BNS – Priorité des fonds propres sur les distributions, et la fausse bonne idée d’un fonds souverain

Communiqué, Banque nationale suisse

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Allocution de la présidente du Conseil de banque Barbara Janom Steiner lors la 117e Assemblée générale ordinaire des actionnaires de la Banque nationale suisse.

Mesdames et Messieurs les actionnaires, 
Mesdames et Messieurs, 
Chères invitées et chers invités,

Sidérés devant cette phase nouvelle d’incertitude et de confusion, devant cette guerre commerciale planétaire qui a plongé dans le rouge les Bourses mondiales, il nous sera plus facile de commencer par la rétrospective d’une année positive. La Banque nationale peut à nouveau verser un dividende, ce dont je me réjouis. Elle n’avait pas été en mesure de le faire les deux années précédentes en raison des pertes portées au bilan. Je tiens d’autant plus à remercier les actionnaires qui sont malgré tout restés fidèles à notre institution. La Confédération et les cantons reçoivent eux aussi leur part de bénéfice cette année. Ayant moi-même été directrice des finances du canton des Grisons, je sais combien un versement de la Banque nationale en faveur des collectivités publiques est bienvenu.  

Permettez-moi de vous présenter d’abord les éléments qui ont conduit au bénéfice enregistré au bilan de la Banque nationale, puis de vous montrer les modalités de la distribution. Je formulerai ensuite quelques projections très prudentes quant aux distributions à venir. Enfin j’aborderai le sujet de la création d’un fonds souverain, une idée qui resurgit régulièrement et à laquelle la Banque nationale s’oppose pour les raisons que je vous exposerai.

Résultat de l’exercice

Mesdames et Messieurs, la Banque nationale a enregistré un bénéfice d’environ 81 milliards de francs au titre de l’exercice 2024. Ce bénéfice résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, l’or, les actions et les obligations ont enregistré des gains de cours. Ensuite, le franc s’est déprécié, entraînant des gains de change sur les réserves de devises. Enfin, le produit des intérêts et des dividendes a également contribué au bénéfice. Après déduction des charges d’intérêts découlant de la mise en œuvre de la politique monétaire, le résultat de l’exercice a été dans l’ensemble nettement positif.  

Sur ce résultat, la BNS a, dans un premier temps, attribué à la provision pour réserves monétaires le montant minimal prévu. La capacité de la Banque nationale à verser un dividende et à effectuer une distribution dépend du bénéfice porté au bilan. Celui-ci est égal à la somme du résultat annuel distribuable et de la réserve pour distributions futures, laquelle correspond au bénéfice ou à la perte reportés. Lorsqu’un bénéfice est porté au bilan, la BNS verse un dividende. La part restante du bénéfice est quant à elle disponible pour une distribution à la Confédération et aux cantons.  

Malgré le montant élevé de la perte reportée de l’exercice précédent, le bénéfice porté au bilan pour l’exercice 2024 s’établit à environ 16 milliards de francs. Cela permet à la BNS à la fois de verser un dividende et de procéder à une distribution à la Confédération et aux cantons.

Situation financière de la BNS  

Si la Banque nationale n’a rien pu verser les années précédentes, ce n’est pas par manque de bonne volonté, mais en raison de sa situation financière. Les pertes de 2022 et 2023 avaient nettement réduit ses fonds propres. Le bénéfice élevé enregistré au titre de 2024 a toutefois permis d’accroître les fonds propres et de les porter à quelque 140 milliards de francs, ce qui est un montant substantiel. Mais des fonds propres de 140 milliards de francs pour un bilan de 850 milliards, est-ce que c’est assez?

Comme vous le savez, les fonds propres d’une entreprise doivent refléter les risques figurant à son bilan. Ce principe s’applique aussi à la Banque nationale. Les fonds propres de l’institution doivent impérativement être proportionnés aux risques figurant à son bilan. Or il faut tenir compte du fait que ces risques peuvent évoluer au fil du temps. Par conséquent, la prudence est de mise lorsque des experts externes se prononcent sur le volume de fonds propres que la BNS devrait détenir, en particulier lorsqu’ils avancent qu’il faudrait distribuer davantage et constituer moins de fonds propres. Car pour déterminer ce volume, les avis ne suffisent pas, il faut procéder à des analyses approfondies. Les risques au bilan de la BNS sont élevés. Ils le sont probablement encore bien plus depuis le début de cette année.  

