Donald Trump a promis que le 2 avril serait le «Jour de la libération», celui de l’entrée en vigueur des droits de douane dits réciproques. Ces derniers consistent à appliquer aux produits entrant aux Etats-Unis le même niveau de taxation que celui appliqué par un pays sur les produits américains entrant sur son territoire. La semaine dernière, le président américain a également annoncé des droits de douane de 25% sur les importations automobiles qui ont provoqué un net recul des bourses internationales. Comment comprendre la politique commerciale du président américain? Michel Girardin, professeur invité à l’Université de Genève, répond aux questions d’Allnews:
La hausse des droits de douane sur l'automobile signale-t-elle que ces taxes sont une fin en soi ou restent-elles un moyen de pression?
Nous comprenons de mieux en mieux la tactique de Donald Trump. C’est un peu la stratégie du fou qui consiste à observer, lancer une initiative choquante et, face aux réactions, commencer à négocier. Ses partenaires se sont déjà habitués à cette tactique qui consiste à souffler le chaud et le froid. Signe de cette interprétation et d’une poursuite des discussions, les Européens ont reporté à la mi-avril la présentation de leurs mesures de rétorsion. Les droits de douane demeurent donc le cœur de métier de la politique «Trumpienne».
«Donald Trump est un négociateur difficile, mais il ne mettra pas en danger le multilatéralisme».
Quels sont les effets de ces changements de politique commerciale sur les perceptions?
Cette tactique crée de l’incertitude dont les Etats-Unis espèrent qu’elle créera un afflux de capitaux vers le dollar en tant que valeur refuge. A l’analyse, il apparaît rapidement qu’un pays qui crée de l’incertitude ne peut pas en bénéficier à travers une appréciation de sa monnaie.
Est-ce que les relèvements successifs des droits de douane marquent la fin du multilatéralisme?
Je ne serais pas aussi catégorique. Donald Trump est un négociateur difficile, mais il ne mettra pas en danger le multilatéralisme, lequel reste un principe fondamental des Nations-Unies. Le multilatéralisme permet d’affronter les défis majeurs du moment tels que la paix, le développement durable, le climat, les droits humains. A part le premier thème, il est vrai que les autres ne figurent plus au sein des priorités américaines. Nous verrons bien le 24 avril, lors de la Journée mondiale du multilatéralisme. Mais il est certain que le multilatéralisme a pris un coup avec la «Trumponomics», mais il n’est pas enterré. Nous resterons ballotés au rythme des négociations commerciales.
Quand les relèvements des droits de douane se feront-ils sentir sur les résultats des entreprises européennes et américaines?
Les analystes présentent les effets des droits de douane comme catastrophiques pour les entreprises, mais ils concernent les produits importés aux Etats-Unis par des fabricants étrangers et non pas ceux qui produisent aux Etats-Unis. Or le secteur automobile européen est déjà très présent avec des sites de production aux Etats-Unis, à l’image de BMW et Mercedes.
Un fort pourcentage n’est-il pas produit au Mexique puis importé aux Etats-Unis?
Sans doute, mais les titres de presse paraissent parfois exagérer cet impact. BMW continuera à vendre des automobiles qui ne seront pas affectés par ces droits de douane.
Au plan global, je pense que la tendance consistera de plus en plus à fabriquer directement aux Etats-Unis, ce qui limitera les coûts de transport et permettra d’échapper aux barrières douanières.
«Aujourd’hui, depuis l’arrivée de Donald Trump, la surpondération européenne se justifie enfin dans le nouvelle donne sur les fondamentaux.
L’estimation des effets des tarifs est un exercice qui s’avère assez périlleux. Il ne faut pas seulement calculer les produits importés aux Etats-Unis mais aussi les composants de ces produits. L’impact sur les résultats apparaîtra quand les entreprises répercuteront ces droits sur leurs prix. Or l’effet sur les prix interviendra avant celui sur les volumes. En augmentant le prix des importations, les barrières douanières péjorent, dans un premier temps, le solde de la balance commerciale. Ce n’est que lorsque cette augmentation des prix entraîne une diminution du volume des importations que la situation peut s’améliorer, à condition toutefois que l’effet quantité domine l’effet prix. En l’occurrence, cela veut dépendre de l’élasticité de la demande au prix pour les importations, comme pour les exportations.
Le calcul de ces effets est difficile à modéliser, d’autant qu’il faudra attendre les réactions des partenaires commerciaux. Et attendre que l’on connaisse les niveaux définitifs des droits de douane. La visibilité est trop faible aujourd’hui.
Est-ce que les Etats-Unis entreront en récession?
Je le pense effectivement, mais les caractéristiques de cette récession seront très particulières. Elle ne sera pas liée à une augmentation du chômage, mais à une chute de la consommation induite par une augmentation de l’inflation.
