Le franc devrait légèrement s’apprécier contre l’euro

Emmanuel Garessus

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A la veille des réunions de la Fed et de la BNS, James Mazeau, d’UBS, présente ses attentes et indique pourquoi il privilégie les obligations de qualité.

Les banques centrales joueront un rôle clé sur la prochaine direction des marchés financiers. Après la décision de la BCE, jeudi, et avant la Fed et la BNS, James Mazeau, économiste au sein de la Recherche d’UBS répond aux questions d’Allnews sur la politique monétaire et les marchés financiers:

Qu’attendez-vous du franc et des taux directeurs de la BNS?

Le marché accorde une probabilité de 50% à une baisse des taux. La question est de savoir si l’inflation est tombée assez bas pour justifier une telle décision et si le moment est optimal. Nous nous attendons à une baisse de 25 points de base cette semaine et à une nouvelle diminution en fin d’année. Mais le recul de l’inflation n’est peut-être pas suffisant aux yeux de la BNS si bien qu’elle pourrait s’abstenir ce jeudi. L’incertitude est donc significative.

Nous pensons aussi que le franc devrait légèrement s’apprécier contre l’euro, vers 0,96, et osciller autour de ce niveau au cours des douze prochains mois.

La Fed est la prochaine banque centrale à se prononcer sur les taux directeurs. Qu’en attendez-vous cette semaine et ces prochains mois?

La Fed ne devrait pas réduire ses taux directeurs cette semaine. Elle devrait attendre septembre pour passer à l’acte parce qu’elle aimerait surtout que l’inflation diminue davantage. Il est vrai que malgré toutes les mesures pour contrer l’inflation, cette dernière reste supérieure à son objectif de 2%. Par ailleurs, la croissance s’affaiblit progressivement et rend acceptable un assouplissement monétaire. Je ne partage donc pas l’idée de certains acteurs du marché qui prévoient une hausse ou une stabilité des taux américains cette année.

«L’investisseur a davantage à perdre qu’à gagner s’il est investi en actions d’ici douze mois.»

Selon le consensus, la probabilité d’une réduction des taux en septembre atteint 60%. Ce taux de probabilité peut rapidement être modifié en fonction des statistiques, mais il correspond à notre scénario. Nous anticipons une autre baisse des taux en 2024 portant le total à 50 points de base cette année, en en attendant d’autres l’année prochaine.

Les statistiques des prochains mois peuvent naturellement conduire à d’autres scénarios. Mais mon message consiste à dire que la Fed baissera ses taux après les autres banques centrales.

Nous avons vécu avec des taux américains supérieurs à 5% sans que l’économie n’en souffre trop. Le chômage n’a pas bondi. La Fed ne doit donc pas baisser ses taux dans l’urgence.

Votre scénario ne traduit-il pas un monde idéal qui ignore la politique? Sachant que les deux candidats à la présidentielle ont des programmes protectionnistes et inflationnistes, ne devrait-on pas se demander si l’inflation peut tomber à 2%?

Si les Etats-Unis, quel que soit le parti au pouvoir, sont plus protectionnistes, la Fed s’interrogera à moyen terme sur le moment le plus approprié pour procéder à un ajustement à la hausse de sa cible d’inflation à 2,5 ou 3%.

Elle ne peut le décider à court terme, sous peine de provoquer une crise de confiance. Elle va donc ramener l’inflation plus près des 2% pour ensuite annoncer qu’en fonction du protectionnisme et des conséquences des enjeux climatiques, elle devra relever sa cible d’inflation.

Si la Fed baisse ses taux en septembre, elle risque d’être accusée d’intervenir dans la campagne présidentielle. Ne va-t-elle pas chercher à éviter ce problème?

Son indépendance est-elle totale? Il ne m’appartient pas d’en juger, mais je pense qu’une baisse des taux en septembre, puis une autre d’ici la fin de l’année, n’aura pas d’impact immédiat sur l’économie. L’électeur moyen considérera plutôt sa propre situation et son avenir, pour sa maison, son emploi et son pouvoir d’achat que la dernière décision de la Fed.

Si la Fed avait pris des décisions erronées qui auraient pénalisé l’économie, l’électeur aurait peut-être pris en considération la politique monétaire au moment du vote. Mais ce n’est pas le cas cette année.

Le rendement à dix ans des bons du Trésor a légèrement baissé à 4,3% à la suite d’une conjoncture plus molle. Prévoyez-vous une poursuite de la baisse ces prochains mois?

Oui. Nous nous attendons à un rendement de 3,5% d’ici douze mois.

Sans récession?

