Arthur Laffer est un original. Un artiste même. Comme Picasso, il utilise les nappes de restaurant pour devenir célèbre. Picasso payait ses repas avec des esquisses sur les nappes du restaurant, restaurant qu’il proposa de racheter, le jour où on lui demanda de signer ses œuvres. Avec le dessin ci-dessous qu’il griffonna et signa pour expliquer sa recette magique à Dick Cheney - conseiller du président des Etats-Unis Gérald Ford, puis futur vice-président de Georges W. Bush - Arthur Laffer, devint, lui aussi, conseiller de Ford, il y a 50 ans. Puis ce fut au tour de Reagan en 1980 et … Trump en 2016.
La nappe qui vaudra la gloire à Arthur Laffer
Esquissée sur la nappe, la courbe de Laffer part d’un principe frappé au coin du bon sens. Avec un taux de pression fiscale de 0%, les recettes fiscales sont nulles. Elles le sont tout autant lorsque ce taux atteint 100%, attendu que personne n’est incité à travailler si la totalité de son revenu est confisquée par l’Etat. C’est le sens de la formule «Trop d’impôt tue l’impôt» qui sera reprise par François Mitterand (mais oui…) en 1983. Entre ces deux extrêmes, il est un équilibre à trouver.
Reprenons la courbe dans une forme plus académique. Sur l’axe horizontal du graphique ci-dessous, nous indiquons le taux moyen d’imposition sur le revenu des ménages. L’axe vertical affiche, quant à lui, les recettes fiscales collectées par l’Etat.
Trop d’impôts tue l’impôt
La courbe de Laffer montre qu'il existe un taux d'imposition optimal qui maximise les recettes fiscales, et que, au-delà de ce taux, augmenter les impôts peut en réalité réduire ces recettes.
Lorsque les impôts sont très bas, les recettes fiscales sont également faibles, car même si la base imposable (les revenus issus de l’activité économique) est importante, les taux d'imposition ne sont pas suffisamment élevés pour générer assez de recettes. Nous sommes entre 0% et le Taux A sur l’axe horizontal.
A mesure que le taux d'imposition augmente, les recettes fiscales augmentent également, car le taux plus élevé produit plus de recettes pour chaque unité de revenu. Nous nous trouvons ici entre le Taux A et le Taux B sur l’axe horizontal.
Si les taux d'imposition deviennent trop élevés, cela décourage le travail, l'investissement et la production. Les contribuables cherchent alors à éviter l'impôt, en réduisant leurs revenus déclarés, en cherchant des échappatoires fiscales ou en déplaçant leurs ressources dans des secteurs non productifs. Dans ce cas, les recettes fiscales commencent à diminuer, même si le taux d'imposition est plus élevé. Nous nous trouvons ici à droite du taux B, soit une zone où la fiscalité est tellement dissuasive que les conséquences en sont désastreuses. Jugez plutôt: plus vous augmentez la pression fiscale, plus vous diminuez les recettes fiscales pour l’Etat!
La courbe de Laffer illustre donc l'idée qu'il existe un point optimal. C’est le «pic» de la courbe atteint au Taux B, où les recettes fiscales sont maximisées. A gauche de ce point, la pression fiscale est correcte. A droite de celle-ci, elle devient néfaste.
S’il est un gros avantage à se trouver dans la zone fiscale confiscatoire ou néfaste, c’est qu’ici, toute réduction du taux d’imposition va tellement stimuler la demande et la croissance, qu’au final, les recettes fiscales vont augmenter. L’optimum sera atteint au point B. Si on continue à réduire le taux d’imposition une fois ce pic atteint, on se retrouve dans la situation normale où les recettes fiscales sont diminuées.
