Une allocation entre deux eaux

Salima Barragan

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Maxime Alimi de SILEX livre une vision nuancée pour la fin d’année.

Depuis le mois d’avril de l'an dernier, les marchés boursiers ont poursuivi une superbe trajectoire soutenue par des surprises économiques positives, la liquidité des banques centrales et le retour des investisseurs, y compris les petits porteurs influencés par les réseaux sociaux. Mais à mesure que la conjoncture se normalise et que les banques centrales changent de cap, le vent pourrait-il tourner? Pas si vite, avertit Maxime Alimi, responsable de la macro et de l’allocation chez SILEX, qui voit encore des opportunités sur les marchés pour la fin d’année. Entretien.

Depuis le mois de juin, votre stratégie d’allocation est passée de surpondérée à neutre sur les actions. Pour quelles raisons?

Les deux moteurs principaux de la hausse des marchés sont en train de ralentir. D’un côté, les bénéfices des entreprises ont rebondi plus vite que prévu cette année, ce qui veut dire qu’il reste moins de potentiel pour 2022. De l’autre, les investisseurs se sont très fortement repositionnés sur les actions, ce qui implique peu de relais de demande pour la classe d’actifs à l’avenir. En cas de pépin, il y aura certainement plus de vendeurs que d’acheteurs.

Dans ce cas, pourquoi rester investi en actions?

Parce que dans le même temps, les risques de correction sont faibles! D’une part, on est prisonnier du fameux TINA («there is no alternative»): les actions resteront chères tant que les obligations, manipulées par les banques centrales, sont très couteuses. Par ailleurs, paradoxalement, tant que la pandémie n’est pas derrière nous, les banques centrales ne peuvent pas se permettre une vraie correction. La Fed reste traumatisée par son erreur de 2013 et le tantrum qui avait suivi. Pour nos clients investisseurs, nous recommandons de monétiser ce «put» de politique monétaire.

La résurgence de la pandémie n’a plus les mêmes effets sur l’activité économique grâce aux seuils atteints par la vaccination.
Donc aucun risque pour les marchés?

Le risque le plus important est toujours celui qu’on n’a pas vu venir. Mais pour moi, ceux qui sont actuellement sur le radar ne sont pas des menaces crédibles qui feraient dérailler la tendance positive. L’inflation se normalise graduellement et même si elle reste plus élevée sous l’effet des prix immobiliers et des salaires, cela ne forcera pas la main des banques centrales. La résurgence de la pandémie n’a plus les mêmes effets sur l’activité économique grâce aux seuils atteints par la vaccination. Quant à la Chine, je ne vois pas de raison d’anticiper une contagion puisqu’il s’agit d’une opération de politique intérieure.

Quels sont les thèmes que vous favorisez pour les prochains mois?

Nous anticipons que la fin d’année pourrait davantage ressembler au début, avec un retour du leadership des valeurs cycliques. Si les taux d’intérêt remontent avec de fortes émissions de dette et la sortie graduelle du QE par la Fed, les secteurs cycliques et Value pourraient combler une partie de leur écart colossal de valorisation par rapport aux valeurs de croissance. Dans ce contexte, l’Europe pourrait surperformer, surtout si la BCE s’avère prudente et que le Congrès américain vote une hausse de l’impôt sur les sociétés.

Quelles sont vos vues sur le marché actions chinois en pleine incertitude?

Il s’agit d’une correction totalement auto-administrée par les autorités chinoises, qui cherchent à réaffirmer leur rôle prépondérant dans les choix industriels du pays. Le message consiste à dire: «l’Etat est au-dessus des entreprises privées, aussi puissantes soient-elles.» J’ai tendance à penser que cette opération va rapidement prendre fin puisqu’elle a très bien fonctionné. D’autant plus qu’à moyen terme, la lutte stratégique de la Chine avec les Etats-Unis implique un besoin de s’appuyer sur ses champions nationaux. Lorsque les géants de la tech chinois auront «réaligné» leur modèle avec les priorités du régime, ils retrouveront le soutien de l’Etat, comme cela a été le cas ces dix dernières années. Du coup, c’est plutôt une opportunité d’acheter aujourd’hui à moindre prix des entreprises à fort potentiel.

La démocratisation des placements financiers est une très bonne chose!
Influencées par les réseaux sociaux comme Reddit, des hordes de petits porteurs américains ont amené un soutien significatif au marché actions durant le confinement. Que se passera-t-il lorsque ces investisseurs reviendront à leur vie d’avant?

C’est vrai que la coordination en temps réel de petits porteurs sur des titres ciblés était une grande nouveauté de 2020. D’une certaine manière, il s’agit d’une gamification de la bourse, facilitée par de nouvelles applications qui ont largement démocratisé l’investissement. C’est aussi un message de dénonciation de l’absurdité des marchés financiers dans leur déconnexion par rapport au monde réel.

Certains de ces nouveaux investisseurs vont certainement quitter les marchés, surtout qu’il n’y aura plus de chèques de l’Etat à investir. Mais la démocratisation des placements financiers est une très bonne chose! Cela pose des questions réglementaires et ajoute de l’incertitude pour les investisseurs traditionnels. Une raison de plus de privilégier une approche par le risque dans sa construction de portefeuille.

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