BNS – La stabilité des prix dans l’intérêt général

Communiqué, Banque nationale suisse

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Exposé du président de la direction générale Martin Schlegel lors de la 117e Assemblée générale ordinaire des actionnaires de la Banque nationale suisse.

Madame la présidente du Conseil de banque, 
Mesdames et Messieurs les actionnaires, 
Chères invitées et chers invités,

Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée générale des actionnaires de la Banque nationale suisse. Je suis particulièrement heureux de m’adresser à vous aujourd’hui. La période que nous connaissons actuellement n’est pas sans difficulté. Vous retrouver ici à Berne constitue un moment d’autant plus précieux.

J’ai ici une pièce de 20 centimes, que l’on m’a donnée il y a peu en me rendant la monnaie. Cette pièce a été frappée en 1881, ce qui veut dire qu’elle passe de main en main depuis maintenant plus de 140 ans. Elle a donc été témoin de beaucoup d’événements, et elle a vu bien des porte-monnaie à travers la Suisse, et même peut-être de par le monde. Abstraction faite des traces d’usure qu’elle présente, cette pièce est en tout point semblable à celles qui sortent aujourd’hui de l’atelier.

Certains d’entre vous penseront sans doute que cette pièce n’a plus le même pouvoir d’achat qu’en 1881. Ils auront raison, bien sûr. Mais je trouve extraordinaire que cette pièce soit encore en circulation. Songez aux décennies qui se sont écoulées entre le moment où elle a été frappée et aujourd’hui. Songez aux bouleversements politiques et historiques qui se sont produits depuis, que ce soient les deux guerres mondiales ou la chute du mur de Berlin.  

Cette pièce de monnaie illustre parfaitement la stabilité sur le long terme de la Suisse en matière de politique, d’institutions et de prix. Or la stabilité des prix est justement la contribution déterminante que la Banque nationale apporte à notre pays. Cela vaut également dans le contexte actuel.  

La situation présente dans le domaine de la politique commerciale est source de grande incertitude pour tous les pays concernés, y compris la Suisse. Cette incertitude porte aussi bien sur les perspectives conjoncturelles que sur les répercussions à plus long terme, telles qu’une possible fragmentation de l’économie mondiale. En tant que petite économie ouverte, la Suisse est très sensible aux mesures protectionnistes.  

L’environnement actuel constitue un défi pour la Banque nationale également. Cependant, celle-ci doit continuer de remplir son mandat, c’est-à-dire assurer la stabilité des prix en tenant compte de l’évolution de la conjoncture, dans des périodes marquées par l’incertitude et les changements. De fait, la stabilité des prix constitue une condition essentielle à la prospérité de notre pays. A l’heure actuelle, disposer de conditions stables et favorables est plus important que jamais. C’est aussi le sujet de mon exposé. Aujourd’hui, je vais aborder des questions fondamentales. Pourquoi la stabilité des prix est-elle si importante? Comment la Banque nationale parvient-elle à la maintenir? Et quelle politique monétaire la BNS a-t-elle menée pour assurer la stabilité des prix au cours des dernières années?

L’intérêt général avant tout

Mesdames et Messieurs, je commencerai par évoquer l’objectif de la politique monétaire de la Banque nationale. L’article 99 de la Constitution fédérale dispose que la Banque nationale doit mener une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays, c’est-à-dire les intérêts de la Suisse dans son ensemble. Dans sa politique monétaire, la BNS doit ainsi tenir compte non pas de telle branche d’activité ou de telle tranche de la population, mais de l’ensemble de l’économie et de la collectivité.  

Comment la BNS peut-elle agir dans l’intérêt général du pays? La réponse à cette question se trouve à l’article 5 de la loi sur la Banque nationale: «La BNS assure la stabilité des prix. Ce faisant, elle tient compte de l’évolution de la conjoncture.» En remplissant son mandat, la BNS sert au mieux les intérêts généraux et, partant, l’intérêt de chacune et chacun d’entre nous. Les raisons en sont faciles à comprendre.

En premier lieu, la stabilité des prix facilite la prise de décisions financières. C’est vrai pour les ménages qui souhaitent acquérir un logement, mais aussi pour les entreprises qui veulent investir dans de nouvelles machines. C’est également vrai pour les pouvoirs publics, qui doivent établir un budget. Des prix stables apportent la sécurité nécessaire à la planification. Cette sécurité favorise l’épargne et l’investissement, qui forment à leur tour le socle de la croissance et du progrès, et rendent possible la création d’emplois et l’innovation. A l’inverse, une inflation trop élevée ou trop faible est source d’incertitude et entrave l’activité économique. Bien entendu, la stabilité des prix n’entraîne pas automatiquement une propension aux dépenses. Ainsi, l’incertitude que nous connaissons actuellement en matière de politique commerciale peut susciter une certaine retenue en termes d’achats et d’investissements, même si la stabilité des prix est assurée. L’incertitude est un poison pour l’activité économique. Si la stabilité des prix ne peut pas faire obstacle à l’incertitude relative à la politique commerciale, elle n’en constitue pas moins une base nécessaire au bon fonctionnement de l’économie.

