La gouvernance ne peut être séparée du social et de l'environnement

Yves Hulmann

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Pour Barbara Heller, directrice de SWIPRA, une approche intégrée est aujourd’hui indispensable.

Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont fait l’objet d’une attention grandissante au cours de ces dernières années. Concernant le dernier aspect, la société de conseil SWIPRA, spécialisée dans les questions de gouvernance d’entreprise et de responsabilité sociale d’entreprise (Corporate Social Responsability, «CSR») a publié mardi sa huitième étude consacrée à cette thématique. L’enquête, réalisée en collaboration avec l’Institut für Banking und Finance de l’Université de Zurich, a pris en considération les réponses fournies par 73 entreprises cotées à la SIX Swiss Exchange, représentant environ 77% de la capitalisation boursière des sociétés de l’indice SPI, ainsi que celles de 76 gérants d’actifs institutionnels.

Parmi les différents résultats de la SWIPRA Corporate Governance Survey 2020, l’enquête fait ressortir de manière générale que les actionnaires souhaiteraient que les conseils d’administration s’engagent davantage en matière de responsabilité sociale d’entreprise (CSR). En effet, 67% des actionnaires sondés estiment que les administrateurs ne font pas preuve de suffisamment de leadership en matière de CSR.

«Beaucoup d’attention a été accordée en particulier
aux aspects sociaux depuis la pandémie de COVID-19.»

Parmi les différents domaines jugés prioritaires en matière de dialogue avec les sociétés, 67% des actionnaires sondés en 2020 souhaiteraient qu’il y ait suite au COVID-19 davantage d’engagement dans les thématiques sociales («S»). Cette proportion s’élève à 48% s’agissant des thématiques environnementales («E»). 

En matière de politique de rémunération, l’étude fait ressortir des divergences d’opinion entre les actionnaires suisses et internationaux sondés: en effet, 44% des actionnaires étrangers estiment qu’il faut malgré le COVID-19 maintenir les objectifs de performance initiaux pour les rémunérations, alors que seuls 17% des actionnaires suisses sont de cet avis. Quant à nouveaux critères d’évaluation qui devraient être pris en compte pour fixer les bonus, 76% des actionnaires jugent que les objectifs environnementaux ont un poids insuffisant dans les systèmes de rémunération, tandis que 66% des sondés estiment aussi que les critères sociaux sont insuffisamment pris en considération. Tour d’horizon des principaux résultats de l’étude avec Barbara Heller, directrice de SWIPRA Services.

Comparé au début de la dernière décennie, les questions liées à la gouvernance d’entreprise – à l’exemple de l’exercice des droits de vote ou de la séparation des rôles entre direction et conseil d’administration – semblent aujourd’hui faire l’objet de moins d’attention que les aspects environnementaux et sociaux, le «E» et le «S» comme on les appelle parfois. Qu’en pensez-vous?

On ne peut pas séparer strictement les questions relatives à la gouvernance des aspects environnementaux ou sociaux. La gouvernance est décisive sur le «E» et le «S». Lorsqu’on évalue une entreprise du point de vue de la gouvernance et de sa responsabilité sociale, il est indispensable d’avoir une approche intégrée. Maintenant, il est certain que les aspects environnementaux et sociaux sont actuellement davantage placés au cœur de l’attention qu’il y a dix ans. Ces derniers mois, beaucoup d’attention a été accordée en particulier aux aspects sociaux depuis la pandémie de COVID-19, alors qu’en 2019 c’était davantage le cas pour les questions environnementales.

«Parmi les grandes firmes du SMI, les rémunérations des directeurs
évoluent à l’intérieur d’une marge de fluctuation relativement étroite.»
En matière de vote consultatif, on connaît depuis longtemps le «say on pay», à savoir le fait que les actionnaires puissent voter de manière consultative sur les rémunérations accordées aux membres de la direction. Désormais, il y a aussi dans certains pays le «say on sustainability», soit la possibilité pour les actionnaires de voter sur le rapport de durabilité de l’entreprise. Que faut-il en attendre?