Ces risques découlent des fluctuations sur les marchés des changes, des capitaux et de l’or. Avec ses 850 milliards de francs, le bilan reste élevé. Plus le bilan et la part des monnaies étrangères qu’il comporte sont importants, plus grandes sont les fluctuations et donc plus fort est le potentiel de pertes.  

Le résultat de l’exercice 2022 que je viens de mentionner en est un exemple: La perte sur les réserves monétaires représentait alors 13% environ de ces dernières, soit 131 milliards de francs. Il s’agissait là d’une perte substantielle, mais nous savons que de tels résultats ne sont pas exclus. L’évolution des cours des actions et des taux d’intérêt avaient été les principaux facteurs. Compte tenu justement de la situation géopolitique, de telles pertes pourraient se reproduire dans les prochaines années, peut-être même à plusieurs reprises. Le cas échéant, les fonds propres s’éroderaient rapidement et pourraient aussi devenir négatifs. Une telle éventualité doit être évitée à tout prix, notamment parce que la reconstitution des fonds propres peut nécessiter quelques années.  

Potentiel de distribution limité

Mesdames et Messieurs, vous vous demanderez certainement si des distributions auront encore lieu ces prochaines années. A ce sujet, il faut garder à l’esprit que le potentiel de bénéfices de la Banque nationale est limité à long terme. Les bénéfices futurs dépendent surtout des cours des actions, du prix de l’or et des taux d’intérêt, dont l’évolution s’avère difficile à prévoir. Et l’imprévisibilité s’est encore fortement accrue depuis que les Etats-Unis ont annoncé des droits de douane. En outre, la BNS ne peut pas couvrir ses propres risques de change, car cela irait à l’encontre de la politique monétaire. Ces dernières années, le franc s’est le plus souvent apprécié, entraînant des pertes de change. Par contre, nos réserves de devises génèrent un rendement. Elles sont toutefois, constituées à 75% d’obligations, principalement des obligations d’État, dont la Banque nationale ne peut attendre que des rendements faibles. Enfin, la BNS supporte les charges d’intérêts qui découlent de la mise en œuvre de la politique monétaire.  

On peut néanmoins se réjouir de voir que la réserve pour distributions futures a pu être reconstituée grâce au bénéfice élevé enregistré au titre de l’exercice 2024. Elle se monte actuellement à quelque 13 milliards de francs. Il a ainsi été possible de combler la lacune laissée par les deux années précédentes et de poser pour l’avenir des bases un peu meilleures.

L’année 2022 nous a néanmoins enseigné que de très grosses pertes peuvent survenir rapidement. Dans un tel cas, la réserve pour distributions futures pourrait redevenir négative. Rien ne garantit donc qu’une distribution pourra avoir lieu chaque année.  

La Banque nationale a toutefois réussi la plupart du temps à effectuer des versements à la Confédération et aux cantons. La convention actuelle conclue avec le Département fédéral des finances prévoit une distribution pouvant atteindre un montant maximal de 6 milliards de francs. Depuis 2020, c’est-à-dire au cours des cinq dernières années, la Confédération et les cantons ont reçu 15 milliards de francs au total, soit plus que les six années précédentes. Ils ont été par conséquent agréablement surpris par ces montants importants. Au vu des risques au bilan et du potentiel de rendement limité, la distribution d’un bénéfice ne va pas de soi. Il appartient à la Confédération et aux cantons d’en tenir compte lors de l’établissement de leur budget et de lisser sur le temps les montants élevés qui sont distribués certaines années.

J’aimerais rappeler encore une fois que le mandat légal de la Banque nationale consiste à assurer la stabilité des prix en Suisse tout en tenant compte de l’évolution de la conjoncture. Générer un bénéfice ne fait pas partie des tâches légales de la BNS. Garantir la stabilité des prix est la contribution la plus importante que notre institution peut apporter à la société et à l’économie. Par sa politique monétaire, la BNS crée des conditions favorables non seulement pour la population et les entreprises, mais aussi pour la Confédération et les cantons. Qu’elle ait été en mesure d’assurer la stabilité des prix en Suisse depuis de nombreuses années et aussi dans des périodes très difficiles force le respect.

Un fonds souverain, une fausse bonne idée

Au fil du temps, les réserves de devises de la Banque nationale ont régulièrement fait naître l’idée de créer un fonds souverain qui serait chargé de les gérer. Les fonds souverains d’autres pays servent souvent de référence. Or ils ne sauraient être pris comme modèles pour la Suisse, car ils sont financés presque exclusivement par des revenus tirés de matières premières ou issus d’excédents budgétaires. Les réserves de devises ne représentent quant à elles pas réellement de l’épargne, mais découlent de la politique monétaire.

