Le marché suisse s’est fortement repris depuis la fin octobre. Non seulement il profite de la fin de la hausse des taux d’intérêt, mais les résultats des entreprises sont généralement bons. Daniele Scilingo est responsable de l’équipe qui gére le fonds Mirabaud Fund - Equities Swiss Small & Mid et le Mirabaud Fund - Swiss Equities, sur les grandes capitalisations suisses, répond aux questions d’Allnews:
Quel est votre scénario pour les actions suisses en 2024?
Nous pensons que les marchés se concentreront sur la croissance des bénéfices des entreprises après s’être focalisés sur la tendance des taux d’intérêt. Les craintes portants sur les taux d’intérêt s’estompent progressivement.
En Suisse, l’évolution des bénéfices est fonction de la monnaie. Le franc fort coûte 5 à 6% des ventes aux sociétés suisses. Cette pression monétaire force les sociétés suisses à accélérer les efforts d’innovation et d’augmentation de la productivité.
Nous estimons que 2024 sera une année positive pour les actions. Les facteurs positifs sont sous-estimés à cause de l’impact favorable de l’Inflation Reduction Act sur les groupes suisses. Un quart des ventes des entreprises suisses sont générés aux Etats-Unis. Les changements technologiques, de l’intelligence artificielle à la numérisation en passant par les diagnostics de santé, devraient bénéficier aux titres de sociétés suisses innovantes et capables de les mettre en œuvre rapidement.
Les perspectives du marché suisse sont-elles nettement améliorées par la récente baisse du franc?
Elles sont un peu moins négatives. Par rapport à la moyenne de l’année précédente, le franc produit un effet négatif de 4% sur les ventes et réduit les marges encore davantage.
Que pensez-vous de la valorisation actuelle des valeurs suisses?
La valorisation des titres suisses a retrouvé sa moyenne historique. En 2020 et 2021, les small & mid caps suisses présentaient une forte prime par rapport aux grandes capitalisations. Une convergence s’est ensuite produite entre les deux segments de la cote et aujourd’hui les titres se traitent entre 18 et 19 fois les bénéfices de 2024. J’estime que ce niveau est acceptable. Les bénéfices devraient augmenter de 8 à 10% cette année. Ces estimations pourraient être réduites par le fait que les analystes financiers attendent la publication des résultats avant de corriger leurs estimations pour 2024.
«Le franc fort coûte 5 à 6% des ventes aux sociétés suisses.»
Quelle est votre opinion sur les derniers résultats?
Les entreprises ont généralement répondu aux attentes du marché. Leurs prévisions pour 2024 ont toutefois été peu précises. Le marché a accepté des résultats assez moyens lorsque les prévisions se sont avérées un peu plus favorables. J’en déduis que l’investisseur est prêt à porter son regard au-delà des 2 ou 3 prochains trimestres, particulièrement dans les semi-conducteurs. Une récession s’est produite dans ce secteur. Le premier trimestre 2024 pourrait demeurer également médiocre, mais le marché anticipe une amélioration ultérieure.
Les trois titres suisses liés aux semi-conducteurs (Inficon, VAT et Comet) ne se sont-ils pas trop fortement appréciées ces derniers mois?
La hausse de ces trois valeurs nous a surpris par sa vigueur si bien que nous avons pris quelques bénéfices dans ce secteur. Mais il faut savoir qu’un rebond des semi-conducteurs est toujours plus fort qu’attendu. Les entreprises nous disent que leur visibilité est très limitée. Le marché interprète négativement ces déclarations, croyant que les entreprises n’ont aucune visibilité. Or la visibilité est aussi très modeste lorsque la reprise se produit. Dans ce secteur, soit le marché baisse de 40%, soit il monte de 40%. Le marché anticipe une augmentation des ventes de 10 à 12% en 2024 et une hausse de même ampleur en 2025. Il est probable que la reprise surviendra fortement, ou ne surviendra pas.
Quelle est votre préférée entre les trois valeurs suisses de semi-conducteurs?
