Financer la résilience des forêts

Marc Palahí, Lombard Odier IM & Antoni Trasobares, FIRE-RES project & Robert Mavsar, European Forest Institute

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Afin d'atténuer les conséquences considérables des incendies, à l'ère du changement climatique, il faut adopter une approche à multiples facettes, intégrant la science, la finance et la politique.

Le changement climatique provoque des incendies de forêt sans précédent qui ont de graves conséquences sur les vies humaines, notre santé, la nature ainsi qu’en termes économiques – sans oublier les émissions de gaz à effet de serre. La lutte contre les incendies ne suffit plus: nous avons besoin d'un nouveau modèle axé sur la résilience des paysages et la sylviculture intelligente face au climat. Des outils financiers innovants doivent jouer un rôle de catalyseur.

Cet été, nous avons connu la température moyenne mondiale la plus élevée jamais enregistrée, suivie d’incendies de forêt extrêmes. Par exemple, le plus grand incendie de forêt jamais enregistré dans l'UE, l'incendie d'Alexandroupolis et d'Evros en Grèce, a brûlé plus de 81’000 hectares et coûté la vie à 20 personnes. Rien qu'au Canada, les incendies de forêt ont entraîné l'émission de plus de 2,2 milliards de tonnes d'équivalent CO2, soit probablement le triple des émissions annuelles de gaz à effet de serre de l'ensemble de l'économie canadienne.

Un problème qui s'accélère

Outre les effets dévastateurs sur l'environnement et les êtres humains, les incendies de forêt ont également d'immenses conséquences économiques à court et à long terme, sous la forme de coûts de lutte contre les incendies, de dommages aux biens et aux entreprises et d'une augmentation des demandes d'indemnisation. On estime qu'à l'échelle mondiale, les demandes d'indemnisation liées aux incendies de forêt s'élèvent à 10 milliards de dollars par an. Cette nouvelle génération d'incendies dépasse les capacités actuelles et futures de lutte contre les incendies et constitue une menace majeure pour l'environnement, l'économie et la société.

Un nouveau modèle est nécessaire. Nous devons passer de stratégies centrées sur la suppression des incendies à des stratégies de résilience des paysages et de sylviculture intelligente face au climat. Nous devons créer des paysages plus résistants et plus résilients aux incendies. La sylviculture intelligente face au climat, par exemple, est une approche scientifique émergente qui optimise les objectifs d'adaptation et d'atténuation des forêts.

Un financement encore insuffisant

Actuellement, la plupart des financements liés à la prévention des incendies de forêt et à la gestion des paysages proviennent de subventions publiques, ce qui n'est pas suffisant pour faire face à l'ampleur du problème. Les partenariats public-privé et le financement privé sont essentiels pour déployer des investissements à grande échelle afin de créer des paysages résistants et résilients.

Dans ce contexte, le marché du carbone et le futur marché de la biodiversité offrent des opportunités intéressantes pour le financement privé. Aux USA par exemple, l'initiative Forest Resilience Bond vise à combler le déficit de financement de la restauration des forêts en permettant aux capitaux privés de jouer un rôle dans le soutien à la gestion des terres publiques. Toutefois, ces mécanismes de financement innovants ne sont pas largement appliqués.

Nécessité d'un cadre révisé de comptabilisation du carbone

Pour encourager d'autres initiatives, il est important que les émissions dues aux incendies de forêt soient prises en compte dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Actuellement, les pays déclarent les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre résultant «directement» de l'activité humaine ou se produisant sur des terres dites gérées. Cela signifie que les émissions dues aux incendies de forêt survenant sur des terres non gérées ou résultant de causes naturelles ne sont pas déclarées, alors qu’elles constituent une source importante d'émissions de carbone terrestre à l'échelle mondiale.

Une fois ceci fait, il sera alors possible d'élaborer des cadres scientifiques pour quantifier et certifier les réductions d'émissions de gaz à effet de serre résultant de la mise en œuvre de mesures de gestion en faveur de la résilience des paysages. Cela pourrait constituer la base de fonds de réduction des émissions dues aux incendies de forêt pour financer la résilience des forêts et la sylviculture intelligente face au climat en vendant des crédits de carbone.

En conclusion, la menace croissante des incendies de forêt, exacerbée par le changement climatique, exige un changement de paradigme pour passer de la simple extinction des incendies à une résilience proactive des paysages et à une sylviculture intelligente face au climat. Pour relever ce défi, des outils financiers innovants doivent occuper le devant de la scène. Les marchés émergents, l'échange de droits d'émission de carbone et de biodiversité, recèlent des opportunités. Toutefois, il est impératif que les émissions dues aux incendies de forêt soient intégrées dans le cadre des rapports de la CCNUCC. Cette approche pourrait permettre de créer des fonds de réduction des émissions dues aux incendies de forêt par la vente de crédits carbone.

Pour résoudre ce problème crucial, il faut adopter une approche à multiples facettes, intégrant la science, la finance et la politique, afin d'atténuer les conséquences considérables des incendies de forêt à l'ère du changement climatique.

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