Coronavirus: attention aux effets mémoires

Maxime Alimi, Silex

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Les provisions de liquidité pourront éviter des défauts mais pas la destruction de valeur à long terme.

En quelques semaines, nous avons connu le «bear market» le plus rapide de l'histoire. Ensuite, certains marchés ont regagné 20% en encore moins de temps. La raison de ce scénario inhabituel est évidemment sa cause inhabituelle. La correction a été provoquée par un choc d'une nature différente de tout ce que nous avons vu dans l’ère moderne des marchés financiers. En conséquence, il n'y a pas de schéma clair auquel se raccrocher. Il existe des précédents qui datent de plus loin, le plus évident étant la grippe espagnole de 1918. Un récent papier soulève deux points importants. Premièrement, le coût économique des pandémies est élevé (baisse de 18% de la production en moyenne dans le cas de 1918). Deuxièmement, il n'y a pas de compromis à faire entre coûts de santé et coûts économiques. Une politique publique agressive visant à contenir la pandémie est plus que compensée par une reprise économique plus rapide et plus forte.

Parce que les marchés ont horreur du vide, ces conclusions constituent des points de référence importants pour les investisseurs dans la conjoncture actuelle. Elles sont d'ailleurs confirmées par les tendances observées. Les pays qui ont imposé des mesures plus précoces et plus intrusives, comme le port de masques, le dépistage systématique et la distanciation sociale, s’en sont mieux tirés que d'autres. Toutefois, la question est de savoir dans quelle mesure ils fournissent vraiment un plan pour réussir à traverser la crise.

Les marchés semblent anticiper un déclin massif
de l'activité économique entre mars et mai en Europe et aux Etats-Unis.

La Chine est le pays le plus avancé dans cette pandémie et les marchés tablent sur le fait qu'elle offre un modèle fiable. Cela implique un pic des infections environ 30 jours après les premiers signes de propagation et une courbe en cloche par la suite. Maintenant que l'Europe a dépassé la barre des 30 jours et montre des signes de ralentissement similaire, les marchés se confortent dans le modèle chinois.

Cette prédiction est toutefois hautement asymétrique car le modèle chinois est de fait le meilleur scénario possible. D'abord, il existe des preuves convergentes que les données chinoises sont considérablement sous-estimées. Ensuite, la fin du confinement ne coïncide pas avec une normalisation de l'activité économique, de nombreux secteurs restant déprimés. Troisièmement, les précédents historiques font état de «deuxièmes vagues» dans l'épidémie, ce qui signifie que la courbe en cloche n'est pas garantie.

Les marchés semblent aujourd'hui anticiper un déclin massif de l'activité économique entre mars et mai en Europe et aux Etats-Unis. Les données économiques catastrophiques de ces dernières semaines ont d’ailleurs eu peu d'impact, ce qui confirme que les marchés sont positionnés pour une baisse de plus de 20% du PIB au deuxième trimestre. Ce coup d’arrêt sera le plus précipité de l'histoire récente.

La baisse d'activité liée au confinement est intuitive, mécanique, et ne crée pas
le sentiment de perte de contrôle que les récessions véhiculent habituellement.

Paradoxalement, malgré des chiffres économiques dramatiques, la complaisance n’est pas loin. Tout d'abord, la récession que nous vivons est auto-infligée et «pour la bonne cause». La baisse d'activité liée au confinement est intuitive, mécanique, et ne crée pas le sentiment de perte de contrôle que les récessions véhiculent habituellement. Deuxièmement, la relation mécanique entre confinement et croissance donne un faux sentiment qu'une fois le confinement levé, «tout sera oublié». Mais les disruptions majeures telles que celle que nous traversons ne reviennent pas à mettre le monde en pause pendant quelques mois. Ce que les économistes appellent «l’hystérèse», ou effets de mémoire, va immanquablement se produire. Une enquête récente de la Fed de New York suggère que 20% des petites entreprises américaines seraient à risque. 

Evidemment, la réponse politique à cette crise a été réellement impressionnante. En l'espace de quelques semaines, l'ensemble de l'arsenal créé pendant la Grande Crise Financière et la crise souveraine européenne a été déployé. La nature de la menace aujourd’hui permet à la réponse politique d'aller encore plus loin. Il était controversé de sauver les banques en 2008. Il était controversé de sauver les Grecs en 2011. Mais il n'y a rien de controversé à épargner au monde une pandémie. 

Néanmoins, il sera bien plus facile pour les gouvernants de fournir de la liquidité et d'éviter des défauts à grande échelle que d'empêcher la destruction permanente de valeur en raison de changements d'habitudes, de nouvelles réglementations ou de bouleversements de la concurrence. Pour cette raison, le soutien apporté par les pouvoirs publics sera plus efficace pour aider les créditeurs que les actionnaires.

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