Les trois sont présentes dans les semi-conducteurs mais dans des domaines très différents les uns des autres. Comet est le plus exposé au rebond des ventes de puces mémoires mais la société a développé un nouveau produit qui entre en phase de lancement, dans la génération d’électricité.
Dans la tech, nous avons aussi une position dans Temenos. Le groupe a subi une offensive du fonds Hindenburg. Nous avons conservé nos positions. La société publiera le 15 avril le résultat du rapport externe mandaté par Temenos. Nous espérons que les attaques ne concernent qu’une très petite partie des activités.
Est-ce que vous préférez la tech, les cycliques ou les défensifs, dans les small & mid caps?
Nous sous-pondérons les valeurs industrielles mais seulement légèrement. Par contre nous surpondérons les technologies de l’information, avec les titres de semi-conducteurs cités ainsi que ALSO, et les financières.
Pourquoi surpondérer les financières?
Nous sommes exposés aux financières en partie afin de renforcer la partie «value» du portefeuille.
Au sein de ce secteur, nous aimons beaucoup Swissquote, une société entièrement digitale, au bénéfice d’une croissance et d’un rendement des fonds propres très attractifs, donc un vrai compounder selon notre définition.
Cembra est également un titre apprécié au sein de notre fonds small & mid caps et de notre fonds de grandes capitalisations. La société est entièrement active en Suisse et elle est parvenue à très aisément compenser la perte de son contrat avec Migros. A l’annonce de cette décision, le titre avait chuté de 35%. Aujourd’hui, Cembra a réussi à conserver une grande partie de la clientèle.
Nous disposons aussi de positions dans Bâloise, pour sa valorisation, et Julius Baer, que nous avons accumulé après le changement de CEO et la baisse du titre. Julius Baer peut aussi être le moyen choisi par une société étrangère de pénétrer sur le marché de la gestion de fortune suisse à travers une acquisition.
«Nous espérons des informations positives de la part de Roche sur une nouvelle thérapie contre Alzheimer et sur deux nouveaux produits achetés l’an dernier».
Est-ce que votre approche est sectorielle?
Non. Notre approche est entièrement «bottom-up» et le fruit de l’analyse des différentes sociétés.
Pourquoi la pondération dans la santé est basse dans votre fonds small & mid caps et forte dans le fonds large caps?
Dans les grandes capitalisations, nous sous-pondérons fortement Novartis et surpondérons Roche à la suite d’achats réalisés ces dernières semaines.
Pourquoi privilégier Roche, un titre sur une tendance baissière à moyen terme et, sous l’angle de la durabilité, qui s’est vu critiqué par Ethos à l’assemblée générale pour des questions de rémunération du management et d’ambitions trop basses en matière environnementales?
Nous avons accumulé le titre récemment parce que tout le monde reprend les critiques que vous mentionnez, à savoir un manque d’ambition et de croissance ainsi que des échecs dans les domaines d’Alzheimer et l’oncologie, sans parler d’un effet de base négatif lié au covid.
La croissance de Roche est nettement plus basse que celle de Novo Nordisk et d’Eli Lilly. Mais au cours des prochains trimestres, nous espérons des informations positives de la part de Roche sur une nouvelle thérapie contre Alzheimer et sur deux nouveaux produits achetés l’an dernier. Avec l’aide de quelques informations positives, la tendance du titre pourrait être modifiée favorablement. Dernièrement, la valorisation est tombée à un plus bas historique, à 13 fois le bénéfice 2024, alors que celle d’Eli Lilly atteint 61 fois.
Un événement me paraît révélateur des difficultés commerciales du groupe. La molécule employée par Eli Lilly contre l’obésité a été développée par Chugai, la filiale japonaise de Roche, qui l’a vendue au groupe pharma américain en 2017 en pensant qu’elle n’aurait pas un potentiel commercial suffisamment rapide. On connaît le formidable succès rencontré par Eli Lilly avec celui-ci.
Est-ce qu’il faudra une décennie pour que le groupe bâlois se reprenne, comme on l’a vu avec la fin du valium? N’êtes-vous pas trop en avance?