Certains pays comme l’Espagne ont introduit le «say on sustainability». Ça serait peut-être une bonne chose que les actionnaires puissent s’exprimer sur cette question de manière consultative. En revanche, je ne pense pas que l’on pourrait introduire un tel vote sous une forme contraignante, comme on le fait par exemple en Suisse au sujet des bonus des dirigeants depuis l’adoption de la loi sur les rémunérations abusives (suite à l’initiative «Minder»), parce ce que, comme déjà mentionné, le «E» et le «S» font partie de la stratégie et ne sont pas quelque chose de séparé.

S’agissant des bonus accordés aux administrateurs et à la direction, on a souvent entendu dire après l’adoption de cette initiative qu’elle n’avait pas vraiment fait baisser les rémunérations. Quelles ont été vos observations à ce sujet?

Nous avons analysé l’évolution des rémunérations des dirigeants au cours des douze dernières années. On peut observer qu’avant l’initiative Minder, il y avait beaucoup de valeurs éloignées de la moyenne, les «outliers» comme on les appelle. Maintenant, on n’en voit que très peu. Parmi les grandes firmes du SMI, les rémunérations des directeurs évoluent à l’intérieur d’une marge de fluctuation relativement étroite. Par ailleurs, on constate aussi que les systèmes de rémunérations eux-mêmes tendent à converger entre eux. Ce n’est du reste pas si étonnant étant donné que ce sont souvent les mêmes investisseurs, par exemple des caisses de pension ou des gérants d’actifs, qui ont les mêmes exigences envers ces sociétés. Il y a donc à la fois un alignement du niveau des rémunérations mais aussi de la manière avec laquelle ces rémunérations sont octroyées.

«Les médias ont exagéré l’importance du débat
sur les dividendes en première moitié d’année.»
Parmi les critères de performance pris en compte pour fixer les bonus, 76% des actionnaires sondés par SWIPRA estiment que les objectifs environnementaux ne sont pas assez pris en compte dans la détermination des critères de rémunération. C’est le cas aussi des deux tiers d’entre eux (66%) s’agissant des objectifs sociaux. Qui est le mieux capable de fixer et d’évaluer si ces objectifs sont atteints : les entreprises elles-mêmes ou des agences externes comme Sustainalytics ou MSCI ESG?

Je ne pense pas qu’il soit absolument nécessaire de recourir à des prestataires externes pour effectuer de telles évaluations. Il faut surtout pouvoir s’appuyer sur des standards ou des objectifs clairement définis dépendant des affaires et de la stratégie d’une entreprise, en fonction desquels les entreprises peuvent s’orienter. Des objectifs fixés par l’entreprise seront plus précis et correspondront mieux à sa situation que des critères définis de manière générale par une agence externe.

Quels sont les sujets qui préoccupent particulièrement les entreprises et les administrateurs en vue de la prochaine saison des assemblées générales qui aura lieu en 2021? On a, par exemple, beaucoup parlé des questions liées aux dividendes ce printemps: est-ce un important facteur d’incertitude?

Non, à mon avis, les médias ont exagéré l’importance du débat sur les dividendes en première moitié d’année. A mon avis, à long terme, la question la plus importante à résoudre par les entreprises portera sur l’allocation du capital et comment celui-ci est déployé dans une perspective de long terme. Jusqu’à il y a quelques années, beaucoup d’entreprises s’orientaient à très court terme, en fonction des résultats de trimestre en trimestre. Maintenant, les entreprises sont davantage disposées à accepter des coûts des capitaux plus élevés momentanément avec l’espoir que cela permettra de générer aussi des rendements plus élevés sur le long terme. Il faudra bien sûr encore voir si les investisseurs acceptent effectivement cette situation mais la tendance va dans ce sens avec les exigences d’agir de manière socialement responsable.

Une autre tendance de fond est celle des attentes accrues des actionnaires envers les administrateurs en matière d’intégration des aspects liés à la CSR (Corporate Social Responsability). Selon les résultats de l’étude 2020, plus des deux tiers (67%) des actionnaires estiment que les conseils d’administration ne font pas preuve de suffisamment de leadership à ce sujet.

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