La courbe de Laffer a été utilisée pour justifier des baisses d'impôts, en particulier dans les politiques économiques de certains gouvernements conservateurs, comme ceux de l'administration Reagan aux Etats-Unis dans les années 1980. Cette politique a-t-elle eu l’effet magique de réduire la dette de l’Etat, en augmentant les recettes fiscales? Pas vraiment. La croissance a certes été dopée par la politique budgétaire très expansionniste. Mais ce surplus de croissance s’est traduit par une forte augmentation des importations de biens et services par les Etats-Unis, ce qui a fait naître un déficit majeur des comptes courants, une tendance renforcée par une envolée du dollar induite par le politique monétaire ultra-restrictive menée par la Fed de l’époque, dans le but de terrasser une inflation à 2 chiffres.
Sur la courbe de Laffer, la position exacte du point optimal est difficile à déterminer et peut varier en fonction du contexte économique, de la structure fiscale, du comportement des agents économiques, etc.
Arthur Laffer, c’est l’artisan du Trumponomics
Inspiré du «Reaganomics», le terme «Trumponomics» fait référence aux politiques économiques mises en œuvre sous la présidence de Donald Trump de 2017 à 2021. Les principes fondateurs en sont la réduction des impôts, la dérégulation, et le protectionnisme. L’objectif est de stimuler la croissance économique, la création d'emplois, et la compétitivité des entreprises américaines.
L'une des pierres angulaires de la politique économique de Trump a été la réforme fiscale adoptée en décembre 2017, appelée «Tax Cuts and Jobs Act». Cette réforme a introduit plusieurs changements importants:
- Réduction de l'impôt sur les sociétés : le taux d'imposition des sociétés a été abaissé de 35% à 21%, dans l'idée de rendre les entreprises américaines plus compétitives à l'international et d'encourager les investissements dans l'économie.
- Réduction des impôts des particuliers : les tranches d'imposition des ménages ont également été réduites, bien que cette baisse soit progressive et expire en 2025. A peine élu, le nouveau président a déjà indiqué qu’il allait prolonger la durée de cette baisse.
- Incitations à rapatrier les bénéfices : la réforme a permis aux entreprises de rapatrier des bénéfices détenus à l'étranger à un taux réduit (15,5% pour les liquidités et 8% pour les actifs non liquides), dans le but d'encourager les entreprises américaines à ramener des fonds dans le pays.
L'idée sous-jacente de cette politique était que la réduction des impôts stimulerait les investissements, la consommation et la création d'emplois, menant ainsi à une croissance économique soutenue.
Une autre composante clé de Trumponomics a été une dérégulation massive, en particulier dans les secteurs industriels et financiers. L'administration Trump a cherché à réduire ou à éliminer des réglementations jugées trop contraignantes pour les entreprises, en particulier dans les secteurs de l'énergie, des infrastructures et de la finance.
Une autre caractéristique importante de Trumponomics a été le protectionnisme, celui du «America first». Il s’agit de mettre en œuvre des politiques visant à protéger les industries et les emplois américains contre la concurrence étrangère. Trump a adopté une approche commerciale plus agressive, notamment par des tarifs douaniers, une guerre commerciale avec la Chine et la renégociation de certains accords commerciaux internationaux, comme l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qu'il a remplacé par l'Accord Etats-Unis-Mexique-Canada (USMCA), que Trump considérait plus favorable aux Etats-Unis.
La politique des Trumponomics a conduit à une croissance économique solide et à des gains d'emplois importants avant la pandémie de 2020. A la fin de 2019, le taux de chômage a atteint un niveau historiquement bas (3,5%).
Le nouveau Trump va reprendre les 3 grands piliers économiques qu’il a actionné durant son premier mandat, à savoir les réductions fiscales, une dérégulation massive, et une approche plus protectionniste du commerce extérieur.
L’impact sur la croissance de l’économie américaine sera indiscutablement positif. Quant à prédire l’évolution de la dette, j’ai de la peine à imaginer qu’elle puisse diminuer. Pour que ce miracle ait lieu, il faudrait que les taux d’imposition actuels se situent dans la partie «néfaste» de la courbe de Laffer où la fiscalité est confiscatoire, une particularité que l’on trouve sans doute plus facilement en France qu’aux Etats-Unis.