Confinement: ressentez-vous un profond déphasage?

Florian Roger, Exane Derivatives

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Après le COVID-19, une reprise conjoncturelle en V se profile au troisième trimestre 2020.

Les surprises économiques remontent à vitesse grand V des deux côtés de l’Atlantique depuis mi-mai. A commencer par les dernières enquêtes de confiance des directeurs d’achat, qui se sont révélées bien meilleures qu’attendues. Pour redémarrer leur activité, les entreprises doivent réaliser des dépenses fonctionnelles qui devraient engendrer un fort rebond de l’investissement en équipement et logiciels au troisième trimestre. 

La dynamique se révèle également plutôt favorable du côté de la consommation. Les mesures d’aides au revenu pendant le confinement ont en effet amené les taux d’épargne sur des niveaux record: 33% aux Etats-Unis, 30% en France, 22% en Suisse. En puisant à présent dans cette épargne, les ménages provoquent un rebond très marqué des ventes de détail. 

L’emploi a envoyé des signaux positifs
récemment, en particulier aux Etats-Unis.

Parallèlement, l’emploi a envoyé des signaux positifs récemment, en particulier aux Etats-Unis, où près de 7,5 millions d’emplois ont été recréés ces deux derniers mois, notamment grâce à la reprise dans les services et la construction. Les statistiques conjoncturelles dessinent donc bien un scénario en V sur le troisième trimestre.

Vers un scénario en W pour le taux de chômage

Ce scénario en V risque de se transformer en W pour le taux de chômage en fin de cette année ou en début d’année prochaine. Le taux de chômage est traditionnellement un indicateur dit retardé du cycle économique, parce qu’il est affecté par les variations de la population active. Les mesures de sauvegarde de l’emploi mises en œuvre durant le confinement pour limiter les suppressions de postes devraient a priori amplifier ce décalage.

Même si elles sont aidées par l’Etat, les entreprises vont devoir ajuster leur structure de coûts à l’évolution des perspectives de demande. Or, le FMI comme l’OCDE prévoient un déficit durable de la demande, un output gap creusé, et ce au moins jusqu’à 2023. Les plans sociaux devraient donc se multiplier lors des prochains mois, d’autant que certains secteurs, tels que les loisirs, l’hôtellerie, ou les transports, n’ont pas encore pu reprendre une activité normale.

Aucune tension n’a été constatée sur le taux 10 ans américain
lorsque les enquêtes ISM sont repassées au-dessus de 50.
Les taux souverains plongés dans un scénario en L

Des deux côtés de l’Atlantique, les taux souverains ont intégré ce déphasage du taux de chômage par rapport à la reprise conjoncturelle et n’ont pas réagi aux statistiques, qui étaient meilleures qu’attendues, en juin comme en juillet. Ainsi, aucune tension n’a été constatée sur le taux 10 ans américain lorsque les enquêtes ISM sont repassées au-dessus de 50, pulvérisant les attentes. Un scénario en L semble donc s’écrire pour les taux souverains des principaux pays développés. Les investisseurs anticipent que les autorités continueront de privilégier des politiques de relance, avec énormément d’injections de liquidité de la part des banques centrales, tant que les marchés du travail resteront dégradés.

Le marché du crédit anesthésié, mais jusqu’à quand?

Les taux d’intérêt ont à présent des niveaux structurellement faibles, et les banques centrales ont mis en place un panel de mesures permettant aux entreprises de moins souffrir de leurs problèmes de solvabilité et de survivre plus longtemps. Il en résulte un délai de transmission plus important entre tout choc économique et ses conséquences sur le marché du crédit. Pour les investisseurs internationaux, ce retard causé par les injections de liquidité peut se révéler extrêmement périlleux, car il peut conduire à minorer les risques de défaut.

Une récession mondiale d’une ampleur exceptionnelle,
un bouleversement des modes de vie et des ondes de choc déphasées.

Il en résulte un déphasage entre le choc économique causé par la COVID-19 et ses ondes de chocs, notamment sur l’emploi, les taux d’intérêt et la solvabilité des entreprises. En plus de l’ampleur exceptionnelle de la récession qui vient de survenir (croissance mondiale à -4,9% en 2020 selon le FMI), des bouleversements des modes de vie engendrés par les mesures sanitaires, cette situation est de nature à provoquer une perte de repères dans la communauté financière. Dans ce contexte, les investisseurs internationaux se montrent de plus en plus enclins à ce que les Etats apportent un soutien durable, en (re)prenant un rôle de planification.

Dans l’histoire, les périodes plus interventionnistes des Etats ne se sont pas révélées pour autant moins volatiles dans la sphère financière car l’exécution politique s’avère souvent compliquée, voire parfois défaillante. Nous anticipons que la volatilité sera structurellement plus élevée dans le cycle des affaires qui s’amorce, avec un Etat plus présent et de nombreuses dislocations de marché. Analyser ces phénomènes et adapter en conséquence sa stratégie d’investissement devraient se révéler une source importante d’alpha!

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