Le comportement du consommateur est généralement fonction du marché de l’emploi, notamment de la capacité à changer d’emploi aisément et à négocier de bons salaires. Aujourd’hui, la pentification de la courbe des taux souligne l’émergence d’un risque de stagflation. La confiance des consommateurs est en chute libre. Elle est en baisse de 27% en 12 mois. C’est un très bon indicateur avancé d’un risque de récession, non pas au regard de son niveau mais de sa variation. Selon mes estimations, un recul de 20% de l’indice de confiance des consommateurs traduit un danger marqué de récession.
Historiquement, le pic de la confiance des consommateurs a été atteint en 2000, lors de la bulle internet. Le passage d’une situation d’euphorie du consommateur à celle d’une grande satisfaction a suffi pour déclencher une récession en 2002. Il en est de même du taux de chômage. C’est sa variation qui importe: s’il augmente de 0,5 point de pour-cent, une récession devient probable. Aujourd’hui, les consommateurs sont inquiets par l’évolution de l’inflation.
La politique «MAGA» est inflationniste à travers les barrières douanières et la fin de l’immigration illégale. Si 15 millions d’immigrés sont illégaux et si 9 millions ont un emploi, leur départ obligera les employeurs à faire appel à la main d’oeuvre domestique, ce qui engendrera une nette hausse des salaires, puis des prix.
Donald Trump demande à la Fed de baisser les taux d’intérêt pour éviter l’effet des droits de douane. Mais cela porte atteinte à l’indépendance de la banque centrale. Ce qui déplaît grandement aux marchés financiers.
«Selon mes estimations, un recul de 20% de l’indice de confiance des consommateurs traduit un danger marqué de récession».
Est-ce la fin de l'idée selon laquelle Donald Trump jugerait la qualité de ses décisions en fonction de l'indice S&P?
Donald Trump peut ignorer quelque temps la baisse des Bourses et la hausse des taux longs, mais si cela empire, la pression sur le président augmentera dangereusement. Le signal offert par la pentification de la courbe des taux est clair (4,7% à 30 ans et 4,01% à 2 ans).
Est-ce que la politique budgétaire de Donald Trump peut conduire à une récession?
Donald Trump commet les mêmes erreurs que Donald Reagan à son époque, en se reposant sur les théories d’Arthur Laffer. Trump veut baisser les impôts en espérant que les recettes fiscales augmenteront. Mais cela ne fonctionne que si la fiscalité est confiscatoire. Si les impôts sont modérés, comme à l’époque de Ronald Reagan, cela ne marche pas. Une baisse des taxes conduit alors à un recul des recettes fiscales et à une hausse du déficit.
La source du problème des Etats-Unis est à chercher au début des années 1980. La dette publique s’élevait à quelque 30% du PIB. Arthur Laffer avait alors conseillé au Président Reagan de baisser les impôts pour provoquer une hausse des recettes fiscales qui résulterait d’une accélération de la croissance. L’espoir a été déçu. La dette publique a doublé durant la présidence de Reagan. La réduction des impôts a dopé la croissance, mais celle-ci a entraîné une hausse des importations et du déficit commercial. De ce fait, les Etats-Unis se sont retrouvés au milieu des années 80 avec un double déficit, gouvernemental et commercial. Le raisonnement de Donald Trump n’est pas sorti de cette logique.
Il est aussi inquiétant de constater que non seulement nous assistons à une hausse du niveau de la dette mais aussi à celle du service de cette dette. Si la croissance économique est bonne et les rendements obligataires bas, un pays n’a pas à s’inquiéter. Mais l’exemple de la Grèce rappelle que les rendements obligataires peuvent s’envoler si les marchés s’inquiètent. La dette représentait 170% du PIB et les rendements obligataires ont grimpé jusqu’à 40%. Cela signifiait que 68% du PIB étaient consacrés au service de la dette, donc des créanciers. Aujourd’hui, les Etats-Unis sont dans une zone insoutenable (4,7% de rendement pour 130% de dette/PIB). Ils risquent d’être confrontés à un problème similaire à celui de la Grèce.
Quelle sera l’impact de sur les marchés?
Le marché a toujours raison; il obligera Donald Trump à accepter de reconnaître qu’il commet des erreurs. Mais cela prendra du temps.
Depuis de très longues années, les attentes d’une surperformance relative des actifs européens par rapport aux américains n’ont pas été satisfaites. Aujourd’hui, depuis l’arrivée de Donald Trump, la surpondération européenne se justifie enfin dans la nouvelle donne sur les fondamentaux.
Cette fois, c’est différent?
Oui, je pense qu’on peut dire merci à Donald Trump. Il est rarissime que l’Allemagne annonce une politique de relance significative, avec une hausse des dépenses budgétaires à des fins d’infrastructures et de défense. L’Europe connaîtra une belle reprise, grâce à Donald Trump.