Oui. On descendrait à 3% ou même 2,5% avec une récession.

Du point de l’investisseur, après les gains confortables enregistrés en actions depuis janvier (10% sur le S&P), la performance de 2024 est-elle déjà faite?

C’est difficile à dire. A court terme, des surprises sont possibles dans les deux sens. Je dirais qu’en moyenne, un gain de 10% par an dépasse ce que l’investisseur peut attendre des cycles futurs aux Etats-Unis. Je ne recommande pas de vendre, mais j’essaie de mettre cette performance en perspective et de souligner les incertitudes à court terme.

«A court terme (horizon jusqu’à douze mois), nous recommandons les obligations de bonne qualité (obligations d’Etat et Investment Grade), notamment américaines».

Quel actif estimez-vous le plus sous-évalué d’ici douze mois?

A court terme (horizon jusqu’à douze mois), nous recommandons les obligations de bonne qualité (obligations d’Etat et Investment Grade), notamment américaines. Aux Etats-Unis, l’investisseur en obligations de bonne qualité gagne de l’argent si l’économie poursuit son expansion, et d’autant plus si une récession devait survenir. Le risque pourrait venir d’une économie américaine en effervescence. A court terme, avec les obligations de bonne qualité, la probabilité de gagner de l’argent est plus forte que d’en perdre.

Qu’en est-il de l’effet devise?

Nous prévoyons une certaine baisse du dollar jusqu’à 0,85 franc (0,89 actuellement), mais les gains sur les obligations devraient compenser la perte attendue sur la monnaie. Surtout en cas de récession économique. Il est d’ailleurs possible de se couvrir contre le risque de change. Le rendement total est plus intéressant que l’investissement en obligations de la Confédération.

Si une récession se profilait au plan mondial, le gain serait double, sur les obligations de bonne qualité en dollar et sur la monnaie puisque le dollar profiterait pleinement de son caractère défensif. J’imagine mal une contraction centrée uniquement sur les Etats-Unis.

L’indice S&P 500 est à 5360 points. Peut-il dépasser 6000 points d’ici douze mois?

Non, notre objectif est de 5500 points et un scénario optimiste à 5700 points à douze mois. En revanche, le risque est fixé à 4400 points. L’asymétrie est grande. L’investisseur a davantage à perdre qu’à gagner s’il est investi en actions d’ici douze mois. Mais à long terme, il devrait privilégier les actions. Ce n’est pas parce que nous privilégions les obligations sur le plan tactique que nous pensons qu’il n’existe pas d’opportunités dans les actions.

Où sont ces opportunités et de quoi faut-il se séparer?

La hausse de la tech est rapide mais elle est justifiée par la forte progression des bénéfices des entreprises. Néanmoins, il faut distinguer entre les «7 magnifiques» (Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla), qui présentent un multiple de presque 30 fois, et les autres valeurs du S&P 500 avec un PER (Price Earning Ratio) d’à peine 18 fois, ce qui correspond à la moyenne sur dix ans.

Nous recommandons de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier et de ne pas investir que dans la tech. La diversification doit être sectorielle et régionale.

Pour battre le marché, faut-il être surpondéré dans la tech?

Mon message consiste à dire que la tech ne sera pas le seul gagnant à long terme. Malheureusement, nous ne pouvons pas citer d’autres secteurs aux perspectives exceptionnelles. Il faut simplement éviter d’être trop euphorique sur la tech. Quant à battre le marché, ce n’est pas possible chaque année. Notre grande conviction actuelle porte sur les obligations de bonne qualité.

Le pétrole a baissé significativement. Quel est votre scénario?

Je ne prévois pas une nette baisse du pétrole. Sur le plan fondamental, l’Opep est assez disciplinée pour s’accorder sur un prolongement des coupes de production. Cela devrait soutenir le baril.

Les nouvelles sont inquiétantes en Allemagne. Et l’économie européenne peine à vraiment redémarrer. Est-ce qu’il existe encore des opportunités sur le vieux continent?

La croissance économique est atone mais les valorisations des actions ne sont pas excessives. Compte tenu de la période d’inflation qu’elle a traversée et de la politique monétaire restrictive, la zone euro se porte plutôt bien. La surprise est plutôt positive. Les perspectives sont assez favorables: l’inflation diminue et les salaires augmentent plus vite que les prix tandis que le chômage reste bas.

Dans les pays émergents, quel pays privilégiez-vous?

Nous aimons bien le marché chinois que nous recommandons de surpondérer, compte tenu du niveau des valorisations et des mesures de relance mises en œuvre par le gouvernement.

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