Les taux US à dix ans devraient dépasser 5%

Emmanuel Garessus

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Le rendement des bons du Trésor devrait toutefois progressivement redescendre à 3,5%, avance James Mazeau, économiste auprès d’UBS.

La hausse des taux d’intérêt crée de profondes turbulences sur les marchés. Le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans, à 4,8% cette semaine, surprend les investisseurs et s’approche de la barrière psychologique de 5%. James Mazeau, économiste auprès d’UBS, répond aux questions d’Allnews:

Pourquoi les taux américains à 10 ans ont-ils autant surpris le marché?

Plusieurs facteurs expliquent cette hausse. La première porte sur la croissance qui a été plus élevée que prévu et pèse sur les perspectives de la baisse de l’inflation vers la zone visée par la Fed, c’est-à-dire à 2% hors alimentation et énergie.

J’ajouterais un élément lié à la politique monétaire de la Fed. Cette dernière a annoncé qu’elle laisserait les taux directeurs élevés plus longtemps que prévu. Ainsi, ce n’est pas seulement le taux à 10 ans mais toute la courbe des taux qui a été revue à la hausse.

D’autres facteurs pèsent sur le marché: un gros acheteur d’obligations du Trésor, la Fed, ne joue plus son rôle. Dans le cadre de ce que le marché nomme le QT (resserrement quantitatif), la banque centrale réinvestit moins dans les obligations du Trésor.

De plus, ce dernier affiche des besoins de refinancement des dépenses publiques toujours accrus. Il doit émettre davantage d’obligations alors que les acheteurs structurels diminuent.

Quel est le principal facteur de cette hausse? Qu’en est-il d’autres facteurs fréquemment cités par les analystes, comme la demande chinoise d’obligations américaines, le coût de l’énergie, la guerre en Ukraine et les problèmes de gestion du Trésor?

Plusieurs facteurs sont connus, comme le QT et les énormes besoins de financement. En revanche, c’est le discours de la Fed qui surprend le marché de semaine en semaine.

Le marché américain de l’emploi est plus résilient que prévu et amène le marché à anticiper une économie caractérisée par une inflation et une croissance plus élevées qu’auparavant. Mais il faut comprendre que les attentes peuvent changer très rapidement, par exemple à l’aune des statistiques mensuelles de l’emploi. Le marché obligataire est dès lors très volatile. L’indice de volatilité obligataire, le MOVE, est très haut. Il est tout à fait également possible d’enregistrer un mouvement des taux long à la baisse.

Est-ce que la probabilité de casser la barre des 5% sur les bons du Trésor à 10 ans dépasse 50%?

Oui, c’est très probable.

Qu’en est-il de l’horizon temporel?

Plus l’horizon temporel est élevé, à un ou deux ans par exemple, plus il devient improbable d’avoir un taux à 10 ans à 5%. Le niveau actuel exerce des effets très restrictifs sur l’économie. Plus les taux sont élevés et plus les pressions baissières sont fortes sur l’activité, l’emploi et la consommation, donc plus l’inflation devrait diminuer. Mais ce mécanisme de transmission prend du temps.

Sans récession, les taux dépasseront-ils aisément 5%?

Ils dépasseront 5% non pas en l’absence de récession, mais si les données macroéconomiques continuent de surprendre et si le déficit budgétaire se creuse. Nous pensons plutôt que les taux à 10 ans redescendront progressivement vers 3,5%.

Comment comprenez-vous la réaction des obligations à l’absence de «shutdown»?

Nous ne pouvons pas justifier un fait de marché par un seul facteur comme le «shutdown».

La question à se poser porte sur les changements de perspectives d’inflation et de croissance. Aujourd’hui, le vrai message consiste à se dire que la Fed gardera ses taux élevés plus longtemps, compte tenu de la vigueur de l’économie.

Est-ce que le bon du Trésor à 10 ans reste le taux sans risque recherché par les investisseurs malgré la dette américaine et le phénomène de dédollarisation des échanges commerciaux?

Oui et non. Oui à long terme, le dollar perd de sa splendeur avec l’augmentation d’accords bilatéraux qui s’appuient sur d’autres monnaies. Mais, l’an dernier, moins de 2% des paiements internationaux se faisaient en yuan, contre presque 50% en dollars. La plupart des actifs des banques centrales restent des dollars. La dette américaine a subi une baisse de son rating à AA, mais la qualité de la note des bons du Trésor reste très bonne. L’érosion ne se fera pas en un ou deux trimestres.

De plus, l’impact de la hausse des taux n’est pas spécifiquement américain. Le même phénomène se produit en Europe. Le combat contre l’inflation n’est pas gagné.

Pour l’investisseur, si les taux cassent les 5% à 10 ans, est-ce que cela signifie que l’indice S&P 500 tombera en dessous de 4000 points?

J’éviterais de faire un lien direct. L’investisseur devrait, à mon avis, considérer le niveau de rendement des obligations du Trésor comme une opportunité d’achat.

A très court terme, les taux peuvent encore se tendre, mais lorsqu’ils baisseront le détenteur d’obligations gagnera de l’argent. Nous les recommandons dans une optique à 6 à 12 mois parce que la volatilité de cet actif devrait être plus modeste que celle des actions et le rendement positif.

La situation est moins favorable pour les actions. La marge de gain est plus limitée alors que le risque de perdre de l’argent est plus élevé.

Quel est le risque de choc financier?

Si les taux restent plus élevés plus longtemps, les entreprises vont en souffrir si bien que la probabilité de récession augmente. Mais les bons du Trésor resteront l’actif sans risque le plus recherché. Beaucoup d’investisseurs se rueront sur cet instrument en cas de récession.

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