Au Palais de Dame Tartine

Nicolette de Joncaire

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«Alors que certains paient des fortunes pour Tesla ou Apple, le marché fourmille de perles ignorées» explique Jean Keller de Quaero Capital.

Choc exogène, terrible destruction forcée de la demande… et pourtant, l’ensemble – sauf quelques secteurs spécifiques – se reprend. Il est vrai que les gouvernements ont enfin compris qu’il fallait que la demande publique compense les faiblesses de la demande privée quand nécessaire et que le glas des politiques d’austérité a enfin sonné. Les moyens existent donc de soutenir les secteurs paralysés par la crise et, pour 2021, Jean Keller, CEO de Quaero Capital, augure une reprise et une croissance des bénéfices des entreprises.

Malgré la sévérité du choc, vous semblez relativement optimiste. Pourquoi?

Je ne suis pas seul à l’être. Les perspectives de l’OCDE laissent espérer un fort rebondissement en 2021, après la récession historique de cette année. L’institut a toutefois déclaré que l'économie mondiale ne retrouverait pas complètement la production perdue avant la fin de l'année prochaine. Et que cette reprise serait conditionnée par la mise en place de systèmes de vaccination, de test, de traçage et d'isolement efficaces. Il semblerait cependant que nous ayons tous été trop pessimistes au printemps dernier et que l’environnement économique se montre plus résilient qu’anticipé.

C’est en période de crise que les phénomènes
de mode sont plus forts.
Les indices boursiers semblent avoir bien résisté au marasme.

C’est exact mais au prix d’une concentration excessive sur quelques titres, de multinationales de la tech en particulier. Sur un univers de l’ordre de 50'000 titres au niveau mondial, une centaine ont polarisé toute l’attention au préjudice des autres.  La réalité devrait être bien différente: il existe une énorme quantité de sociétés aux bilans sains qui se traitent à des multiples ridiculement faibles. C’est notamment vrai des petites valeurs européennes qui ont été délaissées. Alors que certains payaient des fortunes pour Tesla ou Apple, le marché fourmille de perles ignorées. Nous sommes au Palais de Dame Tartine où les murs sont de praline et les poches débordent de bonbons

Comment se fait-il?

C’est en période de crise que les phénomènes de mode sont plus forts. Les investisseurs préfèrent se tromper «en troupeau» que de «voir juste» en isolation. D’autant que le discernement, quand il est exercé à contre-courant, ne paie pas toujours, notamment à court terme et aux yeux des clients. Ceci étant dit, notre travail de gestionnaire d’actifs est de faire participer nos clients à la croissance de l’économie. C’est donc à présent le moment de se positionner. La performance est certes une maitresse volage mais une combinaison de reprise forte, de croissance des bénéfices et de circonspection devrait donner des résultats. Comme le rappelle l’adage, «il faut acheter au son des canons et vendre au son des clairons». Acheter Tesla aujourd’hui alors qu’on peut acquérir en Europe des petites valeurs à multiples faibles et à potentiel exceptionnel me parait tout à fait déraisonnable.

Le style «value» n’a pourtant pas la faveur par les temps qui courent.

C’est certes un style de gestion en défaveur ; une situation absurde si l’on sait que nombre de petites sociétés délaissées sont en croissance, sur la base d’un bilan solide. Certaines se traitent même à la valeur comptable alors que beaucoup opèrent dans des conditions très favorables! Ecoutez ce qu’en disent les spécialistes du private equity dont le point de vue est privilégié! Le débat value/growth n’a que peu de sens. Ce qui compte sont le prix à l’entrée et le prix à la sortie. Le reste n’est que joli conte de fées pour convaincre le chaland. Et ils se terminent souvent mal, comme le palais de Dame Tartine, détruit par la fée Carabosse. Toutefois, pour des raisons à la fois historiques et contextuelles, j’exclurais les banques, les mines et le transport aérien.

L’Europe n’offre aucun grand champion de la tech
comme Amazon ou Facebook. Et pas non plus de Tesla.
Vers quoi se tourner?

La tendance est aux nouvelles énergies, certes une lame de fond, mais il faut aussi savoir regarder des activités un tantinet plus ennuyeuses dans les secteurs industriel et de la distribution.  La gestion des stocks de supermarchés par exemple où une certaine entreprise suédoise est en situation de quasi-monopole et démontre une croissance des ventes au 3e trimestre de 140%. Tout en ne se traitant qu’à 4 fois les revenus. Autre exemple, toujours en Europe, un producteur d’antibiotiques et de suppléments vitaminés, avec une croissance des ventes de 30-40% cette année et un multiple de 1,5 fois les ventes. Ou encore un fabricant de bateaux de plaisance qui s’est entièrement réorganisé mais qui se traite encore à la valeur d’inventaire.  

Pourquoi ces petites valeurs européennes sont-elles traitées si bas?

Pour trois raisons principales. En premier lieu, on a observé une importante décollecte des fonds de petites valeurs ces trois dernières années. Les gérants ont dû brader leurs actifs et couper dans leurs équipes d’analystes. Moins suivies, elles sont ainsi délaissées. Ensuite, l’économie européenne est très sensible à la décroissance du commerce international. C’est particulièrement vrai de l’Allemagne et de la Suisse. Enfin, l’Europe n’offre aucun grand champion de la tech comme Amazon ou Facebook. Et pas non plus de Tesla. La bourse européenne est à la traîne des autres alors que l’on peut augurer que l’économie européenne va se redresser car les gouvernements européens ont plutôt mieux géré la crise que leur contrepartie américaine. Avec la reprise des échanges internationaux, les exportations se relèveront et les valeurs délaissées ont un bel avenir.

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