Monnaie pleine rate sa cible

Salima Barragan

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Michaël Malquarti, gestionnaire de portefeuille senior chez Quaero Capital regrette le radicalisme de cette initiative.

 

L’initiative populaire du 10 juin «Monnaie pleine» soumet au peuple un texte au contour flou sur un sujet d’une complexité qui dépasse l’entendement de beaucoup de citoyens. Cette initiative, qui n’a d’ailleurs le soutien d’aucun parti, a toutefois comme mérite de lancer le débat sur les failles de notre système monétaire.

Le mouvement Momo, gardant probablement un souvenir amer du sauvetage de l’UBS en 2008, est parti en croisade contre les banques commerciales. Il en exige l’interdiction de créer de la monnaie scripturale sous la forme de comptes de dépôt. Autrement dit, l’octroi de crédit. Selon l’initiative, la création monétaire devraient incomber exclusivement à la Banque Nationale Suisse. La BNS, dont le mandat est la stabilité des prix, devrait donc prendre sur son bilan les engagements des banques envers elle correspondant à la monnaie scripturale qui sortirait de leurs bilans. Avec la transmission des risques crédit que cela implique.

«C’est la dépendance exclusive au crédit
qui rend le système instable.»
Une initiative violente

«Ce qui est regrettable, c’est le radicalisme de cette initiative», commente Michaël Malquarti, gestionnaire de portefeuille senior Chez Quaero Capital, qui vient de publier «Pour un nouvel ordre monétaire». Ce livre tombe à point pour apporter un éclairage à propos de ce sujet épineux sur lequel les Suisses sont invités à trancher. Depuis 2015, ce titulaire d’un doctorat en physique théorique s’interroge sur les défaillances du système monétaire actuel. «Un système dynamique, tel qu’une économie, est caractérisé par ses degrés de liberté. C’est l’inadéquation entre le nombre de ces degrés de libertés, le nombre d’objectifs recherchés et le nombre de leviers de commande qui représente l’un des problèmes majeurs», explique-t-il. En ciblant les banques, l’initiative rate sa cible.

Création de monnaie sans l’entremise du crédit

«C’est la dépendance exclusive au crédit qui rend le système instable, car aujourd’hui sans crédit, il n’y a plus de monnaie non plus», commente Michael Malquarti. Il préconise de créer de l’argent différemment mais sans interdire pour autant le crédit bancaire. A cet effet, il propose un outil  supplémentaire à l’attention de la BNS qu’il a nommé la ration monétaire individuelle. Ce serait une mesure non conventionnelle apparentée à l’«helicopter money», un terme qu’il n’apprécie d’ailleurs pas particulièrement, car englobant des concepts très différents. Rappelons que l’helicopter money fait référence à une idée lancée par l’économiste Milton Friedman en 1969. Il s’agirait d’une injection fine d’argent directement aux ménages sans contrepartie d’actifs. Cette solution suppose une création de monnaie souveraine, achetée par la BNS, qu’elle redistribuerait de façon sporadique. «Ce serait un pouvoir d’achat que l’État s’octroie par l’émission de pièces». Cette monnaie émise ne serait pas financée par les impôts car il ne s’agit pas d’un transfert de pouvoir d’achat, mais bel est bien de la création d’un pouvoir d’achat.

«Le texte de l’initiative ne mentionne aucune information
concernant le modus operandi de la BNS.»
Vers une BNS toute puissante?

Le débat politique est légitime et l’on observe une tendance de fond à l’instar du mouvement activiste Positive Money en Grande Bretagne qui emboite le pas sur cette réflexion: le système monétaire actuel est imparfait. Toutefois la conclusion du Momo est déconnectée du monde opérationnel. «Il s’agit d’une approche un peu théorique qui ne tient pas compte des normes de prudences que l’on doit respecter lorsque l’on veut agir sur un système économique», souligne Michaël Malquarti. En effet, le texte de l’initiative ne mentionne aucune information concernant le modus operandi de la BNS. Jusqu’à quel point sera-t-elle active dans la surveillance des activités de crédit? Tout défauts de paiement de la BNS est exclu, mais qu’en est-il du risque politique si ses actifs deviennent inferieurs à ses passifs? Comment va-t-elle gérer les créances en défaut? Le rôle précis de la BNS demeure obscur.

Ce débat soulève une multitude de questions qui n’ont pas été adressées par les opposants à l’initiative. Ils ont recourt à des mesures macro-prudentielles tel que le renforcement de capitaux propres des banques pour stabiliser un système intrinsèquement instable. C’est la création excessive de monnaie qui est source d’instabilité car elle permet aux bulles financières de gonfler. Or avec la globalisation des marchés, est-on réellement à l’abri d’un risque systémique? Aussi, le texte soumis ne répond pas à une question essentielle, à savoir: Qui financerait les prêts dont l’économie a besoin pour croître?

Reste que l’action proposée, si elle obtenait le soutien des citoyens, serait une première mondiale qui ferait de la Suisse un laboratoire monétaire expérimental.