Par ailleurs, la stabilité des prix est indispensable à l’efficacité de l’action politique. De fait, une hausse des prix devient vite le principal motif d’inquiétude de la population. Nous l’avons vu lors de la dernière vague d’inflation, qui a fait sensiblement baisser le pouvoir d’achat des ménages dans de nombreux pays.

Ce constat m’amène à mon deuxième point. La stabilité des prix est également primordiale pour la cohésion sociale de notre pays. Grâce à elle, le pouvoir d’achat des salaires, des rentes et de l’épargne reste le même, ce qui est essentiel notamment pour les ménages à faibles revenus. À l’inverse, une forte inflation mine le pouvoir d’achat et affecte avant tout les plus fragiles sur le plan financier.

Mesdames et Messieurs, comme vous le voyez, la stabilité des prix est la plus grande contribution que la Banque nationale puisse apporter à la croissance et à la prospérité de la Suisse. Elle n’est toutefois qu’une condition nécessaire, et en aucun cas suffisante, de la croissance et de la prospérité.  

Comment gardons-nous le cap?  

Mais comment assurons-nous la stabilité des prix? Notre stratégie de politique monétaire guide nos décisions en fixant le cadre dans lequel nous accomplissons notre mandat légal. Elle définit ce que nous entendons par stabilité des prix, à savoir une inflation de moins de 2%. Cela signifie que tous les taux d’inflation compris entre 0% et 2% sont compatibles avec notre objectif. Le fait de viser une plage de valeurs et non un chiffre précis nous donne une certaine souplesse. Cette flexibilité est essentielle dans une petite économie ouverte comme la Suisse, qui se trouve particulièrement exposée aux aléas de l’évolution économique mondiale. En matière de stabilité des prix, nous raisonnons d’ailleurs toujours à moyen terme. Cela nous permet de tolérer un taux d’inflation évoluant passagèrement hors de notre marge de fluctuation, c’est-à-dire au-dessous de 0% ou au-dessus de 2%.  

Pour vous expliquer la façon dont nous prenons nos décisions de politique monétaire, permettez-moi de recourir à une métaphore. Imaginez que la Banque nationale est un navire de fort tonnage, qui a mis le cap sur la stabilité des prix. En haute mer, ce navire est secoué par des courants, des tempêtes et de fortes vagues qui menacent de le faire dévier de sa trajectoire. Et les intempéries n’ont pas manqué ces dernières années: crise financière, crise de la dette dans la zone euro, Brexit, pandémie de Covid, attaque russe contre l’Ukraine et aujourd’hui, incertitude concernant la politique commerciale.  

La BNS doit maintenir son cap en dépit de ces eaux houleuses. Pour cela, nous procédons régulièrement à un réexamen approfondi de la situation monétaire. Nous vérifions ainsi que le réglage du gouvernail maintient le navire dans la bonne direction. Concrètement, nous analysons les conditions caractérisant la situation monétaire pour savoir si elles permettent toujours d’assurer la stabilité des prix. J’entends par là le niveau des taux d’intérêt et le cours du franc. Si ces conditions ne sont pas compatibles avec la stabilité des prix à moyen terme, il nous faut les modifier. Ou, pour revenir à notre métaphore nautique, redresser la barre.

Le taux directeur de la BNS est notre principal instrument. En le modifiant, nous influons sur le niveau des taux d’intérêt et sur le cours de change, et donc sur les conditions monétaires qui sont cruciales pour notre appréciation. Au besoin, nous pouvons aussi recourir à d’autres mesures, telles que des interventions sur le marché des changes, pour assurer la stabilité des prix. Ces dernières servent toujours à adapter les conditions monétaires. Il ne s’agit donc pas de viser un cours du franc précis, la Suisse ayant un système de changes flottants. En revanche, lorsque l’évolution du cours de change influe sur les conditions monétaires au point de menacer la stabilité des prix, nous réagissons. Pour résumer, deux instruments nous permettent d’adapter les conditions monétaires de la Suisse: le taux directeur de la BNS et, au besoin, les interventions sur le marché des changes. Grâce à eux, nous sommes en mesure d’assurer la stabilité des prix à moyen terme.