Et si la politique monétaire l’exige, il doit aussi être possible de les réduire. Aussi la Banque nationale a-t-elle besoin d’y avoir un accès sans restriction. C’est seulement ainsi qu’elle peut mettre en œuvre sa politique monétaire et assurer la stabilité des prix selon son mandat. Conformément à la Constitution, la Banque nationale mène une politique monétaire indépendante. Cela implique qu’elle décide librement du montant et de l’affectation des réserves de devises. La priver de l’accès aux réserves de devises serait en soi déjà une atteinte à son indépendance.

Dans le bilan de la Banque nationale, les réserves de devises ont pour contrepartie les engagements correspondants. Ainsi, leur transfert à un fonds souverain ne serait possible que s’il était entièrement financé. En d’autres termes, le fonds souverain, ou la Confédération si celle-ci le détenait, devrait racheter les devises à la Banque nationale. Pour financer ce transfert, la Confédération devrait s’endetter fortement. Elle devrait dans le même temps être disposée à assumer des risques financiers élevés, comme la BNS le fait aujourd’hui. Elle ne pourrait pas non plus couvrir les risques de change sans incidence sur la politique monétaire. En outre, le risque de politisation d’un fonds souverain serait considérable, ce qui n’est pas de bon augure.  

Les partisans d’un fonds souverain espèrent obtenir des rendements plus élevés du fait du transfert des réserves de devises. Mais la Banque nationale gère d’ores et déjà ses devises de manière très professionnelle, et elle compte parmi les banques centrales les plus avancées dans la gestion des actifs. Elle diversifie son portefeuille entre différentes monnaies et catégories de placements, investit largement dans des actions et obligations d’entreprises étrangères, et la part d’actions de 25% est plus élevée que chez de nombreuses autres banques centrales.

Les placements d’un fonds souverain devraient être similaires à ceux de la Banque nationale. Ils ne pourraient générer de rendements plus élevés qu’au prix de risques plus importants. Un accroissement des risques entraînerait toutefois des fluctuations encore plus marquées des bénéfices que ce n’est le cas actuellement pour la Banque nationale. Le risque de change constitue de loin le principal risque dans les placements de devises. Un fonds souverain ne pourrait pas plus que la Banque nationale couvrir ce risque sans incidence sur la politique monétaire.

En résumé, force est de constater qu’un fonds souverain rendrait la conduite de la politique monétaire plus difficile, sans pour autant présenter d’avantages. Aussi est-ce à juste titre que la Banque nationale rejette l’idée de créer un fonds souverain alimenté par ses réserves de devises.

Pour conclure...

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de résumer les messages clés de mon allocution. La distribution du bénéfice de cette année est une excellente nouvelle. Toutefois, une distribution annuelle ne va pas de soi au vu des risques figurant au bilan. La marge de manœuvre pour les distributions est limitée par le potentiel bénéficiaire restreint de la BNS. De plus, une chose est claire: les fonds propres ont la priorité sur les distributions. La BNS doit continuer à renforcer ses fonds propres afin d’atténuer les risques considérables qui pèsent sur son bilan. Étant donné le potentiel de distribution limité, la Confédération et les cantons doivent faire preuve de prudence dans la planification de leur budget. Mais en visant la stabilité des prix, la Banque nationale continuera à créer des conditions favorables pour la population, y compris pour la Confédération et pour les cantons.  

Il est par ailleurs clair qu’un fonds souverain pour les réserves de devises n’est pas une bonne idée. Cela compliquerait la conduite de la politique monétaire, et l’augmentation escomptée du rendement s’accompagnerait de risques accrus pour l’État, et donc aussi pour nous, les contribuables.  

Je ne saurais terminer mon allocution sans adresser mes remerciements à mes collègues du Conseil de banque pour leur grand engagement et leur collégialité. Je tiens aussi à dire toute ma gratitude à la Direction générale et à son président, Martin Schlegel, pour notre collaboration fructueuse et agréable.  

J’aimerais également exprimer ma reconnaissance aux collaboratrices et collaborateurs de la Banque nationale pour leur forte implication quotidienne en faveur de notre institution. Enfin, je tiens à vous remercier, chères et chers actionnaires, de votre confiance et de votre fidélité.

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