Alors que des méga-banques comme JP Morgan Chase ou Morgan Stanley se négocient sur le marché boursier à deux fois leurs fonds propres, UBS présente un rapport valeur boursière-fonds propres d’un peu plus d’une fois. D’où un potentiel de valorisation qui est encore substantiel pour la première banque suisse et le plus gros gestionnaire de fortunes avec des actifs investis de 6200 milliards de francs à fin septembre 2024. Entretien avec Andreas Venditti, directeur et analyste spécialiste du secteur financier chez Vontobel.
L’année 2024 a été bonne pour le secteur bancaire en termes de progression boursière, n’est-ce pas?
On peut le constater en effet, mais avec une plus forte valorisation des banques américaines que celle de leurs homologues européennes. En raison d’une meilleure conjoncture aux Etats-Unis et de l’élection de Donald Trump à la présidence. Celle-ci a en particulier suscité une certaine fantaisie en matière de stimulation de l’économie américaine par l’anticipation d’une dérégulation supplémentaire et d’une baisse de la fiscalité.
Ce contexte devrait favoriser une politique de croissance positive pour les banques, en particulier sur le plan des fusions et acquisitions (M&A), avec davantage de rachats d’entreprises, d’entrées en Bourse (IPO) ou de transactions sur les marchés privés. Non sans une situation paradoxale en filigrane: ceux qui s’opposent à la régulation peuvent accéder à la tête des autorités de concurrence et surveillance suite à la victoire de Donald Trump.
En Europe, la croissance s’avère plus faible, et le paysage bancaire demeure plus fragmenté qu’aux Etats-Unis, ce qui se traduit notamment par des ratios coûts-revenus (cost-to-income ratios) plus élevés et des systèmes informatiques moins performants pour les banques européennes qui doivent augmenter leur efficience.
Est-ce le cas d’UBS dont l’action affiche la meilleure performance de l’indice SMI lors des cinq dernières années et qui poursuit sur sa lancée?
En fait, cette hausse s’est produite surtout en 2023 après l’annonce du sauvetage et rachat de Credit Suisse Group. L’an dernier, l’action n’a progressé que de 6,2% du fait des craintes liées à des exigences plus élevées de la part de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers Finma, notamment en matière de fonds propres. Avec le risque d’un «swiss finish», soit de dépasser les réformes de Bâle III sur le contrôle bancaire visant à renforcer la solvabilité et la liquidité des banques. Dans le même temps, les banques américaines font tout pour repousser aux calendes grecques Bâle III.
Le marché attend ce qui sera décidé pour UBS à ce sujet. L’année 2025 sera ainsi décisive. En cas de compromis raisonnable, une hausse supplémentaire de la valeur boursière d’UBS aura sans doute lieu.
Mais une réglementation plus stricte de la Finma ne va-t-elle pas diminuer la rentabilité d’UBS et de ses fonds propres en particulier?
D’abord, en ayant payé 3 milliards de francs pour un goodwill négatif d’environ 30 milliards, UBS dispose d’un coussin de sécurité confortable, qu’elle utilise d’ailleurs intelligemment.
Ensuite, UBS a les moyens de répondre à des exigences plus élevées par un emploi plus efficace de son capital, en libérant des capitaux et en les redéployant ailleurs. Par exemple, l’entité reprise Credit Suisse international UK est surcapitalisée. UBS comporte un potentiel considérable à cet égard, de même que sur le plan des coûts et des revenus. Et donc d’augmentation du rendement de ses fonds propres ces prochaines années. Le ratio coûts-revenus était encore supérieur à 80% à la fin du troisième trimestre 2024. Or son objectif est de l’abaisser à moins de 70% en 2027.
«UBS a considérablement amélioré son profil risque-rendement.»
UBS gère-t-elle son bilan de façon conservatrice?
Nous pensons que c’est le cas, tant à l’actif qu’au passif. Les tendances sont positives. Notamment en ce qui concerne l’évolution des dépôts de la clientèle, des prêts hypothécaires et des crédits lombard. S’agissant de ces derniers, UBS n’a accusé que de très légères pertes en 2020, une année test par excellence.
