Comment réparer la marque Amérique

Christopher Smart, Barings

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Un pays si divisé, même en tenant compte d’une élection mouvementée et d’une pandémie, commence à soulever des questions pour les investisseurs.

Alors qu’une campagne présidentielle houleuse trouve de nouveaux moyens d’exposer les dysfonctionnements du débat politique américain (y compris dans les débats eux-mêmes), beaucoup d’investisseurs ne peuvent s’empêcher de se demander comment ce pays peut rester la principale destination pour les investissements directs étrangers, le siège des plus grands marchés de capitaux au monde et l’émetteur de la plus importante monnaie de réserve mondiale. L’incertitude provoquée par le test positif au coronavirus du président Trump devrait se dissiper dans les jours à venir, mais elle n’aide certainement pas en cette période.

Si investir est une question de confiance, que voient ces sources de capital étranger - et qui serait à peine visible au milieu d’une campagne devenue aussi personnelle et qui sème autant la discorde - aux Etats Unis? Certes, il y a des marchés profonds et des institutions solides, mais jusqu’à quel point peut-on faire confiance à un pays qui semble si incertain de sa place dans le monde? Quelle peut être la prévisibilité d’une économie dont les dirigeants n’arrivent pas à s’entendre sur son engagement à promouvoir le commerce mondial?

La division perdurera, quel que soit le vainqueur de l’élection.

Les réponses résident dans une meilleure compréhension de ce qui se trouve derrière tout ce malheur et dans un encadrement du débat de manière à attirer un plus large soutien. Il est facile d’attribuer l’agitation politique récente à la personnalité de l’un ou l’autre des candidats, mais la division perdurera, quel que soit le vainqueur de l’élection. Les réponses convaincantes devraient également avoir une optique plus large. 

Tout d’abord, l’état lamentable dans lequel se trouve la classe moyenne américaine est au cœur de ce qui pousse certains segments du Parti Républicain vers un retranchement nativiste, et de nombreux Démocrates vers une vaste extension du champ de l’intervention gouvernementale. Des sondages réalisés avant même la pandémie, alors que l’économie était encore forte, montraient qu’environ deux tiers des répondants s’attendaient à ce que leurs enfants soient financièrement moins bien lotis qu’eux. Plus troublant encore, alors que les revenus pour les ménages à revenu moyen ont augmenté d’environ 40% entre 1970 et 2000, ils n’ont augmenté que de 10% pour ces vingt dernières années. 

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants américains de part et d’autre du spectre politique ont agi en partant du principe qu’un engagement extensif à l’étranger était crucial à la fois pour la sécurité et la prospérité de leurs citoyens. Suite à l’effondrement de l’Union Soviétique, les avantages amenés par des marchés mondiaux plus libres et ouverts ont sous-tendu des initiatives allant de la sécurisation à l’accès au pétrole du Moyen Orient à l’élargissement d’accords commerciaux avec l’Asie. Mais les bénéfices de ces efforts herculéens n’ont pas été largement partagés. 

De nombreux ménages de la classe moyenne prospèrent
grâce aux nouvelles opportunités dans les services et l’industrie de pointe.

Il est certain que la main d’œuvre industrielle a diminué dans la plupart des économies développées en raison de la concurrence mondiale et de l’amélioration des technologies. Dans le même temps, l’inégalité est tout autant liée à la politique fiscale, à l’investissement dans l’éducation et à la faiblesse des organisations syndicales qu’aux négociations commerciales. Mais l’engagement des Etats-Unis dans les affaires mondiales et leur volonté d’ouvrir les marchés ne sont pas soutenables si un nombre important d’électeurs est convaincu que ces politiques les abandonnent.

«Making US Foreign Policy Work Better for America’s Middle Class» est un nouveau rapport de la Carnegie Endowment for International Peace, qui a parrainé un groupe de travail bipartisan composé d’anciens haut-fonctionnaires gouvernementaux. Sur la base de deux années d’études de cas, d’entretiens et de débats internes, le groupe recommande plusieurs pistes pour rétablir un consensus durable autour de l’engagement américain à l’étranger.

Il suggère surtout de recadrer le débat sur la politique économique américaine, au-delà des accords commerciaux et des emplois industriels qui ont déjà disparu. Alors que des communautés à travers le pays ont perdu face à la concurrence intense de la Chine et d’autres marchés émergents, de nombreux ménages de la classe moyenne prospèrent grâce aux nouvelles opportunités dans les services et l’industrie de pointe. En dépit de ce que peuvent dire les politiciens, les Américains comprennent toujours, dans leur grande majorité, que le commerce soutient la croissance économique.

Reconnaissant que la politique intérieure peut être bien plus importante, le groupe de travail plaide néanmoins en faveur d’une politique étrangère qui se plie en quatre pour garantir un meilleur partage des bénéfices produits par les flux financiers et commerciaux mondiaux. Ceci pourrait inclure une application plus musclée des règles commerciales et une Stratégie Nationale de Compétitivité qui aide les entreprises américaines de toutes tailles à être compétitives à l’étranger.


 

La meilleure partie du projet réside, de loin, dans les études détaillées des cas de l’Ohio, du Colorado et du Nebraska, qui ont fourni de nouvelles perspectives sur ce que les américains hors de la périphérie de Washington pensent du travail de ceux qui s’y trouvent. Ces trois états extrêmement différents, avec des préoccupations économiques également très différentes, étaient pour une fois unis par le sens commun et la décence démontrés chez les personnes interrogées. 
«Je pense que nous devrions faire plus pour prendre position», a déclaré un citoyen du Nebraska à propos des tensions commerciales croissantes avec la Chine. «On ne peut pas se laisser écraser». Un autre était du même avis, mais a également souligné que «nous devrions nous concentrer davantage sur les marchés développés et moins chercher la bagarre avec la Chine».

La voie à suivre ne passe pas par des slogans ou des philosophies généralistes,
mais par des approches rationnelles à des défis économiques urgents.

Tout ceci laisse espérer une nouvelle approche de l’engagement américain dans le monde. Alors qu’une majorité écrasante d’électeurs estime que l’Amérique devrait jouer un rôle majeur ou directeur dans les affaires mondiales, une focalisation étroite sur «l’Amérique d’abord» semble plus une correction de cap que la base viable d’une politique. Pourtant, un simple retour à des approches plus traditionnelles qui élargissent l’accès au marché mondial tout en laissant de nombreuses communautés américaines sans protection face à la dislocation économique ne marchera pas non plus. 

La voie à suivre ne passe pas par des slogans ou des philosophies généralistes, mais par des approches rationnelles à des défis économiques urgents, qui «préservent le dynamisme et les avantages de l’ouverture commerciale» tout en stimulant les investissements qui «renforcent la compétitivité, résilience et croissance économique équitable des Etats Unis». Il s’agit notamment des efforts visant à développer une main d’œuvre plus compétente technologiquement, à renforcer l’infrastructure numérique américaine, à préserver les chaînes d’approvisionnement essentielles, etc.

Ce n’est de loin pas une solution complète au défi présenté, mais ce pourrait être une stratégie qui permet de rallier un consensus plus large autour de la question de l’engagement américain à l’étranger et de dire aux investisseurs étrangers qu’ils n’ont pas fait le mauvais pari.

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