Bitcoin: ça s’en va et ça revient

Michaël Malquarti, Quaero Capital

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L’excitation futile suscitée par le bitcoin nous distrait des vrais enjeux monétaires.

C’est reparti: deux ans après sa dernière flambée, le bitcoin refait parler de lui. Voilà donc qu’on réentend les arguments fallacieux pour tenter de justifier son soi-disant statut de monnaie, ainsi que pour prophétiser son avènement prochain comme substitut global aux dollar, euro et autres yens, dont l’effondrement serait inéluctable. Pourtant, il faut bien l’admettre, aussi bien les observations que la théorie ne permettent pas de cultiver cet «espoir». Le bitcoin n’a rien et n’aura jamais rien d’une monnaie.

De fait, des trois fonctions traditionnellement associées à une monnaie – moyen de paiement, réserve de valeur, unité de compte – le bitcoin n’en remplit qu’une seule, la première, et encore, pas vraiment. Certes, il existe des transactions, essentiellement de nature spéculative, réglées en bitcoin, mais il est dorénavant clair qu’il ne sera jamais utilisé pour les transactions courantes; la scandaleuse quantité d’énergie requise à la validation et à l’enregistrement crypté des transactions ne le permet pas.

Les fluctuations violentes du prix du bitcoin excluent son utilisation
aussi bien comme réserve de valeur que comme unité de compte.

Par ailleurs, et plus problématique, les fluctuations violentes du prix du bitcoin – intimement liées à son modèle conceptuel – excluent son utilisation aussi bien comme réserve de valeur, ne serait-ce que pour gérer ses dépenses entre deux salaires, que comme unité de compte. En effet, et c’est un point qui semble échapper aux crypto-prophètes, le pouvoir d’achat d’une monnaie doit être stable aussi bien pour ses détenteurs que pour les éventuels débiteurs qui ont contracté une dette libellée en celle-ci – imaginez la situation dans laquelle vous vous trouveriez si en quelques mois la valeur réelle de votre dette devait décupler.

Ainsi, la hausse massive de prix du bitcoin, perçue comme la preuve de sa réussite par ses partisans, révèle en fait un énorme défaut. Un défaut implicitement désiré par ceux-ci, car découlant justement du fait que sa quantité en circulation ne peut être contrôlée pour en stabiliser le cours. Les plus lucides d’entre eux ne s’y trompent d’ailleurs pas et préfèrent dorénavant parler de jeton numérique, plutôt que de monnaie. Quoi qu’il en soit tous continuent à prédire la poursuite de la hausse de son cours. On y est enfin: le véritable intérêt de ce «coin» mal pensé, n’est pas de révolutionner la monnaie, mais avant tout d’enrichir ses détenteurs, au détriment de l’environnement et, s’il le faut, de «plus grands fous» qui y perdront leurs économies.

Il faut toutefois reconnaitre l’attrait qu’a pu légitimement susciter cet instrument, qui à ses débuts pouvait apparaitre comme émancipateur. Après 2008, dans un monde en crise économique et idéologique, qui regardait, stupéfait, les banques centrales se lancer dans une fuite en avant dont on ne voit pas encore la fin et qui profite avant tout au secteur financier, l’idée d’un système monétaire décentralisé et affranchi des pouvoirs politico-économiques ne pouvait que susciter de l’intérêt. Ce d’autant plus qu’il reposait sur une technologie nouvelle et théoriquement intéressante. Malheureusement, la conception du bitcoin et de ses pairs résulte d’une mécompréhension, largement répandue, y compris chez les économistes, des fondements de la monnaie, qu’on pense uniquement basée sur la confiance, et sur le mythe d’une économie de marché perdue, pure et originelle, qui aurait été pervertie par les Etats et leurs «monnaies de singe».

Que des institutions publiques ou financières se soient converties au bitcoin
ne dit rien sur la valeur de ce jeton, mais dit tout sur la «folie des foules».

Les Etats existent. Ils émettent de la monnaie, l’utilisent pour leurs dépenses, puis l’exigent en paiement d’impôts et la dépense à nouveau, créant ainsi un cycle de la monnaie. Grâce à cela, ils peuvent s’affranchir des contraintes opérationnelles liées aux paiements en nature et, accessoirement, permettent l’émergence de marchés. Belle invention qui n’a rien de diabolique. Comme l’impôt est obligatoire on comprend bien que la valeur des monnaies officielles découle in fine du pouvoir libératoire qu’elles confèrent, relatif à nos obligations fiscales, et subsidiairement, grâce au cours légal, à nos obligations privées. Cela peut paraître peu, mais c’est toute la différence entre une véritable monnaie et un simple jeton, qu’il soit enregistré dans une blockchain ou pas.

Aux autorités monétaires ensuite de gérer, directement et indirectement, la quantité de monnaie en circulation – dont une grande partie est aujourd’hui émise par les banques sous forme de dépôts – afin de garantir sa stabilité. De manière générale, force est de constater qu’elles y sont très bien parvenues. Les exceptions souvent citées, République de Weimar ou Zimbabwe, ne montrent qu’une chose: qu’un Etat moribond, après avoir perdu une guerre ou été dirigé par un dictateur mégalomane, voit ses institutions s’effondrer. Rien de bien nouveau sous le soleil et pas de quoi délégitimer de manière générique toute réalisation étatique.

Ainsi, que des institutions publiques ou financières se soient converties au bitcoin, par technophilie naïve ou par appât du gain, ignorant au passage les principes ESG dont elles se réclament, ne dit rien sur la valeur de ce jeton, mais dit tout sur la «folie des foules» que déplorait déjà Newton.

Alors, oui, nos systèmes monétaires sont hautement imparfaits. Oui, nos banquiers centraux ne sont pas à la hauteur des enjeux et sèment potentiellement les graines d’instabilités futures. Oui, une réforme monétaire est nécessaire pour espérer voir émerger une économie plus juste, plus libre, plus stable et plus durable. Ce n’est toutefois pas en nous excitant périodiquement sur la dernière bulle techno-financière que nous la réaliserons.

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