’étend à de nouveaux marchés et à des populations plus jeunes. Les premiers médicaments à base de GLP-1 administrés par voie orale pourraient arriver sur le marché en 2025, ce qui augmenterait leur attrait pour les patients rebutés par les injections hebdomadaires.
Actuellement, le débat ne porte pas sur l’efficacité des GLP-1, mais sur leur coût – et donc sur les obstacles à leur adoption. Selon les économistes de la santé, la prise en charge des médicaments contre l’obésité – qui n’est pas encore effective – aux prix actuels pèserait lourdement sur les finances de l’assurance maladie fédérale américaine Medicare, même si le taux d’utilisation est limité. Au Royaume-Uni, les médecins peuvent les prescrire pour l’obésité, mais seulement pour un an. Notre modélisation du marché suppose une augmentation relativement faible de la pénétration des médicaments d’ici à 2030, pour atteindre seulement 8% des adultes américains obèses.
D’autres facteurs pourraient tempérer l’optimisme des marchés. Les effets secondaires à long terme de ces médicaments ne sont pas connus. Les précédents médicaments amaigrissants ont eu des conséquences néfastes, qu’il s’agisse des amphétamines, du «fen-phen» ou de l’Acomplia de Sanofi, abandonné en 2008 en raison des inquiétudes suscitées par un risque accru de suicide. L’Agence européenne des médicaments (EMA) examine les données relatives au risque de pensées suicidaires chez les patients traités par GLP-1. Cet examen devrait s’achever ce mois-ci. Après plusieurs années d’utilisation des GLP-1 contre le diabète, peu d’effets secondaires graves été constatés, la plupart se limitant à des nausées, des vomissements et des diarrhées – bien que le dosage soit légèrement plus élevé pour Wegovy, qui est la version prescrite pour l’obésité, que pour Ozempic, utilisé pour le traitement du diabète. En ce qui concerne leurs concurrents, à savoir Mounjaro contre le diabète et Zepbound contre l’obésité, il n’y a pratiquement pas de différence.
Les contraintes en matière d’approvisionnement constituent un problème plus important. Il est difficile d’augmenter la production de médicaments injectables, et l’offre limitée de Wegovy est utilisée en priorité pour les patients existants plutôt que pour les nouveaux.
Toutefois, les valorisations des entreprises qui vendent ces médicaments confrontent les investisseurs à la réalité. Les deux seules sociétés pharmaceutiques qui ont obtenu une approbation pour les médicaments GLP-1 contre l’obésité se négocient à 40 et 100 fois les bénéfices, contre une moyenne autour de 15 pour leurs homologues. Peu habitués à modéliser une croissance aussi spectaculaire, les analystes pharmaceutiques ont décidé de valoriser ces sociétés sur la base des ratios cours-bénéfice/croissance, ce qui ne paraît pas inapproprié. L’opportunité pluriannuelle se prête peut-être mieux à une évaluation fondée sur la somme des flux de trésorerie futurs, plutôt que sur les bénéfices réalisés en une seule année. À plus long terme, la promesse des GLP-1 pourrait donner de l’élan à l’ensemble du secteur pharmaceutique. Mais il reste difficile, pour le moment, d’évaluer le potentiel de leurs concurrentes. Leurs médicaments candidats en sont au stade des premiers essais cliniques et n’ont, en moyenne, que 15% de chances de parvenir sur le marché.
Les spéculations concernant le possible impact des GLP-1 se sont très vite répandues sur les marchés boursiers: des passagers plus minces permettront-ils aux compagnies aériennes de réduire leur facture de carburant? Les applications de régime vont-elles disparaître? Deux événements survenus en octobre 2023 ont provoqué des ventes des titres des sociétés de biens de consommation et d’appareils médicaux. Le premier est un commentaire du CEO américain de Walmart selon lequel les achats alimentaires des patients sous GLP-1 diminuaient. Les patrons de grandes entreprises de l’alimentation et des boissons se sont empressés d’affirmer qu’ils n’avaient constaté aucun impact. Le second a été la déclaration d’un fabricant de robots de chirurgie bariatrique faisant état d’un ralentissement des taux de croissance des procédures américaines.
De notre point de vue, le recul des cours des titres des sociétés du segment des appareils médicaux a été excessif. Les fabricants spécialisés dans les dispositifs d’apnée du sommeil et dans les médicaments contre la stéatose hépatique, étroitement liés à l’obésité, pourraient être affectés. Néanmoins, les entreprises plus diversifiées, y compris les fabricants d’appareils de surveillance de la glycémie et de prothèses articulaires, font face à un marché vaste et en pleine croissance, surtout si l’on considère la faible proportion de patients obèses qui devraient prendre de tels médicaments d’ici à 2030. La plupart des assureurs ne les couvrent qu’à court terme et de nombreux patients arrêtent de les prendre au bout d’un an, auquel cas la plupart des kilos ont tendance à revenir.
Nous pensons que le scénario le plus pessimiste concernant les GLP-1 pourrait désormais être intégré dans le cours de certaines sociétés du secteur des biens de consommation de base. Tout changement dans les habitudes de consommation est difficile à prévoir à ce stade, et les entreprises devraient avoir amplement le temps de repenser leurs portefeuilles de produits. Nombre d’entre elles, en particulier en Europe, se sont déjà tournées vers des collations plus saines et vers la nutrition sportive.
Certes, en 2023, les secteurs défensifs tels que la santé et les biens de consommation, ont été impactés par une économie américaine résiliente et par les rendements compétitifs offerts par de nombreuses obligations. Nous privilégions les biens de consommation, pour lesquels nous anticipons une reprise des volumes et des marges en 2024.