J’aimerais maintenant évoquer un élément important, qui accompagne notre réflexion en permanence, même s’il est rarement aussi saillant que ces dernières semaines. Cet élément, c’est l’incertitude. Pour rester dans les métaphores nautiques, je dirais qu’il peut être difficile de prédire le temps qu’il va faire en haute mer.  

Comment la BNS gère-t-elle l’incertitude? Nous en tenons compte par notre approche de gestion des risques. Cela signifie que nous cherchons à prévoir l’évolution de l’inflation et de la conjoncture sur la base de différents scénarios. Nous comparons alors les options qui s’offrent à nous, et nous choisissions celle qui donne de bons résultats dans différents scénarios.  

Le moment de l’intervention joue lui aussi un rôle dans la politique monétaire. C’est un facteur important, car nos décisions ne déploient pleinement leurs effets qu’après un certain temps. La politique monétaire est affaire d’anticipation. Un navire aussi a besoin de temps pour virer de bord. Lorsqu’il nous apparaît nécessaire de réorienter notre politique monétaire, nous devons donc intervenir avec détermination. Repousser une décision de politique monétaire qui est nécessaire n’élargit pas la marge de manœuvre. Au contraire, c’est prendre le risque de voir émerger des effets de second tour, c’est-à-dire de voir des prix augmenter (ou diminuer) en réaction à l’évolution d’autres prix. Il devient alors plus difficile de maîtriser l’inflation.

Notre cap monétaire au cours des dernières années

J’aimerais à présent évoquer avec vous la politique monétaire menée par la BNS ces dernières années. À l’issue de la pandémie, lorsque l’inflation a augmenté, nous avons relevé sans attendre notre taux directeur et vendu des devises. Cela nous a permis de contrer rapidement l’inflation. A partir de l’été 2023, nous avons mis fin au resserrement de notre politique monétaire, car la pression inflationniste s’était atténuée. L’an dernier, lorsque l’inflation a reculé et que la prévision d’inflation conditionnelle indiquait une nette diminution de la pression inflationniste à moyen terme, nous avons réagi avec détermination en abaissant à plusieurs reprises notre taux directeur. Cet assouplissement a contribué à éviter un affaiblissement trop prononcé de l’inflation à moyen terme.

Nous avons encore assoupli notre politique monétaire lors de notre examen de la situation économique et monétaire de mars en abaissant notre taux directeur de 25 points de base pour le faire passer à 0,25%. De plus, nous avons réaffirmé que la BNS était disposée à intervenir au besoin sur le marché des changes. Nous avons ainsi tenu compte de la faiblesse persistante de la pression inflationniste et des risques accrus de révision à la baisse de l’inflation. Dans le même temps, nous avons ainsi soutenu l’évolution de l’économie en Suisse.  

La situation en matière de politique commerciale est très incertaine. L’évaluation des répercussions sur l’économie et l’inflation en Suisse ne peut être qu’approximative. Il est très difficile de prévoir comment l’inflation et la conjoncture vont évoluer en Suisse, mais un ralentissement conjoncturel ne peut pas être exclu. La croissance devrait être inférieure à ce qui était attendu il y a encore quelques semaines. La BNS observe de près la situation et son évolution, et en tiendra compte dans ses analyses et ses prévisions. Nous adapterons si nécessaire notre politique monétaire afin d’assurer la stabilité des prix à l’avenir également.  

Au-delà des répercussions à court terme sur l’économie nationale, des incertitudes existent également en ce qui concerne les conséquences à long terme à plus grande échelle, telles qu’un recul de l’intégration de l’économie mondiale. Ces dernières années, différents événements ont déjà mis en lumière la possibilité d’une fragmentation croissante de l’économie mondiale: songez par exemple à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ou à la pandémie de Covid-19, qui ont affecté les chaînes d’approvisionnement à travers le monde.

Les banques centrales ne participent pas à la conception du système commercial international. Elles ne peuvent pas empêcher les droits de douane ni, plus généralement, le protectionnisme. Cependant, la BNS doit toujours s’adapter aux nouvelles situations et se soucier de leurs répercussions. C’est seulement ainsi qu’elle peut remplir son mandat, y compris dans des circonstances difficiles.  

Mesdames et Messieurs, ces considérations me ramènent à la pièce de 20 centimes dont je vous parlais au début de mon exposé. Il est important que cette pièce continue de conserver sa valeur. Non pas pour l’objet qu’elle est, mais parce que la stabilité des prix est dans l’intérêt général du pays, et donc de toutes et tous.  

 

 

L’intervenant remercie Christoph Hirter et Tanja Zehnder pour leur précieuse contribution à l’élaboration de ce texte. Il adresse également ses remerciements à Claudia Aebersold, Alain Gabler, Carlos Lenz et Raphael Reinke, ainsi qu’aux services linguistiques de la BNS.  

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