Chine: tuer un poulet pour effrayer les singes

Emmanuel Kragen, Kepler Cheuvreux Solutions

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En réprimant les activités de soutien scolaire, le gouvernement chinois franchit une étape supplémentaire dans sa politique de rectification.

Les autorités chinoises ont décrété le 23 juillet que les entreprises spécialisées dans le soutien scolaire devraient désormais être à but non lucratif et ne pourraient plus ni lever des fonds ni être cotées en bourse. Cette décision n’intervient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein: en mars, le président Xi Jinping avait déjà déclaré que les entreprises du secteur de l’éducation avaient tendance à exploiter l’anxiété des parents, et le secteur avait par ailleurs dû payer des amendes en avril en raison d’un marketing trompeur. Cette décision est néanmoins particulièrement violente et sans commune mesure avec les décisions prises précédemment à l’encontre d’un certain nombre de grandes entreprises technologiques: alors que ces dernières pouvaient être résolues via un ajustement limité des activités ou le paiement d’une amende, les entreprises du secteur de l’éducation sont touchées dans leur cœur de métier. Il existe un risque réel de liquidation, sauf recentrage vers des activités connexes, comme les séminaires d’entreprises ou la formation professionnelle par exemple.

Cette mise au pas du secteur de l’éducation s’inscrit dans le cadre de la politique de rectification mise en place par les autorités chinoises depuis novembre dernier. Cette politique se base sur quatre piliers, à savoir 1/ la stabilité du système financier; 2/ la réglementation antitrust; 3/ la sécurité des données; et 4/ la stabilité sociale. Ce dernier pilier est assez large puisqu’il comprend entre autres le contrôle de l’information sur la population, l’égalité sociale et le bien-être de la population.

Les investisseurs en actions chinoises doivent maintenant intégrer pleinement dans leurs décisions d’investissement le risque d’ingérence et de régulation de l’Etat.

De fait, les entreprises de soutien scolaire alimentent les inégalités sociales – ou du moins elles mettent ces inégalités en évidence: leur coût est exorbitant et elles emploient les meilleurs professeurs, créant un système éducatif à 2 vitesses. En outre, l’objectif du gouvernement est de contrôler les enseignants et le contenu de l’enseignement. Dans ce contexte, les écoles privées ne sont pas souhaitées, sauf à faire entièrement allégeance au parti.

La tactique du gouvernement chinois semble être de «tuer un poulet pour effrayer les singes», autrement dit de faire un exemple en sacrifiant un secteur non systémique afin de rendre les autres plus dociles.

Les investisseurs en actions chinoises doivent maintenant intégrer pleinement dans leurs décisions d’investissement le risque d’ingérence et de régulation de l’Etat. La question principale est de savoir si le gouvernement va continuer à étendre la répression à d’autres secteurs.

Nous notons que le gouvernement est très cohérent dans la mise en œuvre de sa politique. Il avait déjà souligné l’exubérance excessive des marchés actions et immobilier à la fin de l’année dernière. Pour autant, les autorités chinoises ne veulent pas tuer leur secteur technologique. Elles veulent simplement le garder sous contrôle et limiter son pouvoir afin qu’il ne vienne pas défier le gouvernement. Elles veulent une société plus égalitaire, car elles considèrent les inégalités et le mécontentement populaire comme de graves menaces pour la stabilité du régime.

Les effets richesse négatifs et le risque de déstabilisation du système financer liés à la baisse de la valorisation des actions constituent le principal frein à la répression gouvernementale.

Dans leur grande majorité, les classes moyennes chinoises soutiennent de telles mesures de réglementation, même si cela se fait au détriment de leur liberté individuelle. De très nombreux couples font face à un lourd fardeau financier (e.g. logement; éducation; santé; assurances) qui les oblige à épargner beaucoup et les empêche d’avoir plus d’un enfant, et cela alors même que le gouvernement, qui a mis fin à sa politique de l’enfant unique il y a quelques années, commence sérieusement à s’inquiéter du vieillissement démographique. Toute décision politique visant à réduire ce fardeau est bienvenue.

A court terme, les effets richesse négatifs et le risque de déstabilisation du système financer liés à la baisse de la valorisation des actions constituent le principal frein à la répression gouvernementale. Les autorités ne peuvent pas se permettre une baisse trop marquée de la Bourse. Un rebond tactique est probable à court terme car les actions chinoises ont été survendues, mais le risque règlementaire va laisser des traces dans la psyché des investisseurs, ce qui pourrait limiter le potentiel de redressement. A tout le moins, il faut discriminer et éviter les secteurs sur lesquels pèse un risque réglementaire.

Faut-il craindre des effets de bord négatifs sur d’autres marchés? Bien que la baisse des actions chinoises puisse peser sur le sentiment des investisseurs mondiaux et conduire à des ventes forcées dans d’autres segments (par exemple pour limiter les pertes et/ou répondre à d’éventuels appels de marge), nous ne nous attendons pas à ce stade à un impact négatif durable et significatif sur les principaux marchés boursiers développés. En effet, nous estimons que les mesures de rectification n’auront à court terme qu’un impact modéré sur la croissance économique chinoise. La situation actuelle est différente de celle que nous avons connue en 2015: à l’époque, l’économie chinoise était en quasi-récession. A plus long terme en revanche, il faudra faire attention aux conséquences en termes de productivité et d’innovation.

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