Sous la présidence d’Axel Weber, UBS a sensiblement amélioré son profil risque-rendement et donc la qualité de son bilan. Cela se poursuit sous la férule de Colm Kelleher. La combinaison de ratios de capital plus élevés, de plus grandes parts de marché et d’une réglementation plus stricte diminue le risque d’une banque bien gérée tout en augmentant sa durabilité et son avantage compétitif.
Morgan Stanley, qui est la banque la plus similaire à UBS, se négocie en bourse à deux fois les fonds propres, tandis que le ratio valeur boursière-fonds propres (price-to-book ratio) d’UBS avoisine 1,3…
Cela montre que le potentiel d’UBS n’est pas épuisé. Certes, le rendement des fonds propres (ROE) d’UBS se révèle inférieur à 10%, à cause de coûts extraordinaires dus à l’intégration de Credit Suisse. En comparaison, le ROE de Morgan Stanley s’avère nettement supérieur à 10% depuis plusieurs années.
Cependant, UBS comporte le potentiel de rehausser considérablement son ROE et, ce faisant, d’atteindre une valeur boursière correspondant à 1,5 fois ses fonds propres. UBS a l’ambition d’atteindre au moins un rendement de ses fonds propres de base (CET1) d’environ 15% en 2027. Le marché reste sceptique car il n’exclut pas encore la possibilité de davantage de capital propre de base (CET1) exigé par la Finma.
Quel potentiel d’amélioration voyez-vous aux Etats-Unis pour UBS?
Dans le wealth management en Amérique, qui reste peu rentable, UBS comporte un important potentiel d’amélioration. La rentabilité de Morgan Stanley est trois fois meilleure dans ce segment d’activité. Avec Credit Suisse, UBS a renforcé ses activités durables de banque d’investissement: les conseils en M&A, les activités de marché des capitaux fonds propres (equity) et dettes (debt). UBS a ainsi davantage de clients potentiels pour ses activités de gestion de fortune en Amérique.
D’autre part, UBS a un énorme report de pertes en Amérique, qui peut être utilisé en cas de bénéfices et est relutif de capital. Finalement, UBS ne possède qu’une licence limitée en Amérique. Elle aimerait en obtenir une complète afin d’élargir sa gamme de produits. On mesure à travers ces éléments un potentiel substantiel mais qui nécessitera plusieurs années pour être pleinement réalisé.
«Julius Baer et EFG International devraient atteindre un ROE supérieur à 15% à l’avenir.»
Une banque de gestion de fortune comme Julius Baer Group présente un price-to-book ratio d’environ 2, alors qu’EFG International s’en approche peu à peu…
EFG International a réalisé de gros progrès opérationnels ces dernières années; ce qui s’est traduit par une hausse de son ROE à plus de 10% et de son price-to-book ratio. Julius Baer dégage un rendement des fonds propres, hors facteurs extraordinaires, qui est de l’ordre de 15%. Ces deux banques devraient, à mon avis, atteindre un ROE supérieur à 15% à l’avenir.
Julius Baer reste toutefois dans le collimateur de la Finma concernant la gestion des risques; celle-ci n’a pas encore rendu son verdict concernant l’affaire Signa/Benko. Par ailleurs, ces objectifs, en particulier de ratio coûts-revenus, paraissent trop ambitieux. L’arrivée du nouveau CEO, Stefan Bollinger, devrait amener des objectifs plus réalistes.
Que pensez-vous de la valorisation boursière des banques cantonales?
Elles restent, sauf exception, très dépendantes des marges d’intérêt et effectuent un repricing, c’est-à-dire une adaptation de leurs taux. Après une année 2023 très favorable, la courbe des taux s’est détériorée suite aux décisions de la Banque Nationale Suisse.
Les banques cantonales se négocient en Bourse généralement à un rapport valeur boursière-fonds propres de 1 fois en moyenne. La BCV est une exception avec un price-to-book ratio de 2. Certes, le rendement des capitaux propres de BCV est nettement plus élevé que la moyenne des banques cantonales, soit deux fois plus haut à présent.