C’est possible, mais ces 3 dernières années, Roche a perdu 45% de ses ventes suite à l’échéance de la protection de brevets. La société est parvenue à compenser ces pertes avec de nouveaux produits dans des domaines dans lesquels elle n’était pas présente, comme l’immunologie et la sclérose en plaques. Je suis curieux de voir si Novartis sera capable de présenter une telle capacité d’innovation, elle qui aura aussi à compenser la perte d’importants brevets. J’ai des doutes à ce sujet.
Après la reprise des cours en 2023, quelle est la prochaine étape de votre fonds?
Nous voulons nous positionner sur les titres de croissance qui non seulement présentent des perspectives positives en 2024 mais qui seront assez innovants pour assurer une croissance rentable et durable à long terme.
Quelles sont les positions les plus fortes en termes relatifs par rapport à l’indice?
Il s’agit de Cembra, dont nous avons déjà parlé, et Schindler. Le groupe spécialisé dans les ascenseurs a résolu ses problèmes internes et profite de sa position oligopolistique avec une rentabilité très intéressante dans ses activités de services.
Temenos fait partie de nos préférés, avec un très bon potentiel de croissance dans les logiciels bancaires, ainsi que Tecan, Straumann et Comet. Ces sociétés ont un potentiel de croissance et une rentabilité très élevée. Avec des taux d’intérêt stables en 2024, une société capable de présenter les résultats attendus par le marché se traitera avec une prime plus élevée.
Est-ce que Schindler n’a pas des marges inférieures à ses concurrents et une valorisation trop élevée?
Schindler sort d’une période durant laquelle elle a peiné à adapter ses prix à la hausse et à gérer correctement ses achats de matières premières. Le nouveau management a résolu les problèmes internes. Le groupe a aussi souffert de son exposition à l’immobilier chinois. En réalité, la Chine ne représente que 16% de ses ventes. Nous pensons que le marché sous-estime la flexibilité d’adaptation de ses nouvelles installations et l’amélioration progressive de ses marges.
Le marché est souvent très attentif à la marge d’exploitation d’une entreprise. Nous préférons nous concentrer sur la rentabilité du capital investi. Sur ce point, Schindler est l’une des mieux placées en Suisse parce qu’elle utilise peu de capitaux dans ses activités de services.
Plus généralement, les sociétés suisses qui réussissent sont des groupes familiaux internationaux dans le B2B. Avec la montée du protectionnisme et des risques géopolitiques, est-ce que l’industrie suisse appartiendra aux grands perdants des transformations de l’économie mondiale?
Non, au contraire. Les sociétés B2B suisses seront les grands bénéficiaires des transformations de l’économie mondiale. Les grands clients des sous-traitants suisses, comme ASML dans les semi-conducteurs, répètent qu’elles veulent réduire le nombre de leurs sous-traitants et se concentrer sur les meilleurs d’entre eux, c’est-à-dire sur ceux qui ont la capacité d’innover et de les suivre dans les pays où ils ouvrent des usines. Les sociétés suisses appartiennent précisément à cette catégorie, comme Inficon pour ASML, laquelle a dit que ses fournisseurs passeront de 5000 à 1000.
La question qui se pose à ces sociétés sera de prendre position pour la Chine ou les Etats-Unis. Un article du Financial Times indique par exemple que la Malaisie profitera du conflit. Or VAT dispose d’usines en Malaisie et Comet a augmenté sa production dans ce pays.
Les sociétés suisses peuvent innover et ajouter des produits qui complètent leur offre en répondant aux nouveaux besoins des grands groupes. La plupart de nos sociétés ont une exposition globale.
Les sous-traitants suisses souffrent des perspectives allemandes. Est-ce que vous évitez ces sociétés?
La principale préoccupation des industriels suisses porte sur l’Allemagne, dans l’immobilier, la construction et l’industrie. Les inquiétudes ne sont pas cycliques mais structurelles. L’automobile allemande est fortement concurrencée par les constructeurs chinois. Et les autorités politiques peinent à répondre aux défis, ainsi que le montre le manque de logements. Dans le passé, l’Allemagne parvenait à sortir d’une phase difficile par l’innovation. Aujourd’hui, rien n’est moins sûr.